Des missiles à tête chercheuse anticancer

De la magic bullet au nanomédicament

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Publié le 20/10/2016

De la vectorisation ciblée ou ciblage cellulaire, consistant à diriger l’agent thérapeutique spécifiquement vers les cellules cancéreuses, au nanomédicament, il n’y a qu’un pas. Il a été franchi avec succès. La conception de nanotechnologies capables de transporter les médicaments dans l’organisme et de les libérer de manière spécifique au niveau du site d’action permet d’augmenter l’index thérapeutique des cytotoxiques utilisés en cancérologie. Aux côtés des anticorps monoclonaux, la nanovectorisation poursuit son développement. Les applications des nanotechnologies en cancérologie sont loin d’avoir dit leur dernier mot. 

Les thérapies ciblées et, en particulier, les anticorps monoclonaux spécifiques d’antigènes de cellules tumorales ont amplifié le concept en cancérologie selon lequel il est possible d’acheminer un médicament de manière spécifique vers son site d’action. Le trastuzumab est l’anticorps monoclonal emblématique de cette approche thérapeutique : l’identification de HER2, puis son ciblage par le trastuzumab, a modifié la prise en charge et le pronostic des patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique et exprimant HER2. Le T-DM1, c’est-à-dire l’association du trastuzumab à l’emtansine, poison du fuseau, est un « missile à tête chercheuse », un véritable cheval de Troie : en effet, l’internalisation du trastuzumab a été exploitée pour vectoriser de manière spécifique dans les cellules tumorales surexprimant HER2 un agent cytotoxique qui inhibe la polymérisation des microtubules. Cet antibody-drug conjugate (ADC) libère ensuite l’emtansine dans la cellule cancéreuse, épargnant dès lors les cellules saines et provoquant la mort de la cellule tumorale.


Magic bullet,  un rêve devenu réalité

Cette idée de ciblage spécifique n’est pas nouvelle ; elle date du début du XXe siècle : Paul Ehrlich, prix Nobel de médecine en 1908 en reconnaissance de ses travaux sur l’immunité, rêvait déjà de ce concept de magic bullet. Depuis, on a assisté, aux côtés de l’utilisation exponentielle d’anticorps monoclonaux, à la mise au point de nanovecteurs à la fin du siècle dernier, qui concrétisent également voire amplifient le rêve de ce scientifique berlinois qu’était P. Ehrlich.

En effet, en 1977, Patrick Couvreur (CNRS) et Peter Speiser (École polytechnique de Zurich) observent pour la première fois que des nanocapsules permettent de faire entrer dans les cellules des molécules qui ne s’y accumulent pas spontanément. Cette découverte ouvre la voie à la nanovectorisation intracellulaire des médicaments. Ces nanosystèmes d’administration, de transport et de vectorisation des médicaments ont, en effet, pu être conçus grâce aux recherches menées à l’interface de la physique, de la chimie et de la biologie.


Les « nanovéhicules » permettent plus de spécificité… moins de toxicité

Ces « nanovecteurs » sont capables de protéger la molécule active de la dégradation par les enzymes de l’organisme, de l’adresser sélectivement vers le tissu ou la cellule cible et d’en contrôler la libération. Les assemblages nanoparticulaires sont de plus couplés à des agents stabilisateurs pour permettre une diffusion prolongée dans l’organisme et réduire leur reconnaissance et opsonisation par le système immunitaire.

Dès lors, de nombreux médicaments ont été développés en utilisant cette nanotechnologie : par exemple, le nab-paclitaxel, est composé de nanoparticules d’albumine – une protéine dont raffolent les cellules tumorales – qui encapsulent en leur sein du paclitaxel. Grâce à ce « nanovéhicule », ce taxane parvient plus efficacement à sa cible que s’il était utilisé seul. Plus spécifique, le traitement est alors moins toxique.

Citons d’autres exemples comme la doxorubicine liposomale pégylée, cette nanoformulation permettant d’améliorer les caractéristiques pharmacocinétiques de la molécule active, en particulier le profil de biodistribution de la doxorubicine améliorant ainsi sa demi-vie et son accumulation dans le tissu tumoral, et donc l’index thérapeutique de cette anthracycline.

La recherche dans cette voie se poursuit et de nouvelles générations de vecteurs sont développées. Des systèmes nanoparticulaires à base de polymères biodégradables voient le jour. La squalénisation permettant d’encapsuler des quantités importantes de principe actif dans un nanovecteur à base d’un lipide naturel et biocompatible, le squalène, est en développement : a contrario des liposomes qui possèdent un cœur hydrophile et peuvent donc transporter en leur sein des molécules elles aussi hydrophiles, les Lipidots®, acceptent en leur cœur des molécules lipophiles qui ont des affinités avec les particules lipidiques. En France, des nanoparticules biodégradables chargées en doxorubicine pour le traitement de l’hépatocarcinome avancé résistant ont été élaborées. Ce candidat nanomédicament, doxorubicine Transdrug®, est actuellement en phase III.


Repousser les limites  de la radiothérapie

Les nanotechnologies sont également en train de repousser les limites de la radiothérapie. Nanobiotix, société de nanomédecine française, a développé une arme absolue pour démultiplier la puissance des radiothérapies sans toucher les cellules saines. Baptisée NanoXray, cette prouesse repose sur l’utilisation de nanoparticules de hafnium, un élément ultraréactif aux radiations qui, sous l’action de la radiothérapie, permettent de maximiser l’absorption des rayons X à l’intérieur des cellules cancéreuses. Plusieurs patients atteints d’un sarcome des tissus mous ont déjà été traités dans le cadre d’essais cliniques par cette innovation thérapeutique, en particulier à l’institut Gustave-Roussy (Villejuif). Des résultats positifs ont été obtenus dans l’essai de phase I/II avec le NBTXR3, amplificateur de radiothérapie, pour le traitement des cancers localement avancés de la cavité buccale, de la langue ou de l’oropharynx chez les patients fragiles et âgés.

D’autres applications de la nanovectorisation sont utilisées, notamment pour l’imagerie médicale, grâce aux vecteurs métalliques, système nanoparticulaire à base d’oxyde de fer.

Le sujet est intarissable : magic bullet et nanotechnologies sont bien ancrées dans le paysage de la cancérologie du XXIe siècle. 


Source : lequotidiendupharmacien.fr
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