LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Quels sont les objectifs visés par les études cliniques que vous menez au sein du MEDES ?
DR MARIE-PIERRE BAREILLE.- MEDES assure pour les besoins de recherches spatiale et clinique le fonctionnement d'un centre d'expérimentations biomédicales, la Clinique Spatiale (Hôpital Rangueil à Toulouse). Ces expérimentations concernent la recherche spatiale avec les expériences de simulation de l’impesanteur (communément appelées "bed-rest"). Elles concernent aussi la recherche clinique dans des domaines privilégiant les analogies avec la recherche spatiale, notamment en physiologie (études sur le sommeil et les rythmes circadiens, le confinement, l'ostéoporose…), en pharmacologie (médicaments contre l'ostéoporose, les troubles de l'équilibre, l'hypotension orthostatique etc.) et dans l’évaluation de dispositifs biomédicaux. Étant donné le peu d’opportunité de vols spatiaux et la difficulté de réaliser des expériences en vol, les expériences de simulation des effets de l'impesanteur sont réalisées au sol pour mieux comprendre les mécanismes d’adaptation à l'impesanteur, mettre au point et évaluer les contre-mesures, moyens préventifs utilisés pour lutter contre ces effets délétères de l'exposition à l'environnement spatial et préparer le retour au sol des astronautes.
Les contre-mesures actuelles sont essentiellement fondées sur l’exercice physique (course sur tapis roulant, exercice sur vélo-ergomètre) ou sur le Lower Body Negative Pressure ou LBNP (caisson dans lequel est appliquée une pression négative sur la partie inférieure du corps). Ces contre-mesures sont aujourd’hui utilisées par les équipages permanents de la Station Spatiale Internationale qui restent à bord jusqu’à 180 jours. Un des objectifs des programmes spatiaux actuels est de préparer les futures missions habitées interplanétaires (mission vers Mars, missions de longues durées sur la Lune), qui pourront avoir des durées allant jusqu’à 3 ans. La durée des missions spatiales va donc augmenter considérablement et il est peu probable que les contre-mesures actuelles protégeront alors efficacement les équipages. L'objectif des Agences Spatiales est donc de développer de nouvelles contre-mesures plus performantes. La gravité artificielle est par exemple la prochaine contre-mesure qui sera testée à MEDES au cours d'une expérience de bed-rest. Elle représente une autre approche au problème des contre-mesures puisqu’elle permet de simuler simplement notre environnement gravitationnel terrestre en ayant ainsi des répercussions sur l’ensemble de nos systèmes physiologiques.
Quelle méthodologie vous permet de reproduire les conditions de séjour dans l’espace ?
Le modèle de simulation le plus utilisé pour étudier sur Terre les effets de l'impesanteur est celui de l’alitement anti-orthostatique (position allongée, la tête un peu plus basse que les pieds avec un angle de -6° par rapport à l’horizontale). Ce modèle permet de simuler la migration liquidienne vers la région thoraco-céphalique observée lors des vols spatiaux et de reproduire les modifications cardio-vasculaires, musculaires, et osseuses (alitement prolongé) observées en impesanteur (5 jours = bed rest courts, 21 jours = moyens ou 60 jours = longs).
Il est à noter qu’un autre modèle de simulation de la microgravité existe au sol, l’immersion sèche. Flotter en microgravité, c'est comme flotter dans l'eau : les liquides de l'organisme ne sont plus sous l'influence de la gravité. Le sang est réparti de façon égale le long du corps. MEDES n’a pour l’instant pas réalisé ce type d’étude qui sont essentiellement menées par les équipes russes.
Quels types de résultats obtenez-vous grâce à ces études ?
Les résultats concernent l’ensemble des systèmes physiologiques étudiés, à savoir :
- le système cardiovasculaire : description de certains mécanismes intimes de la régulation de la pression artérielle (rôle des veines des jambes et des muscles impliqués dans le maintien de la posture, rôle du système vestibulaire, etc.) ;
- le système musculosquelettique : effets de la diminution de contraintes sur la biomécanique osseuse et sur la fonction des muscles ;
- les systèmes métaboliques : effets de l’exercice physique sur la régulation de l’oxydation des acides gras…
- les effets des contre-mesures (exercice physique, nutrition, médicaments etc.) sur ces différents systèmes.
