IL Y A TRENTE ANS, les cosmétiques étaient considérés comme des produits d’hygiène et/ou d’embellissements superficiels dont les actions se limitaient à l’épiderme. La chimie de synthèse, les biotechnologies végétales, l’industrialisation et ses découvertes ont changé le visage de cette cosmétologie d’apparence. Peu à peu, aux côtés de la dermatologie, la dermocosmétique a su trouver sa place et devenir une arme thérapeutique en complément ou en relais des traitements médicaux.
Les marques pionnières en pharmacie.
Le concept de dermocosmétique a apporté des solutions plus innovantes et plus ciblées en matière d’hygiène, de soin et de beauté. C’est souvent au sein des officines, et grâce à des pharmaciens, que se sont développés, à partir des années quatre-vingt, ces nouveaux soins plus exigeants. Ainsi la marque Roc (contraction de Rogé Cavaillès), née dans une pharmacie à Paris, est la première à proposer en 1987 des crèmes non-comédogènes. Biotherm, la plus aquatique des marques, a compris très tôt l’énorme potentiel du plancton thermal en tant qu’ingrédient cosmétique.
Ses créateurs font un choix inhabituel pour l’époque : ils décident de distribuer leurs produits dans les pharmacies et non en parfumeries et grands magasins comme le voulait l’usage. Klorane marque le point de départ des activités cosmétiques d’un jeune pharmacien qui, en 1983, crée sa « petite » entreprise : Pierre Fabre Dermocosmétique. Une entreprise bien dans sa peau avec des acquisitions de marques stratégiques qui lui permettent d’entamer une croissance spectaculaire, des produits emblématiques vont voir le jour signés A-Derma, Galénic, Avène…
Vichy est la première marque à créer des produits ciblés en fonction du type de peau, sèche ou grasse. C’est aux pharmaciens qu’elle confie ses premiers « Secrets » et la formule de réhydratation très originale d’Equalia. Pendant des années, Patrick Alès va développer ses marques de cosmétiques. En 1988 toutes les sociétés sont regroupées et forment le groupe Alès : pionnier dans la correction du vieillissement cutané, Lierac affirme déjà que la beauté n’a pas d’âge, son expertise dermatologique va être relayée par les pharmaciens. Dès sa création en 1992, la marque Uriage répond aux besoins des peaux sensibles de toute la famille grâce à une expertise scientifique cautionnée par les dermatologues. Onagrine signe des produits nés de la créativité de chercheurs passionnés de la nature. Phas met la beauté à l’honneur en proposant des palettes de maquillage haut de gamme pour peaux sensibles.
Des actifs encapsulés et véhiculés.
On est passé peu à peu des formes galéniques traditionnelles avec des textures issues de la pharmacopée (pommades, liniments ou pâtes), à des formes galéniques qui ont bénéficié de l’évolution des matières premières et des procédés de fabrication. Les émulsions font partie des grands progrès qui ont révolutionné la galénique. Les émulsions simples ont permis de créer les premiers produits par type de peau ; les émulsions multiples ont l’avantage d’offrir une meilleure pénétration des actifs, et des textures aux qualités cosmétiques remarquables (finesse, onctuosité, absence d’effet gras).
Autre innovation inspirée de la recherche médicale et du ciblage thérapeutique, le processus de vectorisation permet de véhiculer ou d’encapsuler une grande variété de molécules et de leur assurer une pénétration transdermique et une bonne diffusion dermoépidermique. Les véhicules d’actifs sont des microsphères, des microcapsules, des nanoparticules, des liposomes, ils servent de réservoirs. Le relargage des ingrédients est ciblé directement au cœur des cellules à traiter, et contrôlé en fonction du temps pour une action plus durable.
Des peelings aux micro-injections.
