COMMENT résumer en un seul article trente ans d’avancées médicales constamment accélérées si ce n’est en optant pour une approche subjective ? Il serait ainsi possible d’évoquer au fil de souvenirs qui (re)viennent à l’esprit :
- La stimulation magnétique transcrânienne mise au point en 1985 par Anthony Barker et utilisée à des fins diagnostiques ou thérapeutiques.
- Le développement des nanosciences et des nanotechnologies depuis les années quatre-vingt-dix ouvrant la voie, entre autres nombreuses applications, à la « vectorisation » des médicaments.
- L’émergence de l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle à la suite des travaux de Jack Belliveau (1991), permettant de visualiser en direct l’activité du cerveau.
- Le développement, depuis le début de la décennie 2000, de l’endoscopie capsulaire : des vidéocapsules ingérées par le patient enregistrent des images de l’ensemble du tube digestif et permettent d’explorer l’intestin grêle.
- L’essor de l’impression 3D médicale, autorisant désormais la réalisation de prothèses personnalisées (comme tout récemment des prothèses biorésorbables pour des enfants atteints de trachéomalacie) mais aussi la fabrication de tissus vivants fonctionnels permettant de réaliser des tests pharmacologiques en attendant, qui sait, la production d’organes entiers.
- La saga du cœur artificiel nous menant du premier cœur, conçu par l’Américain Robert K. Jarvik et testé fin 1982, au cœur bioprothétique, autorégulé et intégralement implantable du cardiologue français Alain Carpentier, testé dès 1989 sur des veaux, breveté en 2008, et posé pour la première fois chez l’homme en 2013 : il est bien connu sous le nom de « cœur Carmat ».
Mais, puisqu’il faut toutefois faire des choix, l’une des avancées qui a sûrement marqué le plus le pharmacien pendant ces trente dernières années touche aux fondements mêmes du vivant.
Les progrès conjoints de la génétique et de l’informatique ont été à la base de la création d’une nouvelle science : la bio-informatique qui a notamment facilité l’essor des diverses formes de biothérapies. Ce développement fascinant par les espoirs dont il est porteur l’est tout autant par les craintes qu’il suscite : il interroge désormais sur la valeur même que représente la vie et confronte l’Homme à de nouveaux questionnements éthiques.
Proposer des traitements personnalisés.
Il y a un peu plus de 60 ans que les chercheurs Francis Crick et James Watson (Prix Nobel 1962) ont décrit l’ADN, la molécule en double hélice renfermant le patrimoine génétique de chaque être vivant. Leur découverte allait révolutionner le monde. Les premières manipulations de gènes in vitro commencèrent dans les années 1970 : le biochimiste américain Paul Berg (Prix Nobel 1980) obtient un ADN recombinant en 1972 ; dix ans plus tard, en 1982, la société Genentech produisit avec Escherichia coli la première insuline humaine recombinante - l’année même où la première souris transgénique vit le jour - : on sait l’importance prise en trois décennies par les médicaments recombinants, notamment en endocrinologie et en cancérologie.
Les travaux du biochimiste américain Kary B. Mullis (Prix Nobel 1993) permirent, à partir de 1986, de réaliser une amplification génique grâce à la PCR (Polymerase chain reaction), une séquence de réactions enzymatiques multipliant quasiment à l’infini un segment d’ADN : cette technique révolutionna la biologie moléculaire en ouvrant la voie au diagnostic de nombreuses maladies génétiques (elle est également exploitée en criminalistique).
Les progrès en génétique, fulgurants dès le début des années quatre-vingt-dix, suscitèrent la création de nombreuses start-up biotechnologiques explorant le champ médical (Amgen, Genentech, etc.) : elles furent à l’origine de grandes « premières » de l’époque. Le séquençage complet d’une bactérie fut réalisé en 1995 par l’Américain John C. Venter qui, trois ans plus tard, annonça pouvoir décrypter à peu de frais l’intégralité du génome humain avec ses séquenceurs automatisés.
Effectivement, dès 2001, grâce aux travaux de sa société, Celera Genomics, et de l’International Human Genome Project, le monde put en découvrir la structure brute et l’on commença à décrire l’ensemble des quelque 25 000 gènes le composant. La séquence complète fut élucidée en 2004 et un séquençage fait sur un seul individu fut publié en 2007. Cette même année, Venter créa le premier chromosome artificiel. Il fut aussi, en 2010, le « père » de la première bactérie viable dont le génome était entièrement synthétisé de façon artificielle.
