LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Comment voyez-vous la profession de pharmacien dans 30 ou 50 ans ?
GRICHKA BOGDANOFF.- Je vois trois grandes tendances pour la pharmacie de demain. La première est représentée par la dématérialisation, la pharmacie sera sans doute de plus en plus traversée par la révolution numérique. La deuxième est sous tendue par l’explosion de la recherche thérapeutique porteuse de nouvelles molécules de plus en plus pointues et ciblées. La troisième tendance est celle qui place le pharmacien de plus en plus en relais du médecin. Par sa proximité avec le public et l’accroissement de ses domaines de compétences, il deviendra encore plus qu’il ne l’est aujourd’hui, prescripteur du petit soin. Voilà mon intuition.
Aujourd’hui, le patient est pris entre deux flux d’informations. En amont, il bénéficie d’informations recueillies sur internet ou les systèmes experts, et en aval il reçoit le message du médecin. Entre les deux, et c’est un rôle extrêmement important, il y a l’intervention du pharmacien. Un rôle qui a mon sens ne pourra que s’accroître dans l’avenir.
Pensez-vous que les robots et l’informatique - déjà très présents dans les officines -, pourraient remplacer un jour les professionnels ? En un mot, va-t-on vers une pharmacie déshumanisée ?
En fait votre interrogation revient à se demander à quel moment interviennent les êtres humains dans la circulation des big data. J’évoquais tout à l’heure la révolution numérique, il est bien évident que la pharmacie est totalement inscrite dans cette évolution. Il n’est plus question pour le pharmacien de se couper de ces outils. Et c’est d’ailleurs autour de ces nouvelles technologies de l’information que son rôle de traducteur, de vulgarisateur, va prendre toute son importance auprès du patient.
Je crois que, contrairement à ce qu’on pourrait penser, la place du pharmacien dans le système de soins au lieu de disparaître derrière les machines, va se renforcer. On peut donc diagnostiquer que dans 20, 30 ou 40 ans, l’officinal sera autant l’expert de la matière médicale et du médicament que celui des vecteurs d’informations relatifs à l’expertise numérique. Prenez l’exemple de Watson, ce programme informatique d’intelligence artificielle conçu par IBM dans le but de répondre à des questions formulées en langue naturelle. Il est déjà capable de trouver le bon diagnostic 9 fois sur 10 quand le médecin généraliste y parvient, lui, seulement 4 fois sur dix…
Le pharmacien sera amené de plus en plus à appuyer son expertise sur des systèmes tels que Watson, tout en procédant par recoupements et en gardant surtout sa faculté de discernement. Car au final, c’est lui qui délivrera les conseils au patient.
Vous qui êtes reconnus comme des experts de la vulgarisation scientifique, pensez-vous que le pharmacien est, parmi les autres professionnels de santé, le mieux désigné pour assumer ce rôle de vulgarisateur médical auprès du public ?
IGOR BOGDANOFF.- Il est de très loin le mieux placé pour cela. Pourquoi ? Parce qu’il a un rôle de supervision. Il règne pour ainsi dire sur des milliers de molécules. Il faut qu’il en connaisse les effets et les caractéristiques. Il est celui qui traduit cette véritable bible moléculaire au public qui, et c’est bien naturel, est assez ignorant en la matière. Son rôle de vulgarisateur est donc absolument déterminant.
Dans le prolongement de ce rôle de médiateur de santé, êtes-vous favorable au développement des nouvelles missions allouées au pharmacien, telles le dépistage, la vaccination, le suivi des patients chroniques ?
GRICHKA.- Oui, absolument. Je milite à fond pour cela. Je pense que le pharmacien doit devenir le complément indispensable du médecin, un auxiliaire du prescripteur au sens noble du terme. Tous ces gestes, toutes ces missions, il peut, il doit les accomplir. À cet effet, je préconiserais même l’aménagement dans les officines d’un petit espace dédié à ces actes médicaux simples qui doivent être réalisés en pharmacie.
Si je vous comprends bien, vous ne prédisez pas de « big bang » de la pharmacie, qui ferait exploser le métier et disparaître le pharmacien de chair et d’os derrière la machine ?
