De nombreux médicaments sont inadéquats (et pas forcément contre-indiqués) pour traiter les pathologies du sujet âgé : ils font l’objet de préconisations régulières visant à en limiter l’usage en gériatrie.
L’une des premières listes explicitant des critères objectifs de définition d’un médicament potentiellement inapproprié (MPI) chez le senior fut proposée en 1991 par un gériatre américain, Mark H. Beers : elle énumère les médicaments mais aussi certains usages ainsi que les doses, les rythmes d’administration et les schémas de prise inadaptés, au regard notamment de 15 pathologies banales chez le senior. Régulièrement actualisée, elle reste connue comme « critères de Beers ». Il convient d’y ajouter d’autres inventaires de MPI définis notamment par les critères de l’IPET (Inappropriate Prescribing in the Elderly Tool) et des listes comme celles de P.-J McLeod au Canada ou de C. Zhan aux États-Unis.
Il existe une liste de MPI adaptée à la pratique française chez le sujet› 75 ans : elle englobe 29 médicaments ou classes médicamenteuses inadaptés ou devant être administrés à dose réduite sur la plus brève durée possible (ex : AINS associés, anticholinergiques, anxiolytiques, hypnotiques, anti-hypertenseurs d’action centrale, inhibiteurs calciques à libération immédiate, digoxine› 0,125 mg/j, disopyramide, ticlopidine, cimétidine, laxatifs stimulants, baclofène, etc.) et cinq situations cliniques où devraient être évités certains traitements (hypertrophie prostatique, glaucome, incontinence urinaire, démence, constipation chronique). Proposant des alternatives thérapeutiques, cette liste constitue un référentiel d’aide à la prescription gériatrique et à l’analyse des prescriptions et vise à réduire les conséquences iatrogènes des traitements. Par ailleurs, en langue française, la liste STOPP contextualise les prescriptions potentiellement inappropriées (notions de dose et de durée de traitement prenant en compte la réalité physiologique du patient) et la liste START préconise des prescriptions « positives » par leur intérêt chez le sujet› 65 ans.
De nombreuses études observationnelles ou épidémiologiques soulignent l’intérêt de limiter au maximum le recours aux MPI chez le sujet âgé : ainsi, un suivi de 4 ans de patients atteints d’une maladie d’Alzheimer (cohorte multicentrique REAL.FR) a montré que 46 % d’entre eux recevaient un ou des MPI : 30 % des vasodilatateurs cérébraux, 16 % des atropiniques, et 8,5 % des benzodiazépines à longue demi-vie. On sait aussi que la prescription d’un MPI est associée à un risque d’admission précoce en institution et qu’en EPHAD, la prescription de MPI est associée à une augmentation de la morbidité corrélée au nombre de médicaments inadaptés et de maladies traitées, mais non à l’âge !
Parmi les familles et classes de MPI chez le sujet âgé, certaines méritent d’être soulignées par la sévérité et/ou la fréquence de la iatrogénie associée à leur usage chez le senior.
Atropiniques.
Les médicaments à composante atropinique (anticholinergique) sont nombreux : atropine et scopolamine bien sûr, mais aussi divers antiparkinsoniens (bipéridène, trihexyphénidyle, tropatépine), antispasmodiques (tiémonium, clidinium de Librax, oxybutynine, flavoxate d’Urispas, solifénacine de Vésicare, toltérodine de Détrusitol, trospium) ou bronchodilatateurs (ipratropium, tiotropium).
Leur action est parfois « masquée » par une indication qui ne suggère pas cette propriété pharmacologique : antidépresseurs tricycliques, neuroleptiques phénothiaziniques (mais aussi clozapine, loxapine, pimozide), anti-histaminiques sédatifs (alimémazine, chlorphénamine de divers « anti-rhume », oxomémazine de Toplexil et analogues, prométhazine, hydroxyzine), métoclopramide, métopimazine, mémantine d’Ebixa, disopyramide d’Isorythm et de Rythmodan, néfopam d’Acupan… pour ne citer que les plus remarquables.
Ces médicaments peuvent induire une iatrogénie handicapante chez le senior, au niveau périphérique (mydriase, troubles de l’accommodation visuelle, sécheresse buccale et cutanée, nausées, constipation, dysurie, bradycardie transitoire suivie de tachycardie, crise de glaucome aigu par fermeture de l’angle) comme central (troubles mnésiques, irritabilité voire agressivité, agitation, confusion mentale, désorientation, hallucinations visuelles, délire).
Un index spécifique d’appréciation de l’exposition du sujet âgé aux effets atropiniques et sédatifs iatrogènes a été développé en 2007 : le Drug burden index (DBI) (littéralement : l’index d’« accablement médicamenteux » : une approche bien réaliste…). Il est significativement associé à un risque de chute élevé chez le sujet âgé.
Benzodiazépines (BZD).
Les BZD sont fréquemment prescrites au sujet âgé : environ 33 % des femmes et 16 % des hommes de plus de 65 ans consomment une BZD anxiolytique et près de 20 % des femmes et 11 % des hommes une BZD hypnotique. L’imprégnation benzodiazépinique induit des troubles neuropsychiatriques souvent préoccupants : troubles cognitifs avec notamment amnésie des faits récents, altération des fonctions psychomotrices avec risque de chute (qu’augmente encore leur action myorelaxante), troubles du comportement (nervosité, agitation parfois agressive, délire, confusion mentale, signes d’allure psychotique). Elle est à l’origine d’une tolérance d’installation rapide et d’une dépendance pouvant induire des signes de sevrage lors d’un arrêt brutal du traitement. Surtout, une prise de BZD pendant une durée de 3 mois augmenterait le risque de développement ultérieur d’une maladie d’Alzheimer de 51 %, indépendamment de toute comorbidité ; ce risque passerait à 84 % si le traitement est pris plus de 6 mois. Pourtant, le temps d’utilisation annuel d’une BZD anxiolytique est de 5 mois et celui d’une BZD hypnotique proche de 4 mois, malgré les recommandations préconisant une prescription limitée à quelques semaines (en France : 4 pour les hypnotiques et 12 pour les anxiolytiques). Chez le sujet âgé, les BZD s’accumulent dans l’organisme et leur impact pharmacologique est d’autant plus important.
Diurétiques.
Souvent indispensables pour traiter l’hypertension, les diurétiques peuvent être responsables d’accidents iatrogènes sévères : troubles de l’hydratation accompagnant généralement un trouble de la natrémie (avec confusion mentale en cas d’hyponatrémie), dyskaliémie ou insuffisance rénale aiguë.
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