Les pharmaciens ont leur avenir en mains. Selon Dominique Jordan, le président sortant de la société faîtière des pharmaciens, qui représente et défend toute la profession à la fois sur les plans politique et économique et sur l’ensemble du territoire suisse en imaginant des solutions pour permettre à la profession d’offrir des prestations de haute qualité, proches de la pratique médicale et tournées vers l’avenir, « il appartient aux pharmaciens et seulement aux pharmaciens de décider de l’évolution de leur profession ». Autrement dit, pour le président sortant de PharmaSuisse, « il n’est pas question de laisser une autre profession venir décider en lieu et place des pharmaciens du futur périmètre de leur métier ».
Car le métier de pharmacien a bel et bien évolué chez nos voisins helvètes. Convaincus que l'officine est l’une des portes d’entrée du système de santé, les pharmaciens suisses ont ainsi considéré qu’ils devaient assumer une triple mission : « promouvoir la santé et en particulier les politiques de prévention, trier les malades aiguës et accompagner et suivre les patients chroniques ». Trois axes qui ont naturellement placé les pharmaciens en situation de concurrence avec d’autres professionnels de santé. Et en particulier les médecins, voire les infirmiers.
Complexité
Mais la nature ayant horreur du vide, cette « apparente concurrence s’est en réalité révélée beaucoup moins problématique que prévu », explique Dominique Jordan, qui aime à rappeler que « si la couverture vaccinale avait été optimale en Suisse le Brésil n’aurait jamais connu une nouvelle épidémie de rougeole »*. Un argument choc qui a mis les détenteurs du pouvoir de vacciner face à leurs responsabilités… et a permis aux pharmaciens suisses d’obtenir à leur tour le droit de vacciner et donc d’améliorer la couverture vaccinale en vaccinant les patients que ne voyaient ni les médecins, ni les infirmiers.
Mais pas seulement. Car c’est bien le métier dans son ensemble qui s’est trouvé bouleversé… et donc la totalité de l’arsenal législatif qui a été revue. Non sans mal, puisqu’avec trois lois fédérales (loi sur l’assurance maladie, loi sur les produits thérapeutiques, loi sur les professions médicales) et 26 lois cantonales, la réglementation suisse était pour le moins complexe.
Pragmatisme
Une complexité qui ne pouvait toutefois résister au pragmatisme helvète. « Sur mille patients souffrant au moins d’un symptôme, 250 seulement consultent un médecin », explique Dominique Jordan. Preuve, s’il en est besoin, qu’« au-delà de la dispensation des ordonnances, les pharmaciens ont un rôle à jouer sur l’aiguë et la santé en général ».
Un rôle qui s’est traduit dans les faits par des actions de prévention, par des conseils pharmaceutiques et la délivrance de traitements OTC pour des cas simples, voire des prescriptions pharmaceutiques. Sans oublier, bien évidemment, le suivi et l’accompagnement des patients chroniques. Autant de missions que le législateur français a pu imaginer à l’époque du vote de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) sans jamais oser s’affranchir du lobby médical, et que les Suisses ont, eux, bel et bien mis en place.
Stratégie
Mais pas sans garanties. Selon Dominique Jordan, pour être en mesure de moins dépendre du prix du médicament et prétendre réduire sa dépendance vis-à-vis du corps médical et de l’assurance-maladie, le pharmacien se devait d’offrir des garanties. Les officinaux ne pouvait en effet prétendre faire bouger les lignes sans se donner les moyens d’assurer leur indépendance et sans assurer les autorités et les autres professions de santé de la qualité de leurs actions.
C’est donc la qualité qui est au cœur de l’action du pharmacien helvète ; au centre de la stratégie développée par PharmaSuisse. Car c’est bien de stratégie qu’il s’agit, avec un plan d’action commun à l’ensemble de la profession qui pourra ainsi parler d’une seule et même voix et se présenter unie pour obtenir les évolutions souhaitées. « Un préalable incontournable pour espérer convaincre les politiques » selon l’ancien président de PharmaSuisse.
