Bilan et perspective économique

L'EBE ne paie plus

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Publié le 30/10/2017
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L’incapacité de l’officine à dégager une marge suffisante se traduit dans l’excédent brut d’exploitation (EBE), sans aucun doute l’indicateur le plus pertinent. En tout cas le paramètre qui démontre le mieux la faculté de l’officine à rémunérer son titulaire et à rembourser les emprunts.
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Crédit photo : Caroline Victor-Ullern

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Crédit photo : S. TOUBON

6 000 euros. C’est en moyenne ce qu’aura perdu chaque titulaire sur l’exercice 2016. Les trois experts-comptables annoncent en effet des excédents bruts d’exploitation à hauteur de 227 500 euros, 238 500 et 271 300 euros. Un an auparavant, ils présentaient encore des chiffres, certes en berne par rapport à l’exercice 2014, mais supérieurs aux scores actuels.

L’excédent brut d’exploitation (EBE) retraité (1) est donc en nette régression sur l’ensemble des cabinets si l’on pondère les résultats de Fiducial stimulés par les pathologies hivernales. Ces 6 000 euros manquant à l’appel ne sont pas anodins, souligne Olivier Desplats, expert-comptable du réseau CGP et dirigeant du cabinet Flandre comptabilité conseil (FCC). Ils traduisent en effet une perte de performance financière de l’officine, l’EBE étant désormais, rappelle l’expert-comptable, l’indicateur le plus pertinent de l’économie officinale. « C’est du reste, note-t-il, celui retenu par les cabinets de transaction, comme Interfimo. »

Le poids des charges externes s'accentue

La régression de l’EBE est d’autant plus inquiétante qu'il n’atteint plus aujourd’hui que 15 % du chiffre d’affaires global de l’officine (soit les ventes et les prestations). Les experts-comptables sont formels, l'EBE ne permet plus d'absorber la hausse des frais de structures. À noter que les statistiques des experts-comptables aboutissent à ce constat : toutes les officines sont concernées, quelles que soient leur taille, leur typologie et leur localisation.

Ceci est d'autant plus vrai que le poids des charges externes ne cesse de s'accentuer. Si l'on en croit le taux établi par CGP, il est passé de 5,2 % du chiffre d'affaires en 2015 à 5,3 % en 2016. Même résultat chez KPMG (5,3 % au lieu de 5,1 %). Toutes les officines ne sont cependant pas égales face aux charges. Ainsi, de toute évidence, dans les zones urbaines ou dans les centres commerciaux, les structures ressentent une pression plus importante que dans les gros bourgs ou en zone rurale, en raison des loyers élevés.

À propos des charges externes, auxquelles il faut également intégrer l'informatique, les pharmaciens souhaitant rester dans la course n'ont d'autres choix que de les voir augmenter. Plusieurs éléments contribuent à ce phénomène, comme le remarque Olivier Desplats, « l'informatique est devenue un consommable ; il faut en changer tous les quatre ans, ou tout au moins la faire évoluer ». De même, l'automatisation du stockage et la PDA, sont également des éléments qui pèsent sur les charges externes. « Les robots sont financés par le crédit-bail qui se retrouve en tant que mode de financement dans les charges externes », expose l'expert-comptable.

Un temps libre sacrifié

Les titulaires seraient donc d'autant plus avisés de surveiller l’EBE que cet indicateur est le point névralgique de l’officine. Il sert à trois choses : payer l’impôt, rembourser les emprunts et rémunérer le titulaire. Car, comme l’énonce Olivier Desplats, « l’acquisition d’une officine doit être effectuée comme l’achat d’un outil de travail et non comme un outil de capitalisation ». En un mot, le titulaire doit pouvoir vivre de son travail.

Or, à la lueur des chiffres actuels, il semblerait que la régression de l’EBE entame sérieusement la qualité de vie du titulaire. L’expert-comptable en veut pour preuve la maîtrise des frais de personnel (2). Les pharmaciens parviennent à les juguler à un niveau équivalant à 10,5 ou 10,8 % du chiffre d’affaires (11,1 % chez KPMG), soit des ratios quasi similaires à ceux de 2015.

Ces frais de personnels étant incompressibles dans certaines zones de chalandise (centres commerciaux, centres-villes) en raison des amplitudes horaires, Olivier Desplats pointe le fait que « le niveau constant des frais de personnel ne peut être maintenu qu’au détriment du titulaire qui recourt moins à des remplaçants et sacrifie plus volontiers ses congés ».

Conserver le pouvoir d'investir

Ce constat interpelle par ailleurs les experts-comptables sur les capacités des officines à s'adapter aux mutations de la profession. « Les pharmaciens évoluent aujourd’hui vers un métier de prestataire. Or il est difficile d’envisager des frais de personnels à la baisse dans un contexte où davantage de « bras » et surtout de qualifications seront nécessaires pour réaliser ces prestations dans l'officine », remarque-t-il.

De manière générale, les tensions comptables que connaissent les titulaires ne laissent pas d’inquiéter. Ces difficultés potentielles à négocier le tournant qui s'annonce à la suite des derniers accords conventionnels avec l'assurance-maladie ne sont qu’un exemple de la vulnérabilité de la profession. Car, au-delà de ces craintes, les experts-comptables doutent, dans ce contexte, de la faculté des titulaires à investir à l’avenir dans leur outil de travail afin de le pérenniser. Sinon de le valoriser.

(1) Soit la différence entre la marge brute et les charges externes ainsi que les frais de personnels hors titulaire.
(2) Salaire brut versé aux salariés, charges sociales comprises, moins le CICE.

M. B.

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3384