AUTOSANTÉ, autosoin, le self-care cherche encore sa traduction française. Mais ce qu’il désigne est vaste et difficile à expliquer en quelques mots. Le self-care repose d’abord sur une responsabilisation et donc une implication forte de l’individu, en ce qui concerne sa santé et son bien-être, avec l’aide des professionnels de santé. Un état d’esprit qui tend à se développer en France, chaque citoyen devenant de plus en plus acteur de sa santé. Pour les industriels, le marché du self-care recouvre trois types de produits de santé vendus en pharmacies sans ordonnance et non remboursés : médicaments d’automédication, dispositifs médicaux et compléments alimentaires. « C’est une orientation stratégique de l’AFIPA* depuis début 2013, le self-care est une évolution naturelle et nous prenons ainsi le marché dans son ensemble car il y a beaucoup de perméabilité entre les trois catégories de produits », explique Pascal Brossard, son président.
L’AFIPA ne s’intéresse donc plus aux seuls médicaments d’automédication (médicaments de prescription médicale facultative, remboursables ou non, vendus sans ordonnance), et élargit sa vision aux dispositifs médicaux (également vendus sans ordonnance) et aux compléments alimentaires. « Notre domaine d’activités est donc devenu le self-care. Les politiques au niveau européen, et même au-delà, comprennent que le self-care au sens large est un moyen de régler un certain nombre de problèmes qui se posent à nos sociétés occidentales. Il y a un intérêt croissant pour la prévention, le diagnostic et les soins car le self-care permet de conserver une bonne santé tout en évitant des coûts à la collectivité », précise Pascal Brossard.
Responsabiliser le patient.
Un préambule qui présage d’une considération politique différente en France. L’AFIPA a récemment proposé une série de mesures pour faire du self-care une priorité. Parmi celles-ci, la mise en œuvre d’un avantage fiscal pour les patients qui achètent des médicaments sans ordonnance permettrait de les inviter davantage à se soigner par eux-mêmes, sans passer par la case médecin pour des pathologies bénignes, et ainsi à financer eux-mêmes leur traitement sans solliciter la collectivité.
L’AFIPA réclame aussi de ramener le taux de TVA de ces médicaments d’automédication à 2,1 %, comme les médicaments remboursables. D’autant que le passage de ce taux de 5,5 % à 10 % en deux ans a entraîné une augmentation mécanique des prix de 4 %. « Ce taux de 10 % est un scandale. On plombe les médicaments d’automédication alors qu’ils permettent de faire des économies à la collectivité. »
L’association demande également une politique de délistage forte pour renforcer l’offre de médication familiale et à ce que les politiques « définissent clairement les indications qui doivent relever de la responsabilité individuelle et celles qui relèvent d’une prise en charge collective et solidaire ». Une réclamation qui a reçu peu d’écho jusqu’alors. « Cela permettrait pourtant d’éclaircir le débat une fois pour toutes, et de responsabiliser le consommateur. C’est le cœur du sujet, que ce soit pour l’automédication, les compléments alimentaires ou les dispositifs médicaux : il faut responsabiliser le patient sur les pathologies bénignes, de la vie de tous les jours. »
Des produits frontière.
Actuellement, le marché du self-care est stable à 589 millions d’unités vendues en 2013, pour un chiffre d’affaires de 3,3 milliards d’euros. Néanmoins, dans le détail, l’AFIPA note que la médication officinale chute de 2 % pour le remboursable et de 3,3 % pour le non-remboursable. Selon le 12e baromètre de l’AFIPA (Étude Celtipharm, panel Xpr-SO de 3 004 pharmacies représentatives), le marché baisse globalement de 3 % à 2,2 milliards d’euros et tous les segments thérapeutiques sont touchés. La part des dispositifs médicaux (DM) est plus faible avec un chiffre d’affaires de 622 millions d’euros, « mais elle est en forte progression, à 4,3 % », tandis que les compléments alimentaires enregistrent des revenus de 600 millions d’euros et affichent « une progression encore plus forte de 6,2 % ».
