La gestion du froid fait partie de ces passages obligés qui nécessitent investissements, rigueur et n’apportent pourtant rien de bien gratifiant à l’officine. Pour les patients, ce n’est pas un sujet, c’est une évidence, pour les pharmaciens, c’est une nécessité et une source de problèmes potentiels. En effet, longtemps les officines se sont contentées d’avoir un réfrigérateur domestique avec une sonde de température, aujourd’hui encore, certaines se font contrôler par les inspecteurs de leur ARS régionale et rappeler à l’ordre faute de ne pas disposer du matériel adéquat.
Les bonnes pratiques édictées par le Conseil National de l’Ordre en 2007 et 2009 forment le cadre normatif sur lequel se baser, elles affirment qu’il est nécessaire de disposer d’armoires thermostatiques adaptées à l’officine, dont les contraintes liées à la gestion de la chaîne du froid sont spécifiques, et très éloignées de ce qui se passe dans le domaine alimentaire par exemple.
C’est avant tout du froid « positif », les médicaments thermosensibles et vaccins doivent être conservés dans une fourchette entre +2 et + 8 °C, ce que les réfrigérateurs domestiques ne peuvent assurer. Les pharmaciens sont parfois gênés par l’absence de réglementation émanant du législateur lui-même, mais il n’y a pas de vide juridique pour autant. « Le Ministère de la Santé affirme que les bonnes pratiques font office de loi », déclare François Lerouge, directeur commercial de Medifroid.
L’ARS Rhône Alpes juge pour sa part que « la détention en vue de la vente de médicaments dans des conditions impropres est assimilable à une tentative de tromperie sur les qualités substantielles ou sur l’aptitude à l’emploi desdits médicaments, délit passible des peines prévues à l’article 213-1 du code de la consommation. » Voilà qui est clair.
Cartographie des armoires
Ce qui l’est moins, c’est que ces bonnes pratiques sont à interprétation variable, susceptibles de changer d’une région à l’autre. Cela, au moins, est maîtrisable, il suffit de s’informer le cas échéant de la position de son ARS régionale. Plus complexe est la recommandation liée à la qualification des enceintes.
Cette qualification doit apporter la preuve que la température est bien comprise dans la fourchette imposée par le CNOP, et cela passe par une cartographie sur les armoires thermostatiques de l’officine visant à mesurer la température en neuf points du volume utile et cela pendant 24 heures, une fois par an environ.
Une disposition qui a fait couler beaucoup d’encre car si elle est sensée du point de vue du respect de la chaîne du froid, elle n’est pas facile à mettre en œuvre pour les pharmaciens qui doivent solliciter parfois des organismes externes. Pour Luis Dos Santos, directeur commercial d’AJPL Pharma, cette recommandation n’est pas obligatoire, et de fait, les pharmaciens l’applique assez peu. « Ils ont la chance qu’il ne soit pas fait mention de la certification COFRAC », explique-t-il.
Cette certification qu’il faut obtenir auprès de l’organisme du même nom est imposée aux laboratoires d’analyses médicales pour leurs propres armoires thermostatiques. Certains prestataires semblent néanmoins avoir déjà intégré cet aspect du contrôle de la chaîne du froid en évoquant le caractère « cofragable » de certains de leurs produits, sous entendu, susceptibles de correspondre parfaitement aux normes COFRAC si un jour celles-ci venaient à être obligatoires.
On est dans une approche « faisons comme si… », alors que l’existant est déjà passablement compliqué. AJPL Pharma a par exemple demandé à son fournisseur attitré, l’Allemand Liebherr, de fabriquer des modèles répondant aux exigences des normes COFRAC (basées sur celles de l’AFNOR, la NFX – 15 140), avec neuf sondes, quatre en haut, quatre en bas et une au milieu de l’armoire. De fait, cela peut éviter de devoir faire appel à un organisme externe pour assurer la cartographie. Ce n’est toutefois pas nouveau, des kits de qualification existent depuis plusieurs années et permettent ainsi aux pharmaciens d’assurer cette cartographie eux-mêmes.
Au-delà de ce sujet délicat de la cartographie et de sa complexité, les armoires frigorifiques pour officine ont évolué de telle sorte qu’aujourd’hui, le contrôle de la chaîne du froid est plus facile. « Nos produits sont mieux isolés et par ailleurs, nous proposons différents dispositifs pour renforcer leur sécurité », affirme ainsi Luis Dos santos.
AJPL Pharma a prévu un système de rappel de porte automatique et d’un système anti congélation. La chaîne du froid est souvent brisée par de petits oublis, des gestes non achevés, d’imprudences diverses ou tout simplement de mauvais réglages, de tels dispositifs permettent de maintenir au mieux la sécurité des produits conservés dans ces armoires. C’est en effet en proposant de substituer la technologie aux pharmaciens et à leurs équipes pour les nombreuses tâches fastidieuses que l’évolution récente de l’offre a marqué des points.
