L’unanimité semble de mise : les pharmaciens ont un rôle pivot dans le processus qui consiste à aider et suivre les patients hospitalisés à domicile. Mais, de fait, la réalité de ce rôle est bien loin de ce que l’on attend d’eux. La faute aux prestataires de santé à domicile qui par leur force commerciale sont parvenus à s’imposer en lieu et place des pharmaciens, des professionnels de santé d’une manière générale. Or, selon Michel Siffre, président de l’URPS PACA, c’est une situation qui s’est faite à l’insu des patients. « Quand ceux-ci ont le choix, ils préfèrent neuf fois sur dix des professionnels de santé, pharmaciens ou infirmières », affirme-t-il. D’où la volonté de différents acteurs du monde de la santé de proposer des outils et une organisation qui permettrait aux patients d’exercer leur choix en toute autonomie. Ils sont aidés en cela par l’évolution des technologies qui grâce au numérique facilite le suivi des patients. Il faut cependant aller au-delà de cet enjeu technologique et organiser ce suivi, en amont, et en lien avec l’hôpital.
L’expérience de l’URPS PACA
La première de ces technologies est… le téléphone, tout simplement. Ou du moins, une plateforme téléphonique reliant hôpital et médecine de ville, afin d’organiser la prise en charge du patient en HAD. C’est ce que l’URPS PACA a réalisé dans sa région, notamment avec le CHU de Nice. « Des opératrices spécialisées enregistrent toutes les données des patients et organisent en amont, avec les pharmacies ou les infirmières, la prise en charge qui suivra le séjour à l’hôpital », explique Michel Siffre. 1 250 pharmacies sur les quelque 1 900 que compte la région participent à ce projet. Le patient est orienté vers la pharmacie qu’il désigne le cas échéant, et si elle ne fait pas partie de celles qui ont adhéré au projet de l’URPS, la plateforme téléphonique se charge d’en trouver une voisine capable d’assurer sa prise en charge.
Mais il ne suffit pas de relier l’hôpital aux professionnels de santé de ville, il faut que ces derniers puissent communiquer entre eux. C’est justement là que les nouvelles technologies entrent en scène. « Le principal enjeu en matière d’hospitalisation à domicile est l’interprofessionnalité, si l’on va à l’hôpital sans démontrer que les professionnels de santé sont capables de communiquer entre eux, on court à l’échec », affirme d’entrée de jeu Emmanuel Sierra, l’un des co fondateurs de la société DV Santé, avec laquelle l’URPS PACA travaille. Or, rien n’est moins évident que de faire communiquer médecins, pharmaciens, infirmières, kiné etc… Chaque profession a ses contraintes, ses propres façons de communiquer. Les médecins ne répondent jamais aux mails, parfois aux SMS et aux fax, les infirmières utilisent beaucoup les smartphones car très souvent en déplacement, les pharmaciens ont une informatique plus poussée, mais n’en utilisent pas toujours toutes les possibilités. « Nous avons constaté dans notre vécu professionnel la difficulté qu’il y a à communiquer », confirme Emmanuel Sierra, l’un des co fondateurs de la société DV Santé. Pas de compte rendu, peu d’informations sur la pathologie du patient, un sentiment commun d’inachevé à tous les professionnels de santé, explique-t-il en substance.
DV Santé a donc lancé Monali, une plateforme de communication interprofessionnelle destinée à la prise en charge des patients en HAD. L’ambition de la start-up est de pallier ces manques, de lisser et d’enrichir la communication interprofessionnelle d’un côté et avec l’hôpital de l’autre, et cela dans un environnement hébergé et sécurisé. « Notre modèle permet une prise en charge deux à trois jours avant une sortie de l’hôpital, ce qui représente une économie importante pour les établissements hospitaliers, il repense aussi le parcours de soins totalement et permet à tout professionnel de santé adhérent à la plateforme d’être le coordinateur de la prise en charge », explique Emmanuel Sierra. « Quand un pharmacien, ou une infirmière peut le faire, il en devient le pivot. »
Rome ne s’est pas faite en un jour
Cette plateforme décrite comme intuitive et simple d’utilisation permet à tous les maillons de la chaîne d’être au courant du parcours de soins du patient. « Si par exemple, une infirmière constate un problème au niveau d’une plaie, elle peut prendre une photo et alerter immédiatement l’hôpital », décrit Emmanuel Sierra. Le lien avec l’hôpital est renforcé et les professionnels de santé peuvent faire évoluer le protocole si nécessaire.
