L’affaire qui agite aujourd’hui le monde de la pharmacie allemande semble au départ bien secondaire : une association allemande de malades de Parkinson avait négocié avec le siège hollandais de Doc Morris des rabais de 2,50 euros par ordonnance pour ses membres, dès lors qu’ils achetaient leurs médicaments prescrits en ligne, et que ceux-ci leur étaient envoyés depuis les Pays-Bas. La justice allemande, saisie pour la énième fois par les pharmaciens, a interdit ces rabais au motif qu’ils sont interdits sur les prescriptions, quelle que soit leur forme. Ceci a d’ailleurs pour conséquence que les ventes de prescriptions en ligne sont quasi nulles en Allemagne, alors qu’elles progressent régulièrement pour les OTC pour atteindre actuellement 13 %.
L’association Parkinson et Doc Morris ont toutefois estimé que, dans le cas précis, le rabais sur des ordonnances honorées à l’étranger différait des rabais accordés directement sur une boîte. Ils ont donc saisi la justice européenne, via les procédures légales allemandes en vigueur, et tout le monde s’attendait à ce que cette dernière, comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises, conforte le principe du prix unique du médicament prescrit en Allemagne, même s’il est commandé à l’étranger et ristourné sous une autre forme. Mais, contre toute attente, l’avocat général de la Cour de Luxembourg, le Polonais Maciej Szpunar, a considéré dans ses conclusions, le 2 juin, que l’interdiction de ce type de rabais était contraire aux principes de libre concurrence garantis par les traités européens. Selon lui, ces rabais ne menacent pas l’organisation du système de santé d’Outre Rhin, contrairement à ce qu’affirment tant les pharmaciens que le gouvernement allemand, ce qui aurait été justement un motif pour maintenir l’interdiction.
Arrêt définitif à l'automne
L’arrêt définitif ne sera prononcé que cet automne, mais, dès à présent, les pharmaciens se mobilisent face à ce qui pourrait constituer un risque majeur pour le prix unique des prescriptions, en Allemagne, voire en Europe. Statistiquement, les juges de la Cour ne sont pas obligés de suivre l’avis de l’avocat général dans leur arrêt, mais ils le font dans plus de 80 % des cas : c’est dire que le risque est réel de voir le prix unique voler en éclat dans quelques mois.
Le président de l’association fédérale des pharmaciens allemands (ABDA), Friedemann Schmidt, s’est déclaré surpris et déçu des conclusions de Maciej Szpunar, qui ne tiennent pas compte de la position des autorités sanitaires allemandes dans cette affaire et qui pourrait menacer, selon lui, le bon approvisionnement des pharmacies. Si celles-ci se voient concurrencées par des ventes de prescriptions par correspondance moins chères depuis l’étranger, explique-t-il, les officines risquent de voir leur activité baisser et, pour cette raison, offriront moins de services à leurs patients, ce qui est le contraire de ce que souhaite le gouvernement. L’ABDA rappelle que des services comme les conseils, les gardes de nuit ou la promotion du bon usage, sont financés par les ventes de médicaments, et qu’une baisse de l’activité nuirait forcément à leur qualité.
Vers une guerre des prix
Plus pessimistes encore, certains experts voient dans l’éventuelle disparition du prix unique une véritable révolution pour la pharmacie allemande. « Si les pharmacies virtuelles étrangères obtiennent le droit de vendre avec des rabais, quelle qu’en soit la forme, les pharmaciens classiques vont être désavantagés et vont donc forcément demander et obtenir un droit identique… ce qui va déboucher, comme dans certains pays de l’Est, sur une guerre des rabais fratricides dans tout le pays », souligne un juriste cité par l’hebdomadaire pharmaceutique « DAZ ». Un autre avocat prédit, lui, « des milliers d’officines en faillites » si une guerre des prix se déclare. Pour ces experts, le gouvernement allemand ne pourrait éviter cette situation qu’avec une solution radicale : interdire purement et simplement toute vente de prescriptions par correspondance, d’où qu’elles viennent, mesure qui reste dans ses compétences puisque les réglementations sont nationales.
Mais, au-delà de l’Allemagne, il convient de rappeler que deux autres pays, le Royaume Uni et les Pays-Bas, autorisent eux aussi, depuis près de 15 ans, les ventes par Internet de médicaments prescrits : que se passerait-il dès lors pour eux si des pharmaciens installés dans des pays à très bon marché, comme les pays de l’Est notamment, se lançaient sur le créneau en proposant d’importants rabais ? Enfin, alors que tous les pays européens autorisent déjà les ventes d’OTC par correspondance, ceux qui seraient un jour tentés d’y ajouter les prescriptions remettraient aussi en cause, par ce biais, les prix fixes des médicaments.
Bref, on le voit, le futur jugement de la Cour de Luxembourg dépasse très largement les seuls patients atteints de Parkinson allemands.
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