Quelles en sont les applications ?
La première application pratique de ces études est évidemment spatiale : mieux connaître les effets de l’impesanteur sur l’organisme humain et évaluer les moyens préventifs (contre-mesures) utilisés pour lutter contre les effets délétères de l'exposition à l'environnement spatial. Il est en effet primordial de ne pas faire prendre un risque élevé inacceptable aux équipages et de les maintenir en bonne forme afin qu’ils restent aptes à remplir leur mission jusqu’à leur retour au sol. Néanmoins, au-delà de leurs applications dans le domaine spatial, ces recherches présentent aussi un réel intérêt pour la médecine « terrestre ».
Les troubles que présentent les spationautes se retrouvent en effet dans de nombreuses situations sur Terre. Le vieillissement par exemple s’accompagne d’une déminéralisation osseuse, d’une atrophie musculaire et d’une diminution de la tolérance à l’orthostatisme, troubles dont souffrent aussi les spationautes et les volontaires participant aux bed-rest, mais dans leurs cas de façon réversible. L’inactivité inhérente à l’exposition à la microgravité réelle ou simulée (une grande partie de notre dépense énergétique sert à lutter contre la gravité) fait aussi de ces recherches un modèle d’étude des troubles métaboliques liés à l’obésité. D’une façon plus générale, le manque d’activité physique affecte l’organisme sur le plan métabolique mais aussi cardiovasculaire, musculaire et osseux.
Ainsi, l’étude des troubles engendrés par les séjours en microgravité réelle ou simulée contribue au développement des connaissances sur le vieillissement et sur les conséquences néfastes de l’inactivité.
D’autre part, certains appareils ou tests conçus pour l'espace sont ou seront peut-être ensuite utilisés par la médecine « terrestre » : les tests sur table basculante permettant d’étudier les variations de la pression artérielle et de la fréquence cardiaque en fonction de la position du corps sont maintenant largement utilisés dans les services hospitaliers dans le cadre de l’exploration des pertes de connaissance brèves ; les tests sur plates-formes d’équilibre statiques ou dynamiques pour évaluer les fonctions d’équilibration des spationautes après les vols de longues durées sont utilisés par les services d’exploration fonctionnelle en neurologie et par les kinésithérapeutes afin de suivre les effets bénéfiques des rééducations proposés aux victimes d’accidents vasculaires cérébraux.
Pour citer plus en détail un exemple récent, l’XtremeCT, un scanner périphérique qui dispense de biopsie osseuse, est une technique très intéressante et adaptée pour tout type de recherche sur l’ostéoporose : pour évaluer l’effet de médicaments sur l’architecture osseuse ou encore l’effet d’équipements de fitness dédiés. À terme, l’XtremeCT pourrait également permettre une détection plus précoce de l’ostéoporose ainsi qu’un meilleur suivi des effets des traitements contre cette maladie. L’XtremeCT a été utilisé pour évaluer l'évolution de la qualité osseuse durant et après un alitement prolongé et chez les spationautes avant et après les vols spatiaux. Enfin, ce système est actuellement utilisé dans plusieurs études cliniques évaluant des médicaments contre l’ostéoporose.
Quelles sont les limites de ces expérimentations ?
Concernant le domaine cardiovasculaire, l’avantage de ce modèle de simulation est l’induction d’une redistribution des liquides de l’organisme similaire à celle observée lors des vols spatiaux. Cependant il reste la pression exercée sur les tissus. Malgré cette différence les mêmes mécanismes régulateurs (notamment neurohormonaux) sont activés lors des différences phases d’adaptation à la microgravité.
D’autre part, il s’avère difficile de mener certaines études dans le domaine des neurosciences au cours de ces études de simulation au sol. En effet, les capteurs qui se trouvent autour des articulations et dans l’oreille interne pour informer notre cerveau de la position de notre cœur, de nos yeux et de nos segments corporels ne sont pas mis au repos.
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