Début septembre, des messages d’alerte ont fleuri sur les véhicules des grossistes-répartiteurs, clamant que « l’accès aux médicaments partout et pour tous est en danger ». À l’initiative de cette communication : la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) et les sept grossistes-répartiteurs présents sur le territoire français. Mal connus du grand public, ils ont choisi de faire passer leurs revendications sur le seul élément qui les rend visibles à tous, leurs camionnettes de livraison qui acheminent les médicaments dans toutes les pharmacies du territoire.
Car l’heure est grave. Courbes et graphiques à l’appui, le président de la CSRP n’a de cesse d’alarmer le gouvernement sur la situation économique de la répartition pharmaceutique. « En 2008 nous faisions un chiffre d’affaires de 19 milliards d’euros et dégagions un résultat d’exploitation d’environ 200 millions d’euros avant impôts, ce qui était déjà faible puisqu’il ne représente que 1 % du chiffre d’affaires. En 2012, le chiffre d’affaires était de 18,4 milliards d’euros pour un résultat d’exploitation de 100 millions d’euros. En 2016, 17 milliards d’euros de chiffres d’affaires et 4 millions d’euros de résultat d’exploitation. Enfin, sur l’exercice 2017, le chiffre d’affaires est tombé à 16,8 milliards d’euros et on enregistre 23 millions de pertes », énumère Olivier Bronchain.
Catastrophe économique
Or les revenus des grossistes-répartiteurs reposent sur une marge réglementée à taux unique, de 6,68 % du prix fabricant hors taxe (PFHT), avec un plancher de 30 centimes et un plafond de 30 euros. Une marge réglementée modifiée en 2008 et en 2012, mais qui depuis n’a pas évolué. « Notre marge a un mérite, c’est sa simplicité. L’énorme inconvénient c’est que nous sommes intégralement soumis au prix du médicament », déplore Olivier Bronchain. Ainsi, non seulement les grossistes-répartiteurs subissent de plein fouet les baisses de prix imposées sur les médicaments, mais aussi toute « générication ». « Le développement du générique est une catastrophe sur le plan économique pour les répartiteurs. D’abord parce que nous distribuons trois boîtes sur quatre de génériques, quand nous sommes à neuf sur dix concernant le princeps (hors paracétamol), nous perdons donc du volume à chaque entrée dans le répertoire », détaille le président de la CSRP.
Le succès de la mesure tiers payant contre générique mise en place en 2012 a aussi été vécu comme une catastrophe par la répartition. À cela s’ajoute une perte de marge directement liée au prix du médicament. « Pour un médicament princeps, dont le prix moyen fabricant est de 12 euros, nous touchons une marge réglementée de 81 centimes. Le prix moyen d’un générique étant de 4 euros, la marge réglementée est de 37 centimes, elle est donc très nettement inférieure. » Ce n’est pas tout, la CSRP rappelle que la marge de distribution en gros a été abandonnée depuis une dizaine d’années au profit de l’officine et indique que les négociations de gré à gré avec les laboratoires génériques baissent encore leur marge réglementée sous le seuil plancher des 30 centimes prévu par l’arrêté de marge. « Au final, notre rémunération sur le générique est trois fois inférieure à ce qu’elle est ou ce qu’elle était sur le princeps. »
Mesures fortes
Mais la dégradation économique de la répartition ne repose pas sur les seuls génériques, même s’il s’agit du principal responsable. Alors que les rentrées d’argent sont chaque année moins importantes, la répartition pharmaceutique fait face à une augmentation du coût du travail. « En partant d’une base de 100 en 2008, on s’aperçoit qu’en 2017 on distribue un peu plus de boîtes qu’à l’époque, mais on perd 15 % de marge et le coût du travail gagne 10 % », s’émeut Olivier Bronchain. Entre 2008 et 2016, la CSRP cumule une baisse de marge de 243 millions d’euros, une augmentation des coûts d’environ 140 millions d’euros liée à l’inflation (+10,5 %), à la masse salariale (+8,5 %) et au durcissement des exigences pharmaceutiques. Seule éclaircie : une diminution des taxes de 67 millions d’euros due à… une baisse d’activité. Soit « un manque à gagner net de 310 millions d’euros ».
Le constat est sans appel. Pour y remédier, la répartition réclame depuis plusieurs années « des mesures fortes » de la part du gouvernement afin de « pérenniser la chaîne de distribution du médicament qui est aujourd’hui en France performante, fiable et sécurisée ». Des mesures légitimées par un rapport de la Cour des comptes en septembre 2017. Le secteur avait fait une belle avancée en persuadant le Sénat, l’an dernier à la même époque, d’introduire un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2018 afin d’exclure les médicaments génériques de l’assiette de la taxe sur le chiffre d’affaires des grossistes-répartiteurs. Mais l’amendement avait été retoqué par l’Assemblée nationale. Opposée également à cette mesure, la ministre de la Santé Agnès Buzyn avait néanmoins reçu les représentants de la répartition en février dernier et annoncé l’ouverture de négociations entre la CSRP et les services du ministère en mai.
Menaces sur les obligations de service public
Depuis lors, la répartition multiplie les actions pour favoriser une prise de conscience. Si son économie continue de plonger – et « la situation se dégrade encore fortement en 2018 pour diverses raisons, on pourrait perdre jusqu’à 70 millions d’euros », précise Olivier Bronchain – la distribution du médicament aux officines, et donc aux patients, sera moins performante. « On ne peut pas demander à des entreprises privées de continuer à travailler à perte fortement et durablement et de n’en tirer aucune conséquence sur son activité », lance le président de la CSRP. Les grossistes-répartiteurs ont déjà mis en œuvre des mesures d’économie dont les limites sont désormais atteintes : gain de productivité, réduction des effectifs de près de 10 %, rationalisation des implantations. Au-delà, elle ne pourra plus assurer ses obligations de service public, à savoir référencer 9/10e des spécialités remboursées, disposer de deux semaines de stock de consommation, livrer toute pharmacie en 24 heures, sans oublier son implication dans le recyclage des médicaments non utilisés, dans les rappels et retraits de lots et dans des opérations particulières comme celles qui ont concerné le Lévothyrox ou les laits Lactalis.
L’Association de pharmacie rurale (APR) s’est alliée à la CSRP fin juin, pour lancer une bouteille à la mer aux 7 000 maires ruraux dont la commune compte une officine. Car les officines rurales, plus difficiles d’accès, risquent d’être les premières touchées si la répartition n’est plus en capacité d’assurer ses missions de service public. Désormais, la CSRP appelle toutes les officines françaises à se joindre à ses revendications. « Les officinaux peuvent se dire que le problème des répartiteurs pharmaceutiques ne les concerne pas, mais ce serait une erreur de raisonner comme ça parce que la distribution du médicament c’est une chaîne qui va du laboratoire à l’officine en passant par le grossiste-répartiteur, remarque Olivier Bronchain. Et une chaîne n’est jamais plus forte que son maillon le plus faible. Aujourd’hui le maillon le plus fragilisé ce sont les répartiteurs pharmaceutiques. »
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