Une officine virtuelle à Paris Descartes
« Votre avatar entre dans la pharmacie virtuelle, il endosse sa blouse de pharmacien et accueille un jeune patient asthmatique qui rechigne à suivre son traitement. Vous prenez connaissance de son ordonnance, insérez sa carte Vitale, consultez son DP et commencez par lui poser quelques questions avant de procéder à la délivrance de la prescription. » Cette dispensation n’est pas réelle : elle n’est qu’un entraînement virtuel destiné aux étudiants de 3e et 6e années à la faculté de Paris Descartes.
« Grâce à ce serious game que nous proposons lors d’un enseignement dirigé, nous arrivons à intéresser les étudiants de la filière officine à la pharmacie clinique », se félicite Françoise Brion, professeur de pharmacie clinique à la faculté de pharmacie Paris Descartes, ravie de constater que les étudiants viennent enfin en cours. « Ce jeu sérieux autour de l’asthme, baptisé Pharmacie Bourquelot, a pour objectif de mettre en situation les étudiants dans leur futur contexte de pharmacien d’officine, et de faciliter l’acquisition des connaissances », explique Françoise Brion.
En pratique, à la Pharmacie Bourquelot, trois profils de patients peuvent se présenter au comptoir : Antoine, l’adolescent pas très observant, Sandra, la femme enceinte, et Huguette, la femme plus âgée. L’étudiant est stimulé tout au long du jeu par un tuteur qui lui pose des questions. Et attention, s’il ne répond pas correctement, au bout d’un moment, la pharmacie finira par fermer. Enfin, le jeu comporte une partie exercice (appelée « remue-méninges ») qui s’apparente plus à des questions de cours.
Le bilan est plutôt positif : « les étudiants ont répondu à un questionnaire de satisfaction et sont contents de cet enseignement », rapporte la professeur. Aujourd’hui, la faculté parisienne poursuit ses efforts de développement dans les nouveaux médias : elle a lancé, cette année, des jeux de rôle filmés puis commentés en cours. « Parmi les autres projets, on compte aussi développer un modèle anatomique en 3D pour le DU d’orthèse et de prothèse, qui permettra de faire les mesures anatomiques virtuellement », révèle Françoise Brion. Tous les moyens sont bons pour motiver les étudiants !
À Lille, un e-module de formation validant
La faculté de pharmacie de Lille va plus loin en introduisant dans son enseignement de 5e et 6e années un module de formation validant qui allie un jeu sérieux en ligne que l’étudiant peut effectuer chez lui ou ailleurs, et un jeu de rôle qui se tient en présentiel à la faculté.
« Nous sommes partis d’un constat : depuis quelques années, nous voyions de moins en moins d’étudiants en amphi, et ceux qui y venaient encore avaient tous une tablette ou un ordinateur portable », explique Anne Goffard, enseignant chercheur en virologie, qui a mené ce projet avec huit confrères. Au bout dix-huit mois, leur travail a abouti au module d’enseignement Profiterole, de 50 heures dont 46 heures dispensées sans déplacement. Au total, 130 étudiants sont formés chaque année à cet enseignement, qui est validé par une note. Vu le succès remporté, les enseignants envisagent de proposer cet enseignement dès la 3e année de pharmacie.
Lors de la partie présentielle du module - un jeu de rôle - les étudiants se retrouvent lors d’un enseignement dirigé et prennent soit le rôle du pharmacien soit celui du patient, puis déroulent une consultation pharmaceutique. Ensuite, les cas dont débriefés avec l’ensemble des étudiants.
Lors de la partie virtuelle de l’enseignement (baptisée e-caducée), l’étudiant est seul derrière son ordinateur, sa tablette ou son smartphone et prend la place du pharmacien. Il se retrouve face à un avatar-patient, l’accueille, lit son ordonnance, son bilan biologique, répond à ses questions, donne des conseils. Au total, le jeu regroupe plus de soixante-dix cas cliniques, et plus de 500 exercices déclinés dans les différentes pathologies.
« Cette simulation, qu’elle soit via un jeu de rôle ou un jeu sérieux, n’existait pas auparavant dans les enseignements. L’étudiant apprenait sur le tas, lors de ses stages », précise Anne Goffard. Désormais, il peut s’entraîner à la dispensation avant d’être mis en situation réelle lors de son stage de 6e année.
Mission Offi’Sim à Nancy
Alors qu’à Lille, Profiterole propose du e-learning, la faculté de Nancy compte opter prochainement pour une autre formule : un jeu sérieux qui aborde des cas de comptoir, et non pas des cas cliniques (donc sans présentation d’ordonnance).
