Certains opioïdes ne conviennent pas à la situation particulière que représente la douleur cancéreuse. Ainsi, la nalbuphine (nalbuphine générique) et la buprénorphine (Temgésic), ayant des propriétés antagonistes µ ou κ, ne peuvent être associées à un agoniste µ complet (morphine, oxycodone, etc.) et leur puissance est limitée par un effet plafond (3 à 5 mg/j pour la buprénorphine). Ils sont privilégiés dans le traitement des douleurs post-opératoires ou traumatiques - même s’ils bénéficient d’une indication explicite dans le traitement des douleurs néoplasiques -.
Les recommandations soulignent l’innocuité d’un traitement opioïde adapté, même poursuivi sur une période prolongée après une instauration précoce dans l’évolution de la maladie :
- Le développement d’une tolérance à l’action antalgique ne pose pas de problème : l’accroissement de la dose journalière traduit moins une diminution de l’intensité ou de la durée de l’activité antalgique qu’une aggravation des sensations algiques liée à l’évolution de la pathologie. La tolérance concerne aussi les effets indésirables (dépression respiratoire, somnolence, nausées) qui deviennent moins prégnants avec la poursuite du traitement (faisant exception, la constipation ne donne lieu qu’à une faible tolérance).
- La dépendance physique, observée au décours d’un traitement prolongé à fortes doses, impose, lorsqu’elle peut être envisagée, une diminution prudente et progressive des doses, sur une quinzaine de jours, pour prévenir un syndrome de sevrage (bâillements, larmoiement, mydriase, tremblements, anorexie, diarrhées, nausées, myoclonies, crampes, etc.) : observé si la prescription est suspendue brutalement, il ne traduit pas l’existence d’une « toxicomanie ». Chaque opioïde donne lieu à des modalités d’arrêt adaptées à sa pharmacologie, à sa cinétique, à sa posologie et à son mode d’administration.
- La survenue d’une dépendance psychique n’est pas observée en pratique (fréquence ‹ 1 pour 3 000) chez un patient utilisant un opioïde dans un contexte antalgique.
Morphine
La morphine constitue la référence dans le traitement antalgique de palier 3. Un effet de premier passage hépatique et un métabolisme important expliquent que sa biodisponibilité orale soit limitée (30 % vs voie IV et 50 % vs voie SC) : certains métabolites sont antalgiques (6-glucuronide par exemple) et plusieurs participent à sa iatrogénie.
- La morphine orale LI (Actiskénan, Oramorph, Sévredol) agit en 30 minutes environ et sa durée d’action est de 4 heures, ce qui justifie l’intérêt des formes à libération prolongée (LP) actives 12 heures dans le traitement continu, une fois qu’il est équilibré (Moscontin, Skenan).
Elle est prescrite lors de l’instauration du traitement (posologie moyenne adulte de 0,5 à 1 mg/kg/j soit 5 à 10 mg/4 heures), même s’il est également fréquent que le traitement soit directement initié avec une forme LP (0,5 mg/kgx2/j soit généralement 30mgx2/j). La forme LI est adaptée à des situations cliniques particulières : urgences, équilibration rapide de douleurs intenses, douleurs instables, terrains particuliers (troubles métaboliques, insuffisance rénale, sujet âgé, etc.). Elle est également utilisée pour l’administration d’interdoses (doses supplémentaires) en cas d’ADP ou de soins douloureux chez un patient traité par une forme LP.
- La morphine LP, agissant en 2 à 3 heures, est administrée à une posologie quotidienne calculée en fonction des interdoses de morphine LI nécessaires pour soulager le patient sur la période couverte par la libération prolongée (en général, chaque interdose correspond à 1/6 à 1/10 de la dose quotidienne LP). Ainsi, le recours quotidien à 3-4 interdoses de morphine LI suggère d’augmenter de 30 % la dose journalière de morphine LP, et le recours à 5-6 interdoses de l’augmenter de 50 %. Dans ce processus d’ajustement posologique, il n’y a pas de limite supérieure de dose tant que les effets indésirables sont contrôlés.
Oxycodone
Cet opioïde indiqué en première intention dans le traitement des douleurs intenses, et notamment dans celui des douleurs cancéreuses, bénéficie d’une biodisponibilité élevée (60-85 %). Ses métabolites ne sont pas actifs.
Une galénique avec libération biphasique explique l’action relativement rapide de la forme LP (Oxycontin et génériques) : comprise entre 45 minutes et une heure, elle persiste 12 heures Il existe également une forme LI (Oxynorm, Oxynormoro).
Hydromorphone
L’hydromorphone orale a une biodisponibilité supérieure à celle de la morphine (35-60 %) ; elle se révèle également plus puissante (4 mg équivalent à 30 mg de morphine). Présentée sous une forme LP (Sophidone), active en environ 2 heures pour une période de 12 heures, elle est indiquée en cas d’intolérance ou de résistance aux opioïdes forts chez un patient présentant des douleurs intenses d’origine cancéreuse : il s’agit d’un antalgique de seconde ligne.
Fentanyl
La puissance antalgique du fentanyl est 75 à 100 fois supérieure à celle de la morphine administrée par voie parentérale : sa lipophilie lui permet de franchir aisément la barrière hématoencéphalique. Son administration expose à des effets indésirables superposables à ceux décrits avec la morphine. Le fentanyl est utilisé par voie IV ou SC dans un contexte de soins palliatifs (voies non évoquées ici) ou en anesthésie, mais des adaptations galéniques permettent d’exploiter sa puissance dans le traitement des douleurs associées au cancer :
- Voie transcutanée. Le patch transdermique (Durogesic et génériques ; Matrifen) maintient des taux sériques actifs pendant 72 heures, avec une biodisponibilité d’environ 90 %. Cette forme, qui limite l’incidence de la constipation, se révèle spécifiquement intéressante chez le patient pour lequel la voie orale est impossible. Elle s’utilise en première intention en sachant que l’effet antalgique peut mettre un à deux jours à apparaître et que l’état d’équilibre est long à obtenir, d’où une surveillance attentive et la précaution de ne pas augmenter trop précocement les doses.
- Voie transmuqueuse. Il existe actuellement sept spécialités indiquées dans le traitement des ADP, aucune ne s’étant montrée plus intéressante au plan clinique que les autres : comprimé sublingual (Abstral, Recivit), applicateur buccal (Actiq), film orodispersible (Breakyl), comprimé gingival (Effentora), solution nasale (Instanyl, Pecfent).
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