LA TENDANCE est forte et marquée dans les chiffres. Ces dernières années, les sociétés d'exercice libéral (SEL) ont pris, plus encore, leur essor. On en recense aujourd'hui près de 5 000. « Depuis 1990, les SEL ont connu un succès légitime au regard des avantages qu'elles apportent au pharmacien, sur les aspects fiscaux et sociaux. À l’inverse, les formes traditionnelles, mais à risques, comme l'exercice en nom propre ou en nom collectif, perdent de la faveur », constate Jean-Jacques Zambrowski, économiste de la santé. Outre les dispositifs existants, de nouvelles formes juridiques sont sur le point d'émerger. Elles se doivent de prendre en compte la situation économique des officines. Et aussi leur bonne répartition sur le territoire. Sans oublier les nouvelles missions qui vont désormais incomber aux pharmaciens.
« Il faut mettre cela en perspective avec la délégation des tâches, estime Jean-Jacques Zambrowski. On va confier des missions au pharmacien, qui nécessitent du temps, de l'espace, du personnel et des compétences. Cela se comprend mal dans les petites officines ne disposant que d'une ou deux personnes ». Ces nouveaux modèles sont les SPF-PL (sociétés de participations financières de professions libérales), instituées par la loi de modernisation de l'économie (LME), il y a un peu plus d'un an. Ses décrets d'application sont, depuis, très attendus par la profession. Jean-Jacques Zambrowski rappelle que les nouveaux schémas juridiques, et notamment les holdings, n'ont rien à voir avec les chaînes de pharmacie, qui verraient l'entrée au capital des entreprises officinales des non-pharmaciens. Depuis la décision de la Cour européenne de justice, au printemps dernier, la mise en place de chaînes de pharmacie est laissée à l'appréciation du législateur dans chaque état de la Communauté. L'actuel ministre français de la Santé s'est prononcé contre cette possibilité à plusieurs reprises. « Mais cette position est susceptible d'être révisée par un décideur politique qui pourrait, un jour, aller au bout d'une volonté différente. Au plan juridique, cette éventualité est possible dès demain matin », temporise l'économiste de la santé. Si elle est écartée pour le moment, il n'en demeure pas moins que la constitution du réseau doit évoluer.
Pas de cascades.
Des propositions diverses se font jour. L'Ordre des pharmaciens avance un nouveau projet, par la voix de Jean-Charles Tellier, président du conseil central A (titulaires). « Nous voulons conserver un maillage le plus harmonieux possible et éviter d'avoir des pharmacies qui n'auraient d'activité que quelques jours par semaine », explique t-il. Le projet consiste en une SEL comprenant trois officines, avec un pharmacien titulaire pour chacune d'elles. L'ensemble serait coiffé par une quatrième SEL. « Le chiffre de trois officines a été choisi pour son adéquation avec les réalités du territoire », souligne le représentant de l'Ordre. Selon lui, ce système aurait des avantages, d'abord au plan économique, fiscal et comptable. Et il permettrait d'opérer un transfert de personnel entre ces officines détenues par un seul employeur. « Il y aurait possibilité de disposer de diplômés ou de spécialistes à l'endroit et au moment où l'on en a besoin. De toute façon, on ne peut pas avoir des spécialistes de tout dans toutes les officines ». Ce montage n'a rien à voir avec un système de participations « en cascade », que Jean-Charles Tellier rejette. « Toutes les sociétés se trouvent bloquées d'un seul coup, lorsqu'un pharmacien situé tout en haut de la cascade veut céder ses parts. Avec le modèle que nous présentons, il n'y a pas d'autres participations ». Par ailleurs, pour le responsable ordinal, les holdings permettent le financement de l'officine. « On ne voit pas pourquoi, à l'heure actuelle, on n'en bénéficierait pas. Ce qui est intéressant, pour la profession, c'est que la holding permet une cession plus aisée des parts de SEL. Cela pourrait être limité au niveau d'une SPF-PL. » Pour Jean-Charles Tellier, on peut imaginer d'intégrer les adjoints travaillant dans une SEL dépendant d'une SPF-PL. Ils pourraient ainsi garder leur statut de salariés et aussi être des investisseurs. « C'est un moyen d'ouvrir le capital. L'implication directe de salariés dans la SEL fait qu'automatiquement ils en deviennent titulaires. »
Holdings et succursales.