Formation et certification
Au cœur de cette stratégie, les Suisses ont donc placé la qualité. Une qualité qui repose à la fois sur une formation adaptée aux prétentions officinales et sur une labélisation. « Pour permettre aux pharmaciens d’assurer ces futures prestations, la formation de base a ainsi été repensée avec l’aide de PharmaSuisse qui a financé pendant cinq ans une chaire de pharmacie clinique et une chaire de pharmacie pratique ; puis qui a mis un million de francs suisses sur la table pour financer des travaux de recherche », explique encore Dominique Jordan. Un pari gagnant, puisqu’à l’issue de l’expérimentation le gouvernement fédéral a repris à son compte ses deux chaires pour les intégrer au cursus pharmaceutique.
De même la société faîtière suisse a-t-elle fait évoluer la formation post-graduée en créant un titre FPH en pharmacie d’officine et un autre en pharmacie hospitalière qui sont l’un et l’autre devenus obligatoires pour diriger une structure. Enfin la formation continue a été réorganisée et rendue obligatoire afin de garantir une mise à niveau annuelle des connaissances des pharmaciens. C’est dans cette même logique qu’ont été instaurés des certificats. « Véritables garanties, pour les patients, ils apportent la preuve que le pharmacien est à même de prescrire en ambulatoire, de vacciner et d’effectuer des prélèvements sanguins, de travailler dans un établissement médico-social (EMS) et d’autres institutions de soin, de pratiquer la pharmacie clinique, la phytothérapie ou encore la pharmacie vétérinaire dans le domaine des animaux de rente. »
Une démarche qualité, avec la mise au point du label QMS pharma, a par ailleurs permis de certifier les pharmacies suisses à partir d’une meilleure organisation des officines et d’une sécurisation de l’acte officinal. Cette démarche semble d’ailleurs avoir fait la preuve de son efficacité, puisque le process QMS pharma a inspiré le modèle français de certification qui est aujourd’hui proposé par Pharma Système Qualité et inclut, en outre, une démarche du type ISO.
Cercle de qualité
Ainsi armés, les pharmaciens suisses ont pu proposer un ensemble de prestations laissées à la charge des patients. Systématiquement objet d’une convention spécifique, ces projets pilotes concernent des domaines aussi variés que les conseils en vaccination, la mesure de la glycémie et du cholestérol, la contraception d’urgence, le cardio-test ou encore la prise en charge de la BPCO. Les pharmaciens volontaires ont ainsi pu participer à des projets pilotes et à des campagnes de prévention, comme en 2008 sur la mesure du profil lipidique ou encore le contrôle de la fonction pulmonaire ; et plus récemment le dépistage du cancer du côlon qui a été primé par la Fédération internationale de la pharmacie (FIP).
Pour éviter toute redondance avec les autres professions de santé, pharmaciens et médecins ont travaillé mains dans la main en vue d’améliorer la pharmacothérapie. Dans des cercles de qualité médecins-pharmaciens, les deux professions ont ainsi démontré qu’il était possible d’accroître la qualité des soins tout en diminuant leur coût. « Le principe de la formation est simple : le module de base se déroule sur deux ans et compte treize cours », explique l’ancien président de PharmaSuisse. La palette des sujets abordés est vaste : de l’asthme au diabète en passant par l’insuffisance cardiaque. « Après cette formation de base, il est possible chaque année de se tenir au fait des dernières évolutions scientifiques et pharmaco-économiques en participant aux modules de mise à jour », précise encore Dominique Jordan.
Palette de services
Forts de ces évolutions et bien armés, les pharmaciens suisses ont pu alors faire évoluer leur rémunération en la décorellant autant que possible du prix du médicament et en l’asseyant sur des services. À charge, dès lors, aux officinaux de proposer des prestations attractives et utiles aux patients « C’est la condition essentielle pour que le savoir scientifique du pharmacien soit crédible, car neutre et indépendant, et en même temps assurer la pérennité de nos PME », explique Dominique Jordan.
Convaincu que le pharmacien en tant que distributeur de médicaments n’avait aucun avenir, puisqu’il était facilement remplaçable, le représentant de PharmaSuisse insiste sur la nécessité pour les officinaux d’offrir une palette de services autour d’un produit. Et d’ajouter : « La rémunération globale du pharmacien doit lui permettre en tant que chef d’entreprise d’assumer ses rôles et également d’investir dans l’avenir ; car une profession qui ne peut investir est condamnée à mourir. »
* La Suisse, responsable de nombreux cas d’exportation dans d’autres pays, est un mauvais élève en matière de lutte contre la rougeole par la vaccination.
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