LE CHEMIN PARCOURU laisse les partenaires étourdis. Réunis à l’occasion de la Journée de l’Économie organisée par « Le Quotidien », ils ont pu faire le point sur l’année écoulée et sur la mise en place du libre accès dans les officines françaises.
Le libre accès a vu le jour le 1er juillet 2008, après avoir suscité, quelque temps auparavant, de vives polémiques, souvent très hostiles. « Il y a trois ans, on ne pouvait aborder le sujet auprès de l’ensemble des intervenants du secteur de la santé, y compris les pharmaciens et les consommateurs », se souvient Éric Maillard, vice-président de l’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA). La rapidité de la mise en œuvre de la réforme a pu surprendre et expliquerait en partie un retard au démarrage. Une étude de Call Medi Call, décryptée dans « Le Quotidien » du 1er octobre, mesure effectivement peu d’évolution en termes d’acceptation du libre accès de la part des officinaux. Menée en deux vagues quelques semaines avant l’autorisation du libre accès et un an plus tard, l’étude révèle que les pharmaciens sont 53 % à ne pas l’avoir mis en place, un taux équivalent à celui des officinaux qui ne pensaient pas mettre en place la réforme un an avant. La première raison invoquée n’a pas évolué non plus : un manque crucial de place dans l’officine pour pouvoir installer une zone dédiée suffisante sans avoir à déplacer d’autres produits habituellement placés devant le comptoir.
En douceur.
Pour autant le nombre d’officines engagées dans le libre accès n’a cessé d’augmenter en un an. Notamment parce que les pharmaciens qui affichaient leur volonté d’intégrer une zone libre accès ont finalement été rejoints par les indécis. La progression s’est faite en douceur, commençant à 20 % d’officines équipées en septembre 2008 (données FSPF), 29 % le mois suivant (données Median Conseil), 39 % en mai dernier et enfin 44 % en juin 2009 (données IMS).
« Il y a deux ans, 76 % des pharmaciens étaient opposés à la mesure, rappelle Hugues Lecat, directeur général de la Cooper. Parce que le médicament n’est pas une marchandise comme les autres, tout comme son circuit de distribution. Les pharmaciens se mettent doucement à la mesure, ils ne veulent pas d’une pharmacie transformée en supermarché du médicament, mais contrôler la dispensation du médicament, ce que les patients prennent en libre accès. On ne peut pas transformer la pharmacie en GMS, c’est ce que Cooper disait il y a deux ans déjà aux côtés du pharmacien et il faut continuer dans ce sens-là. »
Certaines réponses tirées de l’étude Call Medi Call sont particulièrement étonnantes : 80 % des pharmaciens indiquent que le libre accès n’a pas d’impact sur leur conseil, comme il n’a pas d’influence sur les ventes (65 %) ou sur les prix pratiqués (50 %). Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) modère ces résultats en présentant la progression des ventes en unités sur les trois dernières années, des médicaments autorisés au libre accès.
Pierre d’achoppement.
« On remarque aussi une baisse des prix entre 2007 et la fin août 2009, de 3,9 %. Nous devons continuer à travailler la Charte que nous avons signée avec les industriels et poursuivre le resserrement des prix. »
La problématique des prix reste, un an après l’autorisation du libre accès en officine, la pierre d’achoppement principale entre les différents acteurs du projet. Gilles Bonnefond, président délégué de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), rappelle son désaccord avec les autres signataires de la Charte, le poussant à se retirer de l’observatoire des prix. « Il ne mesure que le prix final et non les efforts de chacun des partenaires. La ministre a demandé un effort commun et non uniquement de la part du pharmacien. Cet observatoire ne sert à rien sauf à faire dire que le pharmacien ne joue pas son rôle parce qu’on ne pourra pas continuer à baisser les prix quand les tarifs industriels continuent d’augmenter. » Considérant que seul le réseau officinal - ou presque - s’escrime à maintenir des prix raisonnables, Gilles Bonnefond parle même de tarifs industriels qui progressent encore, parfois de manière insidieuse. « Réduire la quantité sur une présentation en gardant le même prix, par exemple quand un tube passe de 100 à 75 ml et qu’il reste au même prix, c’est une façon déguisée d’augmenter de façon assez conséquente le prix de base du médicament. »
Reconnaissant le problème de ne pouvoir mesurer les prix pratiqués par les laboratoires auprès des pharmaciens, Éric Maillard explique la complexité du dossier.
