LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots (et chiffres) ce que représente l’impact des mutilations sexuelles féminines (MSF) en Afrique ?
Dr MARIE-CLAUDE TESSON-MILLET.- L’impact en chiffres, d’abord. Le nombre de femmes victimes de mutilations est estimé entre 100 et 140 millions et environ 3 millions d’excisions sont pratiquées chaque année. Des pratiques mutilatoires ont été recensées dans 27 pays africains par l’OMS. Parmi eux 8 pays font état de taux de prévalence supérieurs à 85 %, 4 entre 50 et 85 %, 7 entre 25 et 50 % et 8 inférieurs à 25 %. Les pays où la pratique est la plus courante sont la Somalie, le Soudan, le Mali, l’Égypte, la Guinée et la Sierra Leone. Mais ces données sont cependant imprécises, faute d’un nombre suffisant d’enquêtes. L’impact qualitatif sur la santé et les conditions de vie des femmes est lui aussi très important. L’impact sur la santé est un des meilleurs arguments pour la lutte contre les MSF (complications de l’accouchement, infections gynécologiques et urinaires, douleurs). Équilibres & Populations a développé un projet de promotion de l’abandon de l’excision au Mali, (85 % de femmes sont excisées, et même 95 % dans la région de Kayes où se déroule le projet). Les populations de soixante villages et peut-être bientôt d’une centaine ont admis qu’elles ignoraient les dangers des mutilations pour la santé, et ont participé ou vont le faire aux « cérémonies d’abandon des couteaux ».
Quels étaient les objectifs premiers de la récente réunion internationale de Ouagadougou ?
Le but de la rencontre de Ouagadougou était la mobilisation des décideurs politiques des pays participants autour d’engagements pris contre l’excision. L’idée est de définir une stratégie politique pour aboutir à l’harmonisation et à l’adoption d’une législation commune d’interdiction des MSF et pour faire échec aux pratiques transfrontalières. Dans le même temps il faut définir une stratégie de communication auprès des populations pour légitimer l’interdiction, et pour faire reculer l’excision. La politique de répression ne pourra être envisagée qu’après une forte action pédagogique.
Quels sont les principaux obstacles à l’application d’un cadre législatif en matière d’interdiction des MSF ?
Une loi peut constituer un appui précieux pour les ONG qui luttent contre l’excision mais l’abandon ne se décrète pas. Le changement des pratiques s’obtient au plus près des populations à travers l’information et la mobilisation de l’ensemble de la communauté. L’opinion publique a un rôle déterminant à jouer. Au Mali par exemple, où aucune législation n’existe, la stratégie adoptée par le gouvernement pour faire reculer l’excision donne la priorité à la sensibilisation de la population. L’interdiction ne peut intervenir que dans un second temps, lorsqu’une part suffisante de l’opinion lui sera favorable. La comparaison avec le Burkina Faso est intéressante. Une loi y a été promulguée en 1996 pour interdire l’excision mais sa mise en pratique se heurte encore au peu de coopération de la population.
Comment les pratiques transfrontalières contribuent-elles à la permanence du phénomène ?
Elles permettent à des parents qui souhaitent faire exciser leurs filles d’échapper à l’interdiction en vigueur dans leur pays en les envoyant dans les pays où ces pratiques ne sont pas réprimées. Cela a pour effet de maintenir la pratique et de la banaliser. Si les exemples d’abandon des mutilations peuvent servir d’exemples, les pratiques transfrontalières peuvent avoir une influence d’entraînement négative.
C’est pourquoi les acteurs engagés dans la promotion de l’abandon des mutilations sexuelles comptent sur une harmonisation des législations nationales ou, a minima, sur des lois réprimant les pratiques transfrontalières.
Comment les médias peuvent-ils contribuer à atteindre l’objectif « tolérance zéro aux MSF » ?
L’ignorance est le principal facteur qui permet à l’excision de se maintenir en Afrique. Les populations rurales avec lesquelles travaille Équilibres & Populations inscrivent les mutilations dans un registre essentiellement symbolique, elles ne les perçoivent en rien comme un problème de santé pouvant entraîner la mort. Tout le travail consiste alors à faire prendre conscience aux communautés que l’excision est bien la cause de nombreuses séquelles sur la santé de la mère et de l’enfant.
L’enjeu au Sud, est bien l’information des populations concernées. Beaucoup restent massivement frappées par l’analphabétisme, le manque d’accès aux soins et par une organisation patriarcale dans laquelle la condition de la femme a peu de valeur. Outre la santé, la question des droits humains est également un axe pertinent pour faire changer les regards sur l’excision en Afrique.
Au Nord, les actions menées depuis de nombreuses années par des associations comme le GAMS (Groupe femmes pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles) ont permis de faire reculer l’excision à un niveau presque résiduel. Grâce à l’avocate Linda Weil Curiel (présidente de la CAMS, Commission pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles) qui a plaidé dans de nombreux procès pour mutilations sexuelles en France, ces pratiques ont été criminalisées dans le Code pénal. Aujourd’hui le risque que courent les filles des communautés d’immigrées résidant en France est d’être mutilées lors d’un séjour dans leur pays d’origine. Mais ces mutilations transfrontalières sont poursuivies et sanctionnées par la loi française. C’est pourquoi la coopération des médecins (généralistes, pédiatres gynécologues, PMI) a été fortement sollicitée par l’Académie de Médecine, afin qu’ils examinent soigneusement les filles immigrées en consultation et signalent les mutilations au Procureur de la République, comme ils signaleraient toutes autres pratiques portant préjudice à un mineur.
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