« Une femme enceinte qui souffre d’hémorroïdes, une personne qui a une diarrhée, une autre qui demande du Doliprane, une maman qui veut du Toplexil pour sa fille qui pleure tout le temps… Au total, nous espérons développer 45 cas pratiques que l’on rencontre à l’officine, et qui sont plus ou moins graves », avance Francine Paulus, doyenne de la faculté de pharmacie de Nancy.
Baptisé Mission Offi’Sim, cette application leur permettra d’acquérir des automatismes, de connaître les questions clé qu’il faut poser, même pour une délivrance de paracétamol, et donc à être plus opérationnel dès leurs premiers pas dans une officine. De plus il leur faudra être réactif : s’ils prennent trop de temps à répondre, le jeu s’arrête.
Le serious game ne sera pas validant, mais les enseignants auront accès aux résultats des élèves. « Pour le moment, le jeu ne sera accessible qu’aux étudiants de la faculté de pharmacie de Nancy - qui devront avoir un compte et s’identifier pour jouer - mais nous souhaiterions l’ouvrir aux autres facultés pour que les étudiants de tous horizons se mettent en concurrence, ainsi qu’aux pharmaciens d’officine, notamment les maîtres de stage, pour qu’ils puissent se mesurer à leurs stagiaires », espère Francine Paulus. À noter que la faculté développe également une unité d’enseignement sur les objets connectés.
À Strasbourg, entrez dans la Pharma 3D
Autre concept, à la faculté de Strasbourg : celui de Pharma 3D qui s’apparente plus à « Second Life ». L’étudiant en pharmacie entre dans un monde virtuel, et non plus seulement dans une officine pour faire un jeu sérieux. Pharma3D est un univers au graphisme étonnant, qui a su séduire les étudiants de l’université de Strasbourg et bien d’autres. « Plus de 560 avatars ont déjà été créés », évoque Pascal Wehrlé (professeur de pharmacie galénique, responsable du parcours pharmacie d’officine à la faculté et chargé du master 2 d’ingénierie pharmaceutique), à l’origine de ce projet.
Dans ce nouveau monde, l’avatar pharmacien découvre une officine actuelle qui reprend les fonctionnalités d’une pharmacie moderne (avec espace de confidentialité, un robot à l’étage, un réfrigérateur sur lequel on peut cliquer pour obtenir les cours sur la chaîne du froid, un back-office avec des classeurs remplis de fiches comptoir et d’arbres décisionnels pour la prise en charge de la toux, de la cystite, de la douleur du sportif à la cheville…).
L’avatar pourra également visiter la pharmacie du futur, volontairement inachevée, qui possède d’ores et déjà de multiples espaces de confidentialité et des jardins suspendus de plantes officinales. Puis il pourra se rendre dans l’espace dédié à la présentation des posters primés au concours communication de santé publique réalisés par les étudiants, dans la vidéothèque, dans la salle de réunion, ou encore consulter le kiosque qui donne accès à une multitude de sites internet.
Enfin, ce monde virtuel n’a pas omis d’intégrer, lui aussi, un serious game, dans l’espace « concours commentaire d’ordonnance ». L’étudiant pourra jouer le rôle d’un patient, ou d’un pharmacien en revêtant alors une blouse blanche et en procédant à la dispensation d’une des 7 ordonnances primées lors du concours national de commentaire d’ordonnance (de 2009 à 2015). Une fois le jeu réalisé, l’étudiant peut comparer son acte pharmaceutique à celui de la vidéo de la présentation d’ordonnance correspondante primée à l’échelle nationale.
« Si, pour le moment, ce sont surtout les étudiants de pharmacie de Strasbourg qui se rendent régulièrement dans Pharma 3D, le site a pour ambition de devenir un portail virtuel pour toutes les facultés de pharmacie françaises et pour les professionnels pharmaciens », avance Pascal Wehrlé. Dans le même temps, Pharma 3D ne cesse de se développer et de proposer de nouvelles fonctionnalités : « Plusieurs nouveautés verront le jour en 2016. Notamment, un espace orthopédie, avec un nouveau jeu de rôle : nous avons créé une vingtaine d’avatars patients différents : femme enceinte, sportif, personne en surpoids, que le pharmacien prendra en charge dans cet espace orthopédie. Aussi, le site s’enrichira d’un espace mycologie avec possibilité d’identifier les champignons représentés en 3D et la pharmacie industrielle ne sera pas en reste, dévoile Pascal Wehrlé. Et ce n’est pas fini : les seules limites du développement de Pharma 3D sont celles de notre imagination ! »
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