Le Quotidien du pharmacien. — Comment pourrait-on résumer en quelques mots le tableau classique du « syndrome de l’Inde » ?
Dr Régis Airault.- Il s'agit d'une bouffée délirante déclenchée par le voyage en Inde. Ce syndrome est à bien distinguer du simple choc culturel provoqué par la chaleur, le bruit l'agitation et la foule qui peut déstabiliser les voyageurs à l'arrivée dans le pays. Il faut aussi clairement le distinguer de la pharmacopsychose, car il y a beaucoup de gens qui vont à Goa juste pour expérimenter des acides et autres drogues. Ce n'est pas non plus le voyage pathologique dont il est question. C’est-à-dire celui d'un patient porté en Inde par son délire ou d'un patient toxicomane. Ni le voyage thérapeutique de la personne qui présente déjà des troubles avant son départ et qui vient se soigner en Inde. Hormis ces situations, ce que j'ai observé lors de mes missions, c'est plutôt le résultat d'un voyage pathogène qui déclenche, chez des voyageurs jusque-là exempts de trouble psychiatrique, une bouffée délirante aiguë qui régresse à son retour chez lui. Le tableau classique est alors un délire dans lequel la personne a l'impression qu'on l'entend, qu'on l'observe, qu'on lui en veut… En résumé, le voyage pathogène peut être à l'origine de troubles psychiatriques tels qu'une anxiété massive, attaques de panique, sentiment de dépersonnalisation, déréalisation, idée de référence (sentiment que tout le monde vous regarde), vécu persécutif, hallucinations… Ces symptômes sont déclenchés par le voyage qualifié de pathogène, à bien distinguer, encore une fois, du voyage pathologique dans lequel s'engage le voyageur déjà touché par une pathologie psychiatrique.
Pourquoi l’Inde plus que d’autres destinations suscite-t-elle de tels comportements ?
Parce que l'Inde fait partie, pour nous Occidentaux, de notre fantasme culturel. Pour les Japonais, ce sera plutôt Paris. J'ai également eu à rapatrier au Japon des touristes qui déliraient parce qu'ils se croyaient au Moyen-Âge. Dans notre Capitale, ce n'est pas le vin blanc qui provoque cela, mais bien ce sentiment d'étrangeté qui fait perdre au voyageur le contact avec la réalité. Pour revenir à l'Inde, c'est vrai aussi qu'il y a là-bas peu de limites pour le voyageur. Ce qui donne une certaine liberté. Pour les jeunes notamment car la vie est très peu chère là-bas. Ces conditions font que le voyageur réalise rapidement tous les fantasmes imaginables. C'est un pays où tout paraît possible, où la réalité dépasse souvent l'imagination.
Le « syndrome de l’Inde » peut-il avoir des conséquences psychiatriques durables ?
Il faut bien comprendre comment il arrive, et comment il disparaît. Écoutez cet exemple : une photographe est partie récemment faire un stage de Yoga en Inde. Tout se passait bien, puis elle a commencé à ne plus dormir, à parler de ses problèmes aux gens, puis elle s'est convaincue qu'elle était la réincarnation de Hitler et qu'elle allait faire du mal à la planète… Elle n'avait jusque-là aucun antécédent psychiatrique, et n'avait pris aucune drogue. Elle a essayé de se suicider en tentant de se noyer dans un seau puis en se frappant la tête contre les murs… Bref, elle a été prise en charge et rapidement rapatriée. À son retour chez elle, tout allait mieux. Et c'est le plus souvent le cas. La bouffée délirante est généralement sans lendemain. La personne donne l'impression de se réveiller d'une espèce de rêve et nie souvent le récit qu'on fait de son délire. Il est vrai qu'au retour, ces rapatriés font souvent un petit épisode dépressif mais on ne peut pas dire qu'on a affaire à des schizophrènes ou des psychotiques. Il s'agit plutôt d'une effraction psychotique du réel, un peu comme dans les névroses traumatiques. Ceci étant dit, chez certains voyageurs, ces épisodes peuvent déclencher certaines fragilités.
Quels conseils pourrait-on délivrer pour se prémunir contre le syndrome de l’Inde ? L’évitement de certaines destinations ?
C'est parfois le contraire. Il m'arrive ainsi de conseiller à un rapatrié de retourner en Inde. Un jeune était allé s'occuper de la forêt primaire à Pondichéry. Il a fallu que je le fasse rapatrier car il était parti dans un délire dans lequel il voulait évangéliser la partie sud de l'Inde. Deux ou trois ans plus tard, je lui ai conseillé de retourner finir son travail en Inde. Ce qu'il a fait, dans d'excellentes conditions. Bien souvent, je conseille à ces personnes qui ont eu une mauvaise expérience, de retourner là-bas une fois qu'ils ont digéré l'épisode délirant, et ça se passe très bien.
En tant que psychiatre, iriez-vous jusqu’à déconseiller certaines destinations à un type de patients particuliers ? Lesquels ?
Je discutais l'autre jour avec les membres d'une association de malades bipolaires. Et je leur disais : dès lors que vous connaissez les risques et que le voyage est correctement cadré, vous pouvez y aller. Mais pas question de partir dans les conditions d'un voyage initiatique improvisé, hasardeux et sans ancrage, tel que l'envisagent souvent les jeunes. Les psychotiques, en général très conscients de leur fragilité, n'ont pas envie de tenter le voyage et de se mettre en difficulté. Et ils ont bien raison.
* Le Dr Régis Airault est l'auteur de « Fous de l'Inde - Délires d'Occidentaux et sentiment océanique » paru aux Éditions Payot (Collection Essais)
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