Certainement pas. J’en suis absolument certain. Il y a une part invariante face à cette révolution numérique et les évolutions qui l’accompagnent telles la télémédecine ou les systèmes experts que j’évoquais tout à l’heure. Cette part invariante c’est notamment le rôle du pharmacien qui sur le terrain assume, parfois même mieux que le médecin généraliste, cette mission d’information et d’intermédiation auprès du public.
Quel est votre rapport à la santé en général, et aux médicaments en particulier ?
IGOR.- C’est un rapport inexistant (rires).
GRICHKA.- On ne voit jamais de médecin.
Vous les fuyez, ou vous n’en n’avez pas besoin ?
IGOR.- On les consulte une fois par an pour notre visite médicale obligatoire nécessaire au pilotage d’avion et d’hélicoptère. En fait, on a de la chance. On n’est jamais allé à l’hôpital, on n’a jamais ni rhume ni grippe. C’est bien simple, nous n’avons ni médecin traitant, ni carte Vitale.
GRICHKA.- Je crois que le dernier médecin que nous ayons vu est celui qui nous a vaccinés lorsqu’on était enfant (rires).
Les médicaments, vous ne connaissez donc pas ?
IGOR.- Non. Je pense même que nous n’avons jamais pris d’antibiotiques, sauf peut-être dans notre prime enfance… En revanche, intellectuellement, certains médicaments nous intéressent. L’homéopathie par exemple qui est un concept étonnant mais qui semble fonctionner chez de nombreuses personnes. Un constat certes empirique, mais qui nous amène à faire des boucles théoriques autour de l’idée de messagers thérapeutiques.
Mais ce qui nous intéresse surtout en pharmacologie, et c’est là que le pharmacien devient pourvoyeur de modernité, c’est l’émergence dans les cinq à dix ans à venir de nouvelles familles de molécules et l’avènement de la médecine personnalisée qui va bouleverser le paysage thérapeutique. Et c’est le pharmacien qui sera porteur de la bonne nouvelle.
Au-delà de votre mission de vulgarisateurs, quelle est aujourd’hui la nature de votre contribution aux progrès scientifiques ?
GRICHKA.- Igor et moi sommes conseillers scientifiques pour un laboratoire de biologie moléculaire dirigé par le Pr Christophe de Jæger qui s’intéresse au thème de l’atteinte de la grande longévité ; ce qu’on appelle la TGL, pour très grande longévité. Des progrès qui laissent espérer d’allonger la durée de vie moyenne à 100 voire 150 ans, voire plus dans les décennies à venir.
Cette perspective dépendant bien sûr de l’émergence de nouvelles familles de molécules telles les inhibiteurs de la décroissance de la longueur des télomères. En mai 1982 nous avions réalisé une émission qui s’appelait « vivre 120 ans ». Et à ce moment déjà, il nous était apparu que nous étions au bord de ces découvertes. Aujourd’hui, je pense que nous nous rapprochons sérieusement de cette frontière.
C’est ce que suggèrent d’ailleurs les travaux de l’équipe du Pr David Sinclair de l’école médicale de Harvard (Boston, États-Unis). En donnant à une souris de deux ans une molécule spécifique, ces chercheurs sont parvenus à rajeunir ses muscles, leur conférant la qualité de ceux d’une souris de 6 mois. Comme si une personne de 60 ans retrouvait d’un coup la vitalité et la musculature de ses 20 ans ! Tous les marqueurs du vieillissement étant inversés. Sinclair le dit clairement, la prochaine étape, c’est l’homme…
Vous êtes candidat à ce type d’expérimentation ?
Oui. D’ailleurs nous sommes candidats à beaucoup de choses. Par exemple, dans le domaine spatial nous travaillons actuellement à la mise au point d’un module qui sera plus léger que l’air et qui ouvrirait la porte à l’idée d’un « espace pour tous ». On travaille donc, avec toute une équipe, à la mise au point de ce dirigeable spatial qui permettra à des " touristes de l’espace " de grimper à plus de 100 000 pieds (N.D.L.R., 30 km), donc à un niveau stratosphérique, puis de redescendre, sans être meurtris par les effets de l’accélération. C’est un projet très concret de tourisme spatial, initié par le général Marc Alban, et pour lequel nous sommes conseillers scientifiques.
Votre credo, c’est donc, toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus vieux…
Absolument, c’est cela qui nous anime et qui nous animera encore sans doute longtemps…
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