Le durcissement des conditions commerciales depuis le début de l’année n’est pas passé inaperçu au sein de la profession. Ni la montée en puissance de certaines pratiques des laboratoires associées aux ventes directes auprès des pharmaciens. Quitte à appliquer des écarts de tarifs entre 15 et 20 %. La profession, et plus particulièrement les groupements, se divisent cependant sur la conduite à tenir. Le 9 mars, l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) a convié à une réunion de concertation les trois principaux acteurs du marché du médicament : le LEEM pour les entreprises du médicament, le GEMME pour les génériqueurs, et l’AFIPA pour les produits d’automédication.
Laurent Filoche, président de l’UDGPO, a déjà reçu un accord de principe du GEMME pour le 10 mai. Le LEEM réserve encore sa réponse. Les entreprises du médicament attendent d’être saisies de l’affaire et se déclarent « ouvertes à la discussion ». Quant à l’AFIPA, elle est prête à rencontrer l’UDGPO, même si elle rappelle qu’elle n’a pas vocation à commenter les pratiques commerciales de ses membres.
Boycott
« Nous voulons avoir la vraie vision de l’industrie sur cette question des pratiques commerciales », souhaite Laurent Filoche. Il ne nie pas le fait que certains laboratoires ont augmenté leurs tarifs à des taux bien supérieurs à ceux de l’inflation et à la hausse des prix des matières premières. Mais il se refuse à tout amalgame, certains fabricants ayant fait de réels efforts, « que ce soit en travaillant avec nos structures, comme les CAP*, ou en nouant des accords groupement-adhérents innovants », décrit le président de l’UDGPO. En tout état de cause, il refuse de suivre la Chambre syndicale des groupements (Federgy) dans ce qui n’est pour lui, qu’un appel, à peine voilé, au boycott. Fin février, Federgy avait en effet manifesté son exaspération face aux industriels qui contournent les CAP et les SRA** des groupements. La chambre syndicale invitait ses membres « à ne plus assurer la promotion que des médicaments non remboursables de leur génériqueur habituel, ainsi que les marques de distribution de leur groupement ». Une attitude irresponsable pour l’UDGPO. « Dans la situation économique difficile que nous connaissons, nous ne pouvons pas raisonnablement nous couper des laboratoires et de leurs produits leaders qui participent au dynamisme de l’officine », affirme Laurent Filoche.
Ne pas servir la GMS
Mais Federgy n’en restait pas aux mesures de rétorsion. La chambre syndicale avait aussi mis en garde ses membres. Elle les avertissait contre les effets délétères de ces pratiques commerciales sur l’économie de l’officine. Car, incités par les laboratoires via des remises avantageuses à acheter les plus grosses quantités possibles, les titulaires risquent le surstock. Et n’ont plus d’autres choix, explique Federgy, que « d’en rétrocéder une partie à leurs confrères, se mettant par là même, dans l’illégalité ».
Ce système qui ne profiterait in fine qu’aux laboratoires et mettrait l’officine en danger, est également dénoncé par l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Le syndicat redoute même que ces dérives ne servent la cause de la grande distribution. « Ces pratiques sont inacceptables car elles conduisent à des écarts de prix qui alimentent le discours de la GMS », lâche Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Selon lui, la grande distribution aura alors beau jeu de déclarer que les pharmaciens sont, contrairement à elle, incapables de négocier, tout simplement, « incapables d’acheter ».
« On ne peut pas nier qu’il y a aujourd’hui un problème », lance de son côté Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Pour lui, cette situation est due à la stratégie de certains laboratoires qui font monter le prix catalogue des produits pour ne travailler ensuite qu’avec certaines officines à partir d’un système de remise. Dans ce contexte, « les pharmacies de petites tailles ont besoin de pratiquer la rétrocession entre officines », estime le président de la FSPF. Certes, les groupements sont là pour apporter de meilleures offres, mais ils pratiquent le référencement de marques qui ne correspond pas forcément à la demande des pharmaciens, explique-t-il.
La fin d’un modèle
Davantage que le spectre de la grande distribution, certains pharmaciens voient dans cet affrontement entre Federgy et les industriels, l’aveu d’un échec. « Les grands groupements nationaux sont contournés par les laboratoires parce qu’ils leur réclament une rémunération sans leur apporter de parts de marché supplémentaires en contrepartie », expose Laurent Filoche. Selon lui, les groupements nationaux ne sont plus aujourd’hui fédéralistes. « Nous arrivons aux limites d’un système qui manque de vision et de performance. En tout cas, il ne répond plus aux attentes des pharmaciens », déclare le président de l’UDGPO. Il en veut pour preuve a contrario, le succès des petits groupements régionaux, dont l’indépendance vis-à-vis des laboratoires est parfois mise en cause.
Sur le site lequotidiendupharmacien.fr, certains pharmaciens n’hésitent pas à caractériser l’offensive de Federgy de combat d’arrière-garde. Ainsi l’internaute Pierre T. n’hésite pas à déclarer : « Nous sommes à la fin d’un cycle. Il n’y a plus intérêt à faire partie d’un groupement, sauf à satisfaire l’ego de ses dirigeants et valoriser leur participation financière. »
Et si, plutôt que le déclin d’un modèle, cette affaire de la vente directe en signifiait le renouveau ? L’avenir pourrait ainsi être aux groupements capables de proposer à leurs adhérents une stratégie de développement de la médication officinale, inscrite dans le parcours de soins. Autrement dit, permettre aux pharmaciens de se concentrer davantage à la dispensation et un peu moins aux conditions d’achat.
**Structures de regroupement à l’achat.
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