LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Quel rapport entretiennent les Français avec l’offre de supplémentation nutritionnelle ? Quel est leur niveau de consommation par rapport à ceux observés chez nos voisins européens ?
PHILIPPE MILLET.- Le niveau de consommation des Français est très en retrait, comparé à celui d’autres pays d’Europe. Si l’on raisonne en consommation de compléments alimentaires pure, en 2008, chaque Français a dépensé 17,50 euros, tandis que les Norvégiens ont déboursé 73 euros, les Belges, 55 euros, les Finlandais, 29 euros et les Britanniques, 20 euros… Et si l’on était tenté de penser que ce faible engouement des Français pour les compléments alimentaires (CA) est lié à la qualité de leur régime nutritionnel, il suffit d’observer les jeunes marchés italien et espagnol pour se convaincre du contraire : alors que ces populations sont également adeptes du régime méditerranéen, leur niveau de consommation dépasse déjà les 20 euros par personne et par an. Autre constat étonnant, en Norvège où l’on consomme déjà beaucoup de poissons, les compléments alimentaires à base d’oméga 3 sont aussi très prisés.
Pour revenir sur les raisons de notre retard par rapport à nos voisins, il est peut-être lié à une moins bonne éducation des consommateurs français dans ce domaine. Alors qu’en France les CA se sont longtemps réduits au marché de la minceur, dans les autres pays d’Europe on est plus attentif aux performances de ces produits sur le tonus, le cardiovasculaire, l’immunité ou le confort digestif. Autre explication, dans les pays du nord comme la Finlande, l’Angleterre ou la Belgique, les systèmes d’assurance-maladie sont moins performants que le nôtre ce qui induit une plus grande implication des consommateurs dans la prise en charge de leur santé.
Quoi qu’il en soit, il faut savoir que tout de même 47 % des Français interrogés témoignent avoir consommé des CA au cours de l’année écoulée (Synadiet 2008). De même, pour 89 % d’entre eux, l’alimentation a une influence sur leur état de santé (CREDOC mars 2009).
En France, l’essentiel de la distribution des compléments alimentaires (CA) est aujourd’hui assuré par les pharmacies. Selon vous, cette position sera-t-elle dans l’avenir renforcée ou au contraire de plus en plus disputée par les autres circuits de la GMS, des magasins spécialisés et de la vente par correspondance ?
La pharmacie assure aujourd’hui 60 % du marché. Mais pour l’avenir, il est difficile de se prononcer. Sauf à affirmer que c’est clairement aux pharmaciens de s’impliquer pour conserver la distribution de ces produits. Ils ont pour cela une réelle légitimité. Ces délivrances nécessitent en effet du conseil et de l’explication. Il existe en effet nombre de situations où l’officinal doit informer, voire alerter le consommateur. Un exemple ? Prendre du fer d’un côté et de la vitamine C de l’autre, voilà qui constitue un cocktail détonnant, - une bombe oxydative - qui ne doit pas laisser le professionnel indifférent. La position des pharmaciens sur ce marché pourrait être renforcée à condition qu’ils s’y impliquent vraiment. Et ce n’est pas la richesse de l’offre (5 000 références) qui doit les en décourager.
Concernant l’offre de supplémentation nutritionnelle, vous évoquez la « fin du bling bling ». Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire par là ?
Les segments de la minceur et de la cosmétique orale n’ont plus vraiment la cote. L’offre minceur, par exemple, est pléthorique, pas toujours associée à des critères d’efficacité, et son rapport coût/bénéfice est loin d’être toujours favorable. Quant à la cosmétique orale, elle est un peu pénalisée par la nécessité de réaliser des cures longues versus la cosmétique topique pus rapidement efficace. Les consommateurs eux-mêmes font leurs arbitrages : en rentrant dans l’hiver, ils privilégieront plutôt le renforcement des défenses immunitaires en prenant de la propolis ou des probiotiques.
Cette formule de la fin du « bling bling » fait également référence à une imagerie publicitaire un peu trop marquée qui a désormais vécu. Il y aura un recentrage sur des produits plus techniques qui devrait bénéficier aux pharmaciens. On peut espérer que certains gros budgets de communication publicitaire grand public vont être réaffectés à des efforts d’information scientifique à destination des pharmaciens et des médecins. Voilà qui devrait renforcer l’éducation nutritionnelle des officinaux.
Quels sont les segments du marché des CA qui « fonctionnent » le mieux aujourd’hui ?
Ceux dont les ventes sont en constante augmentation sont ceux qui concernent l’immunité (+37 %), l’ophtalmologie/vision/prévention de la DMLA (+ 4 %), la sphère génito-urinaire, la circulation ou la grossesse. Ceux qui ont, au contraire, beaucoup perdu sont la minceur (- 18,5 %), l’articulaire, la ménopause (- 18 %), la peau (- 15 %) et le solaire (- 12 %).
Pour les pharmaciens, quelles sont les raisons d’espérer que ce marché va continuer de prospérer ?
Il faut d’abord se rappeler que l’univers des compléments alimentaires est avant tout un univers très pharmaceutique. Parmi les 10 premiers acteurs du marché, on retrouve en effet 7 laboratoires pharmaceutiques.
Quant à la légitimité du rôle du pharmacien dans ce marché, elle est même inscrite dans l’article 38 de la loi HPST : « les pharmaciens peuvent proposer des conseils et prescriptions destinés à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes ». Il n’est pas question explicitement des CA, mais implicitement la supplémentation nutritionnelle est concernée par cette mission. Autre argument non négligeable : cette offre est une véritable source de marge pour l’officine. Je pense sincèrement que la survie de la pharmacie peut passer par les compléments alimentaires. Il faut vraiment que les pharmaciens se mobilisent autour de ce marché car il y a de nombreux acteurs en embuscade : les magasins de diététique par exemple, mais surtout la redoutable concurrence de l’internet.
Dans le choix du consommateur pour un complément alimentaire, l’enquête HEC Junior a ainsi montré que ce dernier était influencé à 27 % par un médecin, à 21 % par le pharmacien, à 25 % par le bouche-à-oreille et à 9 % par internet, devant la télévision et à égalité avec la presse. Déjà plus de 20 % du marché est aujourd’hui détenu par la vente sur internet. Voilà de quoi méditer.
- Actif’s Magazine (créé en 2007) - bilingue F et GB, formulation, recherche, réglementation, etc, sur les ingrédients fonctionnels et santé.
- Expression Cosmétique (créé en janvier 2010) - bilingue F et GB, formulation, recherche, etc, réglementation sur les ingrédients cosmétiques.
- Doses Magazine : conditionnement et sous traitance des produits pharmaceutiques, diététiques, etc.
- Nutriform’Magazine : distribution, marketing, veille produits, etc, des compléments alimentaires. Lectorat : pharmacies, magasins diététiques, GMS, professionnels de santé.
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