La gestion du froid devient de plus en plus électronique. En témoigne le tout nouveau dispositif dévoilé par Médifroid lors de la dernière édition de Pharmagora, le « Touch Screen », une tablette tactile que l’on pose sur la porte de l’armoire thermostatique et qui assume un certain nombre de tâches liées à la sécurité et la traçabilité des médicaments. « Elle gère la fermeture électrique de l’armoire ainsi que l’accès aux médicaments selon des codes utilisateurs pour les produits les plus toxiques, elle automatise également le système d’alarme », décrit François Lerouge.
Alarmes immédiates
Longtemps, les pharmaciens ont du tout faire eux-mêmes, programmer l’enregistrement des températures sur l’enregistreur dédié, télécharger les données sur le logiciel abrité dans un PC, reprogrammer… Les technologies récentes, le Wifi notamment mais aussi la radio fréquence, permettent une communication plus immédiate : « les pharmaciens veulent du temps réel », affirme, Benoît Macé, responsable de Plug & Track chez l’éditeur informatique Proges Plus.
Cette société spécialisée dans les outils de mesure dans différents secteurs industriels propose son dernier né, le Thermotrack Webserve, un logiciel pour les enregistreurs de températures de la société qui permet de suivre jour et nuit l’activité de l’armoire thermostatique et d’envoyer des alarmes en temps réel. Rappelons que ces enregistreurs, ou sondes, sont placées aux endroits « stratégiques » de l’armoire. L’idéal est d’en avoir deux, recommandés par le CNOP, un en haut, un autre en bas.
En tout cas dans des endroits « stratégiques » : « il est intéressant de disposer un enregistreur dans un endroit défavorable, proche de la porte par exemple, s’il n’y a pas de dépassement là, c’est qu’il n’y a pas non plus de dépassement ailleurs », explique Benoit Macé. Les alarmes se sont accompagnées d’alertes lancées sur PC ou mieux encore sur smartphone : c’est devenu un facteur déclencheur de l’acte d’achat important selon Benoît Macé, qui précise par ailleurs l’importance de s’assurer qu’aucune des données enregistrées n’est susceptible d’être modifiée, aussi bien par la pharmacie que par le prestataire lui-même. « C’est un système de traçabilité non manipulable », souligne-t-il.
Ces alarmes sont notamment très utiles en cas de coupure d’électricité, sur lesquelles il peut y avoir encore des idées préconçues, comme par exemple le fait qu’une armoire frigorifique peut tenir les produits qu’elle contient à bonne température malgré une coupure électrique de plusieurs heures. « Une heure tout au plus », corrige Luis Dos Santos, « seuls les gros congélateurs peuvent tenir longtemps ».
L’alarme en temps réel est particulièrement demandée par les pharmaciens qui ont déjà eu des soucis avec de telles pannes et ont perdu de ce fait des sommes non négligeables. Ils vont parfois au-delà du SMS qui peut passer inaperçu et attendent des alertes par des appels. Rappelons que le CNOP demande des alarmes sonores et visuelles. Ces différents produits, enregistreurs avec systèmes d’alertes en temps réel sont fournis par les spécialistes des armoires frigorifiques mais pas seulement, d’autres prestataires comme Proges Plus mais aussi CCF Technologies et d’autres encore proposent des produits équivalents.
Les apports du cloud
La gestion du froid n’échappe pas non plus au très « tendance » cloud. Plusieurs prestataires disposent de telles offres comme Testo qui avec Severis 2 décharge le pharmacien de la nécessité d’héberger logiciel et données liées à la traçabilité. Distribué notamment par CCF Technologies, ce produit cloud permet lui aussi de générer des alertes, il crée également des rapports automatiques et stocke les données pendant 24 mois.
AJPL Pharma et Proges Plus ont aussi des offres cloud. « Les établissements de santé qui ont beaucoup d’armoires y ont volontiers recours, moins les pharmaciens, attachés à disposer leurs données sur leur serveur », remarque cependant Luis Dos Santos. Mais l’avantage du cloud dans la chaîne du froid d’être totalement déconnecté des données de santé personnelles des patients devrait prendre le dessus à terme, et alléger encore plus la tâche des pharmaciens.
Autant les solutions technologiques couvrent bien les étapes de la chaîne du froid en officine, autant sont-elles beaucoup moins riches et innovantes sur les aspects en amont et en aval, d’abord au moment de la réception des médicaments thermosensibles et des vaccins, et une fois dans les mains du patient.
La livraison de ces produits notamment en dehors des horaires d’ouverture peut constituer des ruptures dans la chaîne du froid, et les grossistes répartiteurs autant que les industriels et les pharmaciens n’ont pas encore totalement réussi à couvrir correctement la gestion « du dernier km » selon l’expression de Benoît Macé.
Médifroid propose un thermomètre à distance pour contrôler la température des produits livrés. De même en aval, il existe peu de solutions convenables pour maintenir la chaîne du froid entre la pharmacie et le domicile du patient. Médifroid en propose une, ainsi que la société Sofrigam qui a lancé sa pochette isotherme Igloo en avril dernier, capable de conserver des médicaments pendant une heure à une température de 5 °C.
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