Le génome humain constitue une « base de données » considérable pour le médecin, avec ses quelque 3,2 milliards de paires de bases. Des laboratoires de biologie mais aussi des sociétés privées proposent aujourd’hui de le séquencer rapidement pour un coût de plus en plus réduit (environ 1 000 euros : un coût divisé par… 100 000 en 15 ans !).
Cette avancée technologique permet de développer, pour reprendre une expression du généticien français Jacques Ruffié (1921-2004), une médecine « prédictive » basée sur l’analyse génomique et sur la mise en œuvre de traitements individualisés. La pharmacogénomique vise à identifier des groupes de sujets dont les caractéristiques génétiques, pour une maladie donnée (comme, par exemple, une tumeur) et pour la réponse aux médicaments administrés, sont semblables. Le profilage génétique du patient et sa comparaison avec des référents permettent dès lors de lui proposer un traitement personnalisé privilégiant certaines molécules plus efficaces et en éliminant d’autres qui seraient toxiques.
Thérapies génique et cellulaire.
Les progrès en génétique ont autorisé depuis un quart de siècle le développement de nouvelles formes de biothérapies, englobant notamment les thérapies cellulaires (manipulation de cellules souches ou différenciées) et les thérapies géniques (transfert de gènes, intervention sur les gènes) parfois fort proches voire associées.
La thérapie génique ou génothérapie s’est développée de façon rapide dès le début des 90’ : elle consiste à insérer, dans les cellules du patient, une version fonctionnelle d’un gène dont l’altération cause une maladie. C’est l’ensemble des progrès de la génétique qui, en 1990, permirent à l’Américain Steven Rosenberg de tenter un premier essai de thérapie génique sur des enfants atteints d’une déficience en adénosine-déaminase nécessitant un maintien dans un environnement stérile, en attendant une greffe de moelle ou, ce fut le cas, une greffe génétique. Les essais de thérapie génique se multiplièrent.
En 2000, le Français Alain Fischer traita des enfants atteints d’un déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X (« bébés bulle ») en insérant un gène fonctionnel ex vivo dans leurs lymphocytes grâce à un rétrovirus avant de leur réinjecter. En 2002, Rosenberg administra des lymphocytes génétiquement modifiés pour devenir « infiltrants » chez des patients adultes atteints d’un mélanome avancé.
La thérapie cellulaire, balbutiante dès les années 1970, consiste quant à elle à utiliser des cellules dites « souches », pour réparer ou pour régénérer un tissu, voire un organe, altérés. Provenant du patient lui-même ou d’un donneur, ces cellules sont mises en culture et, si besoin, modifiées par génothérapie (les deux techniques sont donc souvent complémentaires). Les cellules souches peuvent être mâtures et donc différenciées, embryonnaires ou pluripotentes induites (cellules mâtures traitées pour redevenir pluripotentes : cette découverte du Japonais Shinya Yamanaka en 2006 lui a valu le Prix Nobel de médecine 2012).
Si l’administration de cellules souches hématopoïétiques (greffe de moelle osseuse) constitue le rationnel du traitement de diverses hémopathies malignes et d’affections dysimmunitaires depuis les années 1970, la technique a été révolutionnée depuis moins de dix ans par les cellules pluripotentes induites.
Pour s’en tenir à deux exemples, les travaux portent actuellement sur l’usage de cellules souches embryonnaires humaines différenciées en cellules de la rétine pour lutter contre la DMLA ou sur celle de cellules de pancréas obtenues à partir de cellules embryonnaires pour traiter le diabète de type 2. On peut noter que l’équipe française de Luc Douay a réalisé en 2011 la première autotransfusion d’un culot de cellules rouges obtenues par différenciation de cellules souches. Dans un autre domaine, une greffe de cellules cardiaques dérivées de cellules souches embryonnaires a été réalisée en 2014 sur une patiente souffrant d’insuffisance cardiaque.
Des médicaments high-tech.
Trois médicaments issus des travaux sur les thérapies géniques et cellulaires sont d’ores-et-déjà agréés : Gencidine, destinée au traitement de tumeurs du cou et de la tête, l’est en Chine depuis 2004 (adénovirus recombinant exprimant le facteur de transcription p53) ; Glybera l’est en Europe depuis 2012, pour traiter un déficit héréditaire en lipoprotéine-lipase (adénovirus reprogrammé pour contenir un variant sain du gène défectueux : il pénètre les cellules musculaires et y insère son ADN qui est alors transcrit en enzyme) ; Holoclar l’est quant à lui en Europe depuis février 2015 dans les lésions sévères de la cornée (il repose sur le prélèvement de cellules souches en périphérie de la cornée chez le patient et leur différenciation ex vivo en cellules épithéliales de la cornée qui sont ensuite réimplantées).
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