La baisse en valeur et en volume des médicaments d’automédication s’explique par des pathologies hivernales peu nombreuses et une baisse de la fréquentation des officines. En revanche le dynamisme des compléments alimentaires et des dispositifs médicaux reposerait principalement sur les investissements importants de certaines marques et sur le report de la part des patients qui passent du médicament sans ordonnance à ces catégories de produits. « Il existe des produits un peu frontière entre médicaments, d’une part, et dispositifs médicaments et compléments alimentaires, d’autre part. Il faut être honnête, ce sont des produits plus faciles et plus rapides à lancer en termes de réglementation », souligne Pascal Brossard.
Il s’agit donc d’un changement observé non seulement chez les consommateurs, mais aussi chez les fabricants, comme le note Gilles Alberti, directeur du développement à la Cooper. « On assiste à une dérive des produits avec AMM vers des produits ayant d’autres statuts, notamment des statuts hors marché du self-care : les cosmétiques et les biocides. Non seulement c’est une facilité au niveau réglementaire, mais pour les laboratoires qui choisissent de développer un statut de complément alimentaire plutôt que de médicament, cela leur permet de bénéficier d’un taux de TVA de 5,5 % et non de 10 % ! Cela entraîne une dégradation progressive du marché des AMM qui perd des parts de marché au profit d’autres statuts de produits. »
Un marché en croissance.
Le marché mondial des compléments alimentaires est donc en croissance. La part de la France reste néanmoins limitée par rapport aux mastodontes d’Asie Pacifique et d’Amérique du Nord. Le chiffre d’affaires à l’officine est de 600 millions d’euros. Si tous les circuits de distribution sont cumulés, le marché français s’élève à 1,3 milliard d’euros. « La pharmacie représente 50 % de ce marché, le reste est vendu en parapharmacies (6 %), en GMS (7 %) et en magasins spécialisés (17 %). La vente sur Internet est très difficile à calculer mais elle est en forte augmentation », explique Alban Maggiar, président du Synadiet**. La vente sur Internet associée à la vente par correspondance et la vente à distance, représente ainsi 21 % du marché.
Les segments leader en pharmacie sont minceur/drainage, tonus/vitalité, tous deux en forte croissance, et bien-être (grossesse, articulations, confort urinaire) qui connaît un léger recul. « Le consommateur actuel est de plus en plus soucieux de son bien-être et de son hygiène de vie, il porte une grande attention à son apparence et à sa santé, et enfin les produits de santé dits naturels bénéficient d’une image tout à fait positive. Ce sont trois éléments très favorables au marché des compléments alimentaires », remarque Alban Maggiar. Auxquels il ajoute une certaine « médicalisation du marché ».
Les mutuelles proposent désormais la prise en charge de consultations de médecine douce, les déremboursements de médicaments et les récentes crises sanitaires orientent le consommateur vers une prise en charge différente qui bénéficie aussi à la nutrithérapie. « De plus, on constate un intérêt croissant de la part du corps médical pour nos produits : en 3 ans, l’achat de compléments alimentaires sur prescription médicale est passé de 20 % à 29 %. » En outre, selon une étude du cabinet Xerfi parue en avril 2013, « les pharmacies resteront le premier circuit de distribution de CA à l’horizon 2015, grâce à la confiance qu’elles suscitent et au rôle de conseil qu’elles jouent auprès des clients ».
Services nutritionnels.