Au fil des décennies, la société a suivi et/ou subi les évolutions de la médecine esthétique pour combattre le vieillissement cutané. La demande d’actes de médecine esthétique moins invasifs s’est multipliée par dix en quelques années. Pour combattre leurs rides, les femmes vont connaître successivement le rétinol qui a pu être stabilisé pour la première fois dans une crème cosmétique en 1996 par les laboratoires RoC, puis les peelings aux AHA ou acides de fruits, proches des formules des peelings chimiques professionnels.
Les plus téméraires ont pu expérimenter « à la maison » une nouvelle génération de soins sous forme de kits micro-abrasion et peeling qui bénéficient de méthodes éprouvées en milieu médical. Puis, ce fut la vogue des injections de collagène que le pharmacien réceptionnait dans leur emballage réfrigéré. Ces injections ont longtemps fait le bonheur des femmes en quête de rajeunissement mais les délires d’une vache folle ont, un temps, anéanti leurs espoirs. Exit les produits d’origine animale !
Heureusement, les femmes ont continué à être comblées, ainsi que leurs rides, grâce à des produits hautement purifiés. L’arrivée des micro-injections d’acide hyaluronique a ouvert l’ère de l’esthétique naturelle et résorbable. Depuis 30 ans, toutes ces substances fondamentales du derme sont restées de grands classiques avec les vitamines A, C et E. Dans les années quatre-vingt-dix, apparaît le terme « cosméceutique » inspiré des pratiques anti-âge des dermatologues américains disposant d’une liste d’actifs très (trop ?) fortement dosés.
Des galéniques au service de la qualité de vie.
Finie l’époque où un psoriasique s’enfermait des heures dans la salle de bains pour se soigner. Priorité est donnée au confort et à la qualité de vie des patients. Non seulement les soins doivent être bien tolérés mais ils doivent aussi s’adapter au rythme de vie quotidien des patients. On ne peut plus accepter des produits qui ne sont pas supportables.
- Imperfections, points noirs, excès de sébum, la guerre des boutons est toujours d’actualité mais les produits trop délipidants et irritants ont été remplacés par des soins qui ciblent la cascade inflammatoire de l’acné à tous les stades pour la désamorcer et prévenir les risques de cicatrices.
- Les soins pour peaux sensibles et intolérantes ont longtemps été des formules neutres avec un seul objectif : être bien tolérées. Les nouveaux soins offrent bien plus que le simple respect de l’épiderme, ils agissent en élevant le seuil de tolérance cutanée et en renforçant la résistance de la peau. Les formules deviennent minimalistes et la liste des additifs et des conservateurs se restreint. En 1996, le soin Tolérance Extrême se décline en unidoses sans conservateurs.
- Les soins antibrillance assurent une matité parfaite et durable sans risque de brûler l’épiderme. Des microcapteurs éliminent l’excès de sébum en douceur en absorbant le surplus comme un buvard.
- Huile de cade, goudron, coaltar, extrait de houille, les shampooings antipelliculaires et kératolytiques arrêtent de décaper le cuir chevelu en dégageant des odeurs nauséabondes.
Les premiers gestes vers une hygiène douceur.
Peu à peu, l’hygiène de base plus ou moins décapante a fait place à une hygiène de confort et de plaisir qui respecte chaque zone anatomique.
Les shampooings ne rendent plus seulement les cheveux propres, ils franchissent une nouvelle étape et apportent douceur, souplesse et brillance aux cheveux. Un nouveau marché est né : celui des shampoings-soins. Pendant ce temps, le mythique Shampooing sec Klorane à l’ortie poursuit son irrésistible ascension avec du lait d’avoine extra-doux. On ne se crêpe plus le chignon, des experts capillaires nommés Phytosolba ou Furterer passent les cheveux au peigne fin sans les abîmer.
Les eaux micellaires, dont Bioderma fut le précurseur avec Créaline H2O, débarrassent la peau des salissures et des traces de maquillage sans rinçage : un atout pour les femmes pressées.
Les déodorants ne se contentent plus de remplacer une odeur par une autre, ils limitent la prolifération bactérienne et captent les mauvaises odeurs. Les antiperspirants viennent au secours des sueurs trop abondantes.