La simplicité de l’outil ne doit pas cacher la complexité de la tâche, le fondateur de DV Santé le reconnaît : « Rome ne s’est pas faite en un jour et faire de l’interprofessionnalité demande du temps ». Réunions interprofessionnelles, travail de référencement, pour les pharmaciens aussi bien des patients susceptibles d’être concernés par la HAD comme les autres professionnels de santé avec lesquels ils travaillent régulièrement, collaboration avec les groupements, actions au niveau local auprès des hôpitaux etc… DV Santé travaille parallèlement à compléter son offre grâce à une marketplace qui permettra aux pharmaciens de trouver les compétences qui leur manquent, par exemple, tout ce qui concerne l’adaptation du logement. Ils seront rémunérés sous forme de commissions, une façon de valoriser ce travail de coordinateur.
HAD et MAD
Le « rôle pivot » des pharmaciens n’intéresse pas que les prestataires qui travaillent sur l’hospitalisation à domicile, un parcours de soins très encadré auquel s’adapter demande beaucoup de travail. Mais l’HAD est quelque part un sous-ensemble d’un marché beaucoup plus vaste, le maintien à domicile, qui fait rêver bien des industriels devant les courbes démographiques de nos pays vieillissants. Or, ce qui peut servir de maintien à domicile peut directement ou indirectement aider les patients qui connaissent à un moment ou à un autre une HAD : des produits qui pourront leur servir dans certains cas. De nombreux prestataires se positionnent, et depuis longtemps, il n’y a qu’à juger de l’offre très riche en matière de piluliers pour s’en convaincre. Le MAD le plus évolué suppose une démarche active grâce à une forme de surveillance « invisible » qui laisse les personnes âgées ou fragiles libres de rester chez elles et de circuler dans un périmètre donné, tout en restant en sécurité. C’est l’objectif que s’est fixé la société Link Care Services avec son patch d’autonomie Selp, un produit capable de détecter tous les types de chutes ainsi que les situations à risque comme les errances, les fugues, les intrusions…
Le patch est en effet combiné avec une box en réseau et est relié à des centres d’appels ou la famille. « Pour l’instant, nous n’avons pas encore commencé de travailler avec les pharmaciens », explique Pascal Brunelet, PDG de Link Care Services. « Nous avons d’abord été sollicités par des mutuelles et des caisses de retraite, mais les pharmaciens représentent des prescripteurs idéaux, ils ont un maillage considérable et un capital confiance unique auprès des patients », ajoute-t-il. Selon lui, de nombreux prestataires confrontés à des problèmes de distribution aimeraient travailler avec les pharmaciens. Faut-il encore que ceux-ci s’y retrouvent face à une offre qui commence à devenir pléthorique. « Il faudrait une labellisation, mettant en évidence la preuve d’usage et la facilité d’utilisation », admet Pascal Brunelet.
Une box santé à domicile
Les acteurs historiques du marché des officines s’intéressent aussi au MAD, à l’image de Pharmagest, déjà présent dans le domaine des piluliers avec son Do Pill, un pilulier connecté et avec Multimeds, un pilulier non connecté sauf en amont, avec le LGO de façon à sécuriser la préparation du pilulier. Mais l’éditeur compte aller au-delà de ces produits liés à l’observance et prévoit de lancer en 2018 une box qui s’installe chez la personne âgée et/ou fragile, laquelle analyse les données et les signaux émis par des capteurs installés à différents endroits de l’habitation du patient. Cette box santé, Noviacare, détecte les chutes, notamment dans les zones sensibles comme la cuisine ou la salle de bains, mais aussi tout problème relatif au sommeil, à l’hygiène, etc… « La box va dans un premier temps comprendre les habitudes de vie de la personne, puis envoyer un rapport d’activité dès lors qu’il y a dérive », explique Julie Terzetti, responsable communication de la division e-santé de Pharmagest.
« Le paramétrage de la box sera fait par le pharmacien, les alertes et les rapports hebdomadaires hors alertes seront envoyés aux aidants, à la famille, à un centre d’appels, selon les spécificités du patient. Il existe trois niveaux d’alerte, le troisième conduisant à l’intervention du samu ou des pompiers. » Noviacare pourra concerner tout aussi bien les personnes âgées dans le cadre du MAD mais aussi les personnes fragiles qui viennent de subir une intervention chirurgicale lourde. La box ne s’inscrit cependant pas dans un parcours de soins d’HAD, très encadré comme on l’a vu. Mais elle pourra fédérer professionnels de santé, aidants et patients grâce au logiciel de suivi d’observance que Pharmagest a lancé l’année dernière. Ce logiciel sera accessible en effet aux patients durant le second semestre de l’année prochaine… et professionnels de santé plus tard. D’une manière ou d’une autre, le sujet de l’interprofessionnalité finit toujours par pointer le bout de son nez dès lors que l’on est impliqué dans des process d’HAD et/ou de MAD.
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