Il n’est en effet pas toujours simple de s’y retrouver dans les allégations des compléments alimentaires. La Commission européenne a déjà effectué un grand nettoyage en 2012, approuvant 222 allégations et en éliminant 1 600… L’encadrement a été largement renforcé, mais certaines allégations autorisées ne sont pas d’une grande limpidité. « Nous avons fait un test auprès d’hommes politiques : 30 % se trompent dans la signification d’une allégation, 40 % indiquent spontanément qu’ils ne comprennent pas, et dans les 30 % qui trouvent la bonne réponse, un certain nombre avoue avoir répondu au hasard… C’est là que les pharmaciens ont un rôle à jouer. D’ailleurs le potentiel de l’officine est important car les segments qui augmentent sont ceux qui ont une forte problématique santé : articulations, circulation, confort urinaire, confort digestif, immunité, troubles cardio-vasculaires, vision… », note Alban Maggiar.
Reste que les équipes officinales ont besoin de se former à la nutrithérapie pour confirmer leur valeur ajoutée en termes de conseils. La tendance va dans ce sens puisque des officines mettent désormais en place des services nutritionnels particuliers, notamment dans l’accompagnement des seniors, des sportifs, des femmes enceintes, etc. D’autres proposent des consultations en nutrition et micronutrition avec un suivi, « ce qui fait revenir le patient-consommateur à l’officine et suscite un intérêt croissant ».
Pour autant, le marché des compléments alimentaires conserve un large potentiel de développement. La dépense moyenne par an et par habitant en France est de l’ordre de 16 à 18 euros, bien loin derrière les Finlandais, à plus de 60 euros par an, mais aussi derrière les Norvégiens, les Belges, les Italiens, les Danois, les Irlandais, les Allemands, etc. Pourtant, la France est le 3e consommateur de compléments alimentaires (derrière l’Italie et l’Allemagne).
Pouvoir d’achat.
En 2011, le marché des compléments alimentaires avait subi un ralentissement brutal lié à la nouvelle réglementation des allégations santé, mais aujourd’hui il a su rebondir et utiliser cet encadrement pour améliorer son image. L’AFIPA aimerait aussi pouvoir redorer le blason de l’automédication, mais la tâche est ardue. L’association regrette en effet que les politiques continuent à faire passer le message que les médicaments ont des prix trop élevés en France. Récemment encore, alors que le monopole officinal était sur la sellette et que les pharmaciens craignaient de voir des médicaments sans ordonnance en grande surface, les pouvoirs publics justifiaient cette possibilité par le fait de « redonner du pouvoir d’achat aux Français ». Or, étude à l’appui, l’AFIPA rappelle que les prix en France « sont les plus bas d’Europe avec ceux pratiqués au Royaume-Uni. Le prix moyen est de 4,50 euros alors que le prix moyen en Europe est de 6,20 euros ».
De la même façon, l’association s’insurge contre de fausses assertions telles que « les prix augmentent plus vite que l’inflation ». Elle souligne d’ailleurs que les prix augmentent moins vite que l’inflation, alors même que le taux de TVA est passé d’abord de 5,5 % à 7 %, pour finalement atteindre le taux de 10 %. Et ce grâce à la grande concurrence existant entre laboratoires pharmaceutiques et entre pharmacies d’officine. « Nous menons des études depuis 2008 et leurs résultats sont exactement à l’inverse de ce que prétend l’Inspection générale des finances (IGF), lance Pascal Brossard. Il est scandaleux que cette institution prestigieuse qui fonctionne avec les deniers publics puisse dire de telles choses, car cela lui permet ensuite d’affirmer qu’il faut sortir les médicaments du monopole pharmaceutique, alors qu’elle se base sur des chiffres erronés. »
Face à ces fausses assertions, beaucoup rêvent d’un droit à la communication pour le pharmacien, qui lui permettrait, en prime, de concurrencer à jeu égal les autres circuits de distribution qui vendent des compléments alimentaires, des dispositifs médicaux, des références de parapharmacie, etc. « Il est vrai que les autres structures qui vendent par exemple du matériel médical peuvent communiquer comme elles le souhaitent, alors que l’officine est contrainte de le faire uniquement entre ses murs », remarque Jacques Besnier, du Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO). Mais pour le moment, le sujet n’a pas encore évolué sur le plan législatif ou réglementaire.
** Syndicat national des compléments alimentaires.
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