Fin janvier, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) proposait d’allonger la durée des études de pharmacie d’officine afin d’avoir un diplôme correspondant au doctorat tel que défini dans le cadre de l’harmonisation européenne (notre édition du 15 février).
L’Europe prévoit en effet trois grades universels (LMD) : la licence en 3 ans, le master en 5 ans et le doctorat en 8 ans. Problème, en France les six années d’études de pharmacie, en filière officine, ne correspondent pas à ces grades. Un diplômé français de la filière courte de pharmacie obtient ainsi pour équivalence européenne un master.
Pour Philippe Gaertner, il n’est pas question de se contenter du master, ni de réduire le nombre d’années d’études à cinq. « Nous voulons rester dans le trio de professionnels de santé comprenant le médecin, le chirurgien-dentiste et le pharmacien », explique-t-il. Un allongement des études que justifient, à ses yeux, le rôle de plus en plus prégnant du pharmacien dans les soins de premier recours dans les zones sous-médicalisées et, plus généralement, le développement de ses missions de professionnel de santé. Si l’idée est avalisée par d’autres acteurs du monde de l’officine, comme l’Association de pharmacie rurale (APR), elle ne fait pas l’unanimité.
Vrai doctorat
« Le Quotidien du Pharmacien » a posé la question à ses lecteurs sur son site le 19 février dernier. Au 3 mars, 41 % des 450 internautes ayant répondu au sondage sont favorables à ces huit années d’études, 59 % s’y opposent. Parmi les nombreux commentaires reçus sur notre site, les plaidoyers en faveur de cet allongement sont pourtant majoritaires.
Mathieu M., étudiant en 6e année filière officine, y voit une bonne manière de « valoriser notre diplôme, d’avoir un vrai doctorat reconnu dans l’Union européenne ». L’étudiant n’est pas à cours d’idées. Une refonte des études permettrait d’acquérir ou d’approfondir de nouvelles compétences voire de nouvelles missions : vaccination, entretiens pharmaceutiques, pratique des TROD (lorsqu’ils seront à nouveau autorisés en pharmacie), renouvellement d’ordonnance, prescription d’examens biologiques…
Car, estime-t-il, certaines matières sont aujourd’hui « trop survolées » comme l’aromathérapie, la phytothérapie, l’homéopathie, l’orthopédie, le maintien à domicile, la gestion, la comptabilité… Mathieu M. a un autre argument choc en faveur d’un DES en 8 ans : « Rester à 6 ans d’études finira par estomper complètement notre image de professionnel de santé et c’est le meilleur moyen de finir chez Leclerc. » Ce raisonnement a fait mouche.
Il a fait changer d’avis Laurent T., pharmacien, et recueille tant l’approbation d’autres étudiants, comme Guillaume C., que celle de confrères en poste, comme L. Marie-Odile M. : « Diplômée en 1976, mais entièrement d’accord avec vous. » Parmi ces lecteurs plébiscitant les 8 années d’études, les propositions fusent sur leur contenu futur. Ainsi, cet internaute qui aimerait que la formation des pharmaciens soit améliorée en pharmacologie et sémiologie (notamment le conseil et l’éducation thérapeutique), ainsi que « sur la gestion des premiers secours », sur la gestion et le management d’une officine.
Pour Ocene g., étudiante en 4e année, l’allongement des études devrait permettre d’alléger les précédentes années « bien chargées ». Émilie D. approuve : « Les études sont extrêmement denses, on subit le bourrage de crâne et on bâcle certaines disciplines par manque de temps et non par manque d’intérêt. » Certains raisonnent par défaut, comme Nicolas T., pharmacien, qui ne voit pas d’autre choix que de « se conformer à l’uniformisation européenne », car « 6 ans ça n’existe pas en Europe, c’est 5 ans niveau master ou 8 ans niveau doctorat », et il est « impensable » de baisser le niveau, « donc il faut l’augmenter ».
D’autres urgences à régler
En revanche, Thilo D., pharmacien diplômé en 1991, ne voit aucun intérêt à ces deux années supplémentaires, « surtout pour être déconsidéré comme c’est le cas actuellement ». Aurélien P. le rejoint en affirmant que « passer à 8 ans ne protégera en rien la profession de passer chez Leclerc ». Selon lui, « tant que les difficultés économiques réelles et profondes de la profession ne seront pas jugulées et réglées, il faut dire non ! ». André R. est bien d’accord, « six ans sont assez tant que l’État n’aura pas donné les moyens à l’officine de jouer pleinement son rôle de pharmacien clinicien ».
Cette vision est assez proche de celle de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « Les six ans actuels sont largement suffisants à condition de les réadapter aux missions du pharmacien ; mais deux ans supplémentaires ne sont pas nécessaires à cela », affirme son président, Gilles Bonnefond. Et s’il faut s’adapter à la LMD, ce sera avec la pharmacie clinique. Certaines facultés, comme celle de Grenoble, ont déjà ajusté avec succès le stage de sixième année à la pharmacie clinique et à l’accompagnement du patient.
De son côté, Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP), qui n’a pas encore eu le retour des conseils centraux et la délibération du conseil national, s’exprime en son nom propre : « La profession officinale a vraiment d’autres urgences à régler (…) Les études pharmaceutiques sont déjà dans le schéma LMD (…) Il me semble plus raisonnable d’attendre au moins son évaluation, les premiers étudiants qui l’ont suivi sur l’ensemble de leur parcours sortant en juin 2016. »
Une opinion partagée par Jean Calop, professeur émérite de l’UFR de pharmacie de Grenoble, qui rappelle que « la précédente réforme des études vient tout juste de se terminer et il faut le temps de digérer, de stabiliser et d’évaluer ». Pour lui, « l’urgence reste surtout d’introduire plus de professeurs ou de maîtres de conférence associés issus de la profession » et de donner aux étudiants une formation qui colle « aux pratiques professionnelles ».
En revanche, l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF) « n’est pas opposée à un allongement des études », pourvu que la formation accentue l’apprentissage en lien avec les nouvelles missions. Si le débat demeure ouvert, l’association indique qu’en cas de remise en cause du titre de docteur en pharmacie, « l’allongement des études, via l’acquisition de nouvelles compétences, pallierait une éventuelle remise en question de l’expertise du pharmacien sur le médicament ».
Au final, davantage que la durée des études, c’est leur contenu qui fait débat, aussi bien au sein de la communauté universitaire que parmi les pharmaciens en poste et leurs représentants syndicaux, associatifs ou ordinaux. L’appel à « faire le ménage » dans le contenu actuel de la formation initiale, lui, est unanime.
Réponses reçues au 3 mars 2016.
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