« Aujourd’hui on parle de prix catalogue et c’est un biais, il faut parler en prix nets, mais il est très difficile d’y avoir accès. Nous sommes en discussion pour savoir si c’est techniquement possible. Cela n’a jamais été fait, dans aucun autre secteur industriel. D’autre part, nous sommes sur une logique de prix libres. Nous ne pouvons pas faire n’importe quoi sous peine de voir intervenir la DGCCRF*. »
Néanmoins, Éric Maillard relativise l’importance des prix pour le consommateur. « Selon une étude que nous avons menée, 78 % des Français ne connaissent pas les prix des médicaments. Cette problématique n’existe pas pour le consommateur. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire d’effort. Il est de notre responsabilité de donner accès aux soins au meilleur prix. » Une affirmation qui fait bondir Gilles Bonnefond. À ses yeux, le prix est un problème central puisque les pharmaciens sont chaque jour confrontés à la concurrence entre confrères, à l’attitude critique des patients, et aux enquêtes de consommation qui n’hésitent pas à les montrer du doigt… « En substance, la ministre nous a dit que, pour garder les médicaments dans notre seul circuit de distribution, il fallait être compétitifs sur les prix. C’est bien la preuve que le prix compte ! », s’insurge-t-il.
Améliorer le pouvoir d’achat.
Philippe Gaertner rejoint l’idée de l’importance des prix des médicaments. « La FSPF avait tardé à signer la Charte en partie à cause de l’absence d’un double suivi des prix. En tant que syndicat nous restons attentifs à la problématique du prix, en particulier aux écarts de prix (prix public et prix d’achat du pharmacien). »
De son côté, Catherine Morel, vice-présidente de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) reconnaît que cette problématique du prix est avant tout un souci d’officinal. « Toutefois, lorsqu’il fait sa commande de réassort et qu’il voit le prix industriel qui lui est appliqué, pour un même montant de remises, mais augmenté de 7,80 %, il sait qu’il ne va pas pouvoir ajuster son prix public de +7,80 %. Le souci concerne bien le pharmacien et le patient. »
D’autant que l’un des objectifs du libre accès s’inscrit bien « dans le souci d’améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs », note Danielle Golinelli, adjointe à la sous-direction de la politique des pratiques et des produits de santé de la Direction générale de la santé (DGS). Un objectif qui s’ajoutait donc à celui de faciliter l’accès des médicaments au grand public, « d’accompagner les patients dans leurs souhaits d’être réellement acteurs de leur santé et donc les aider à se responsabiliser, notamment en leur fournissant l’information claire et de qualité nécessaire, mais il n’a jamais été question de développer le marché de l’automédication parmi les objectifs liés au libre accès. »
Tentative d’apaisement.
Hors problématique du prix, les partenaires du libre accès semblent relativement en accord, que ce soit sur l’importance du conseil pharmaceutique qui doit être renforcé et la volonté de faire entrer le libre accès dans la logique des nouvelles missions de l’officine qui devient premier recours dans le parcours de soins. Un souhait rendu possible par les mises à jour régulières de la liste des médicaments autorisés devant le comptoir. La dernière actualisation, datant de juillet et disponible sur le site de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), compte 302 références, dont 260 en allopathie, 24 en homéopathie et 18 à base de plantes. « Une croissance forte, note Éric Maillard, puisque nous sommes partis de 272 il y a un an. Même si nous sommes encore loin de ce que nous souhaitons atteindre, tout laisse à penser que la croissance va se poursuivre dans les mois qui viennent. »
L’échange entre syndicats de pharmaciens, représentants du ministère et de l’industrie pharmaceutique, se termine sur une tentative d’apaisement de Philippe Gaertner. « En tout état de cause, la chaîne du médicament doit travailler ensemble sur tous les sujets, dont le libre accès. Chaque fois qu’on mettra tout le monde autour de la table, en gardant pour objectif l’intérêt à la fois des acteurs de la chaîne et du patient, on avancera. J’appelle de mes vœux à ce que nous continuons à travailler ensemble pour un meilleur accompagnement, pour remplir cet objectif de soins de premier recours. Oublions le passé, tout cela permet de faire avancer l’intérêt de tous au profit du patient. »
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