La toilette intime ne se fait pas au karcher avec des produits détergents pour les muqueuses. Les lubrifiants soulagent la sécheresse vaginale et améliorent la qualité de la vie sexuelle des femmes.
Les bébés ont des trousses de toilette aussi garnies que celles de leurs parents avec des produits qui anticipent leurs futurs problèmes cutanés dès la naissance (atopie, sécheresse). La rougeur n’attend pas le nombre des années !
La naissance des gammes pour hommes.
C’est bien connu, les femmes et les enfants d’abord, mais au fil du temps vous êtes parvenu, Messieurs, à rattraper votre retard. La pharmacie s’intéresse aux hommes ! Enfin des lignes de soins aux textures fraîches et non grasses, adaptées à la peau masculine. Tout avait commencé timidement avec une marque de parfums masculins Tabac Original.
À l’époque, fumer ne tuait pas (ou pas encore) et sentir la fragrance boisée Tabac pouvait être un atout de séduction. Puis l’épreuve quotidienne du rasage a fait naître des lotions et des gels hydroalcooliques avant et après rasage, des mousses pour poils récalcitrants ou barbes dures. Pionnière en 1985, Biotherm est la première marque à offrir une ligne de quatre soins premium pour les hommes dont le premier soin antirides, avec un slogan « Négligez la peau, vous trouvez ça viril ? »
Plus besoin de chiper en douce les produits de beauté de madame, la cosmétique masculine s’appelle Basic, Cible… Les hommes surveillent jalousement leurs premières trousses de soins anti-âge, anti-relâchement autobronzants et même amincissants pour éliminer les poignées d’amour.
Mais la séduction tient parfois à un cheveu, lorsque les plus coquets voient leurs tempes et leur front se dégarnir prématurément, leur moral en prend un coup. La chevelure est une parure, plus dure est la chute ! Ce fut la ruée sur les programmes antichute à grand renfort d’ampoules et de lotions qui, si elles ne garantissent pas une repousse durable, ont au moins le mérite de retarder ou de prévenir la chute. Un peu plus tard, même si les causes sont différentes, les femmes rejoignent les hommes dans cette quête échevelée.
Le soleil au zénith.
La première crème solaire à très haute protection, anciennement considérée comme écran total (IP 50+ Roc) a été lancée en 1957. En 1961, naîtra le premier soin solaire de la marque Biotherm alliant protection et plaisir Très avant-gardiste, la marque propose en 1972 les solaires anti-âge pour profiter du soleil sans en payer les conséquences. Mais à cette époque, les méfaits du soleil sont mal connus et les candidat(e)s au bronzage ne leur accordent que peu d’intérêt.
Les sacs de plage débordent d’Ambre solaire, d’huile de bergamote, de graisse à traire… Pour beaucoup, les souvenirs restent cuisants. Le nombre de cancers cutanés ayant explosé ces dernières décennies, la recherche s’est complètement investie sur une meilleure connaissance des effets néfastes des rayons UV sur la peau. Ce fut d’abord les UVB qui ont été passés au crible. À l’époque, en l’absence de méthode standard pour calculer le facteur de protection solaire (SPF), les enchères montaient vite : SPF 40, 60, 100 voire 120.
Qui dit mieux ? Le pharmacien avait du mal à s’y retrouver dans ses conseils. À présent, comme la vitesse en ville, on ne dépasse pas le 50. Puis ce fut au tour des UVA de montrer leur dangerosité. En 1982, le Mexoryl SX anti-UVA révolutionne la protection solaire. Il sera intégré pour la première fois dans la gamme solaire de Vichy, Capital Soleil. La révolution se poursuit avec la mise au point dès 1989 du Mexoryl XL, anti-UVA et UVB. La première gamme à en bénéficier en 1999 est Anthélios. Les gammes proposent aujourd’hui des soins dédiés non seulement à la protection contre l’ensemble des UV mais au vieillissement cutané photo-induit et à l’hyperpigmentation.
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