Les mutations du modèle officinal

Se regrouper pour affronter la modernité

Publié le 26/10/2015
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Depuis leur origine, les groupements ont toujours précédé les évolutions professionnelles de la pharmacie. Instigateurs de la modernité de l’officine, ils ne relâchent ni leur réflexion, ni parfois leur provocation, pour repousser les limites du modèle officinal et, avec lui, de son environnement tout entier. Les groupements n’en restent pas moins des repères pour près de huit pharmacies sur dix.

La profession a des raisons d’être pessimiste. Ses 22 000 titulaires manquent de visibilité. Ils sont désillusionnés sur les nouvelles missions, tandis que l’honoraire et la rémunération sur les objectifs de santé publique (ROSP) soulèvent de nouvelles inconnues. Les étudiants choisissent la pharmacie par défaut, et plus encore, l’officine par dépit. Quant aux adjoints, ils sont souvent bien en peine de trouver leurs missions, sans parler de plan de carrière.

Les groupements refusent cependant de jouer les Cassandre. Ils s’y refusent d’autant plus que « ces signaux ne seront pas perçus positivement ni par les banquiers, ni par l’opinion publique. Ne balançons pas des messages négatifs », met en garde Pascal Louis, président du CNGPO.

Dépasser les clivages

L’optimisme, voire l’enthousiasme qu’affichent les groupements est davantage qu’une simple question de posture. Il s’agit de poser un constat somme toute prometteur. « L’officine est devenue incontournable dans le modèle de santé actuel », affirme Pascal Louis. À la profession désormais de donner corps à ce credo. « Aucune entreprise n’a révolutionné son exercice sans réfléchir à sa structure », assène-t-il en toute légitimité, puisqu’il a été l’un des instigateurs du premier rassemblement des groupements.

En effet, groupements et enseignes sont les fers de lance de cette métamorphose. La création de leur chambre syndicale, Federgy, à l’automne 2014, a signé ce nouveau départ. Fédérant 18 groupements et enseignes, elle dépasse tous les clivages, avec pour seul objectif de représenter les intérêts de tous les groupements. « J’avais une vision précise, lui donner un fonctionnement de syndicat, une façon de communiquer et de travailler par commission. Imaginez, les syndicats de pharmaciens ont des difficultés à parler d’une seule voix, et moi j’ai réussi à unir tous les groupements, se félicite Christian Grenier, président de Federgy. Les groupements de Federgy ont un projet d’avenir pour la pharmacie d’officine, un projet commun qui nous soulève et nous fait marcher. Les groupements ont une vision de la pharmacie, ils sont l’avenir de la pharmacie ».

Depuis un an, la chambre syndicale n’a de cesse de labourer le champ politique et institutionnel. Véritable aiguillon de la profession, elle n’hésite pas à jouer l’élément perturbateur. Au risque d’effaroucher plus d’un pharmacien, Christian Grenier revendique la double fonction de professionnel de santé et de commerçant, ainsi que l’appartenance de la pharmacie au commerce associé. Ce statut lui vaut, entre autres, la pleine reconnaissance du concept d’enseigne. « Selon les estimations, dans les cinq ans à venir, un pharmacien sur deux sera en enseigne, à l’instar de tous les autres commerces modernes. Je crois en effet que l’enseigne va faire partie du paysage de la pharmacie. L’enseigne et la marque propre vont accompagner les pharmaciens », affirme Christian Grenier.

Délégation d’achats

Toujours dans un souci de lancer la pharmacie sur des pistes prospectives, les groupements revendiquent le droit à la communication et exigent auprès de l’Ordre des pharmaciens, la tenue des assises de la communication. Ils revendiquent des outils modernes et un assouplissement des sites marchands dans le respect, bien entendu, des normes de sécurisation du e-commerce. Les groupements vont plus loin encore. Ne cessant de provoquer les mutations de l’officine, ils se font force de propositions. « Nous nous sommes exprimés en faveur des centrales d’achat auprès du ministère de l’Économie et de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et nous avons déposé un amendement en ce sens », rappelle Christian Grenier, insistant sur le mode d’achats, élément clé de l’économie de l’officine.

Pour autant, il ne s’agit pas de se limiter aux fonctions de négociations d’un groupement d’intérêt économique (GIE) mais bien d’entrer dans une dimension de groupement, « modèle de tous les commerces modernes organisés du monde entier, définit le président de Federgy. Ils ont une centrale d’achats, mais aussi une centrale de services et une centrale de référencement ». Les groupements de pharmacies peuvent tout cela à la fois. En leur déléguant leur fonction achats, les pharmaciens peuvent s’adonner délibérément à leur cœur de métier. Ce message que Christian Grenier dit avoir reçu du ministère de l’Économie se trouve confirmé selon lui, dans un exemple récent issu de la grande distribution : « Le groupe Métro s’est groupé avec Auchan pour lui abandonner sa fonction d’achat. »

Mais les groupements failliraient à leur mission de visionnaires s’ils n’anticipaient pas sur le modèle économique. S’il n’appartient pas aux mandats de Federgy de se prononcer sur l’honoraire, la chambre syndicale ne manque pas pour autant d’analyse économique.

Explosion d’un modèle

Pour Christian Grenier, il est utopique de viser un retour à l’équilibre avec un modèle dominé par le générique. « En 2020, le générique fera 60 % en volume et 25 % en valeur. Attendez-vous à avoir des augmentations de volumes, mais attendez-vous à ne plus avoir d’augmentation de chiffres. C’est fini », déclare, lapidaire, le président de Federgy. Selon lui, l’arrivée massive du générique ne va pas seulement faire exploser tous les business models de l’officine, mais également ceux de la distribution et de l’ensemble de la chaîne du médicament. « Tout le monde se demande ce qu’il fera avec un produit qui vaudra un euro l’unité », déclare-t-il, ajoutant que le premier répartiteur de 2020 sera « le génériqueur ». « Même Sanofi à la bonne époque, quand il disait « je suis le plus fort du monde », ne rentrait qu’un médicament sur cinq dans toutes les officines. Dans cinq ans, le génériqueur rentrera six médicaments sur dix », poursuit-il. Une mutation en profondeur de la pharmacie apparaît alors comme une évidence. « Il y a beaucoup de choses développer sur la partie marchande de la pharmacie, quand on dit qu’on veut un projet global, ce n’est pas seulement le médicament et l’honoraire », promet Christian Grenier.

Cependant, l’officine seule ne pourra relever ce défi. Pour évoluer en terme de commerce, elle doit s’appuyer sur des outils communs mutualisés. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas utiliser les outils groupés dont disposent leurs groupements nationaux ? Elle serait ainsi équipée pour répondre aux attentes des patients et être ce que Christian Grenier définit comme « le meilleur commerce professionnel du monde ».

M.B.

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3211