Le président du Conseil central A constate par ailleurs que la plupart des capitaux de l'officine s'évadent lorsque le titulaire cesse son activité. « Peu de pharmaciens laissent les capitaux tirés de leur activité dans l'entreprise officinale, sauf lorsqu'ils ont exercé en SEL. Dans ce cas, ils peuvent conserver une participation minoritaire, soit 49 % des parts au maximum, pendant une durée de dix ans ». Selon Jean-Charles Tellier, cette possibilité est de plus en plus usitée, permettant d'attirer des capitaux à travers la SPF-PL. « C'est une vision patrimoniale et économique de l'officine que nous voulons développer à travers ce projet ». Celui-ci a été discuté avec l'ensemble de la profession. « Nous ne sommes pas tous d'accord, mais ce sont les prémices d'une réflexion globale », admet le président de la section A. Et d'ajouter : « Nous ne pouvons pas continuer à laisser prospérer un certain nombre de SEL telles qu'elles existent aujourd'hui, en ne permettant pas à ceux qui souhaitent en sortir à le faire dans de bonnes conditions ».
De son côté, Pascal Louis a rappelé le projet du Collectif national des groupements de pharmaciens d'officine (CNGPO), qu'il préside. Présenté au printemps dernier, il vise à la mise en place de holdings comprenant plusieurs officines succursales. « Nous avons voulu engager un débat. Mettre tant de convictions dans un projet fait qu'il est difficile à reprendre par d'autres entités représentatives de la profession », constate Pascal Louis. Selon lui, « le regroupement est une solution intelligente qui correspond à des cas précis. Mais il est trop limitatif et ne suffira pas à restructurer le réseau. » Le projet ordinal ne soulève guère plus l'enthousiasme du président du CNGPO. « Le système de trois pharmacies détenues par une SEL oublie quelques critères commerciaux. Il peut correspondre à certains besoins, mais je crains qu'il ne soit pas assez ambitieux. Je m'inquiète de ce que ce projet rencontre des oppositions s'il est proposé un jour à des instances supérieures », argumente Pascal Louis. Il revient sur ce qui a animé la réflexion du CNGPO. Les termes holding et succursales peuvent choquer au sein d'une profession qui n'a pas l'habitude de les employer, concède Pascal Louis. Et le président du Collectif d'évoquer le modèle économique de pharmacies succursalistes existant déjà en Allemagne.
L’appui des adjoints.
Outre Rhin, une pharmacie principale achète une, deux ou trois officines succursalistes. Il s'agit donc d'une entité juridique qui détient 4 officines, ce qui revient à une seule officine avec 4 points de vente. Pour Pascal Louis, toutes ces officines conservent leurs propres licences. « En France, il n'y aurait donc pas de risque en terme de service rendu au patient et au niveau de la répartition géographique ». Pour que le modèle soit performant, ces 4 officines doivent être installées dans un périmètre relativement restreint. « Nous ne souhaitons pas que ce soit une obligation mais, pour travailler en synergie, il faut que les officines soient proches les unes des autres, dans le même bassin de vie. » Au plan économique, les coûts seraient rationalisés. Dans le modèle français, ce type de structure serait une société incluant 1 à 6 pharmaciens. Le nombre de diplômés propriétaires n'est donc pas attaché au nombre d'officines. Pascal Louis précise que ce système n'est pas un obstacle à l'installation des jeunes confrères. Chaque officine serait gérée par un pharmacien. Deux pharmacies peuvent être détenues par les titulaires. « Il n'est pas aberrant que les autres le soient par des adjoints qui ont les mêmes capacités et les mêmes diplômes que les titulaires », souligne le président du CNGPO.
Pour renforcer la crédibilité de son projet, Pascal Louis affirme qu'il a « spontanément été soutenu par le Conseil central D de l'Ordre des pharmaciens, représentant des adjoints ». « On leur offre un vrai plan de carrière, par rapport à ce qui leur est proposé aujourd'hui dans des structures pas très importantes. Ils ont la possibilité de se spécialiser, de détenir la gestion d'une officine, de bénéficier d'un intéressement », ajoute Pascal Louis. En cas de cessation d'activité d'un pharmacien, pas de problème, car une licence est attachée à chacune des pharmacies. « Rien n'empêche d'éclater cette société, comme tout commerce traditionnel. Le système est à la fois montable et démontable très facilement », plaide Pascal Louis. Il souhaite que ses propositions soient partagées et retravaillées, afin qu'un projet finisse par voir le jour rapidement. « Si le modèle tel qu'il existe pouvait perdurer, nous ne nous poserions pas de questions. Nous allons subir des pressions économiques. Il ne faudrait pas qu'elles régissent l'organisation de notre réseau », prévient le président du CNGPO.
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