Très différents dans leurs fonctions, incomparables dans leurs présentations, produits cosmétiques, pansements et orthèses ont pourtant une caractéristique en commun : leur utilisation implique un contact prolongé avec la peau.
Une intimité qui n'est pas sans comporter certains risques du fait des ingrédients ou composants qui les constituent. Les produits cosmétiques, par exemple, peuvent abriter des substances potentiellement allergisantes pour la peau. Dans ce cas, on parle d'allergie de contact. « C'est une affection qui touche 20 % de la population », précise le docteur Martine Avenel Audran, dermatologue et secrétaire du GERDA (Groupe d'Études et de Recherche en Dermo Allergologie). Si la réaction cutanée est immédiate, il s'agit d'une urticaire de contact allergique. Plutôt rares, ces manifestations peuvent être graves et induire un choc anaphylactique. « L'urticaire se produit surtout en réaction à une protéine – hydrolysat de protéines de blé, par exemple – présente dans certaines formules cosmétiques ». Quand la réponse cutanée intervient 24 heures à 48 heures après le contact de la peau avec l'allergène, il s'agit d'un eczéma. Il se traduit par une réaction inflammatoire qui combine rougeur, œdème, démangeaisons à l'apparition de vésicules. Généralement, la manifestation est localisée au niveau de la zone de contact mais la réaction peut s'étendre au-delà. « Toutes les régions du corps peuvent être atteintes de la même façon mais les mains, plus exposées du fait de leur fonction, sont le plus souvent touchées ».
Multiples allergènes
Plusieurs familles de substances sont considérées « à risque allergisant » dans les compositions cosmétiques. « Les parfums et leurs dérivés, les huiles essentielles (pour leurs terpènes), sont les plus fréquemment incriminées, poursuit Martine Avenel Audran. Suivent les conservateurs (épidémie récente d'allergie à la méthylisothiazolinone) et les agents de teinture ainsi que leurs dérivés (paraphénylènediamine) utilisés dans les teintures capillaires et les tatouages. Les parabens à petite chaîne, peu allergisants, peuvent figurer dans la composition parce qu'ils sont nécessaires à la protection du produit cosmétique et que leur potentiel perturbateur n'est pas démontré ». Certains excipients (dérivés de la lanoline), certains tensioactifs viennent compléter la liste des substances pouvant être allergisantes. La réaction peut aussi être induite par l'exposition solaire comme c'est le cas de quelques agents photoprotecteurs (octocrylène, benzophénone-3) dans les produits solaires.
« 26 substances parfumantes (limonène, linalol…) considérées comme étant les plus à risque dans la formulation cosmétique doivent être obligatoirement mentionnées sur l'emballage des produits. Depuis 1997, la législation européenne sur les cosmétiques impose à tous les ingrédients de la formule d'être indiqués par ordre d'importance proportionnelle. Si certains ingrédients sont interdits comme l'isobutylparabène, d'autres sont autorisés dans des conditions particulières (type de cosmétique et concentration). C'est ce qui fait toute la difficulté dans ce domaine ». En situation de contact répété avec la peau, l'allergène peut engendrer une sensibilisation qui prendra généralement la forme d'un eczéma. Si elle se développe, l'affection peut s'étendre au-delà de la zone sensibilisée. Après avoir traité l'eczéma par dermocorticoïdes, le seul traitement qui permet d'éviter les récidives est l'éviction définitive de l'allergène. Il n'y a pas de désensibilisation possible car les lymphocytes sollicités lors de l'exposition à la substance la gardent en mémoire et continueront de réagir à sa présence. « La voie orale est celle de la tolérance, la voie cutanée celle de la sensibilisation ».
Dans ces circonstances, limiter le risque allergique est une priorité pour les formulateurs de produits cosmétiques. Les stratégies de prévention mises en place conditionnent la formule bien avant sa conception. À commencer par la nature et la quantité des éléments qui pourront y figurer. « Sur dix ingrédients autorisés, on en sélectionnera un seul », explique Marion Alves de Oliveira, pharmacien responsable de la formation chez La Roche-Posay. « En amont, on travaille donc sur une liste très réduite de composants ». Un minimum d'entre eux sera ensuite sélectionné dans la formule d'un produit. Plus faible est le nombre d'ingrédients engagés, moins il y a de risque allergique. « On est minimaliste dans nos formulations. Chaque ingrédient a sa fonction ».
Stratégies adaptées
L'étape suivante dans le processus d'éviction du risque allergique est celle des tests. « Chaque nouvelle formule est contrôlée pour mettre en évidence son potentiel allergisant », précise Marion Alves de Oliveira. Un impératif plus qu'une nécessité quand on s'adresse à une population au profil cutané sensible et polyallergique. « On pratique des patch-tests sur des personnes à terrain atopique ». S'il y a le moindre doute sur la tolérance de la formule, elle est retravaillée. Parfois, le produit ne franchit pas l'étape du lancement par soucis de sécurité. Le contenu n'est pas le seul à faire l'objet de mesures préventives. Le contenant a aussi un rôle à jouer en la matière. « On travaille nos packagings de façon à ce qu'ils puissent préserver l'intégrité des formules. Ça permet de réduire ou de supprimer les conservateurs ». Des systèmes « Airless » ont ainsi été développés pour protéger les contenus de toute contamination par retour d'air et les conditionnements sous tubes, nécessitant moins de conservateurs que les pots, ont été privilégiés.
Une grande vigilance est également requise dans la fabrication de cosmétiques à base d'extraits végétaux. « L'avantage est qu'il existe une très large bibliographie sur ces ingrédients qui sont connus de longue date », indique Yasmine Terki, pharmacien responsable scientifique chez Weleda. De plus, chacun d'entre eux est évalué pour déterminer son seuil de toxicité (pénétration dans la peau, phototoxicité, allergénicité…).
En parallèle, différents moyens sont utilisés pour contourner le risque. Par exemple, les huiles essentielles de citrus ou lavande, contenant de potentiels allergènes, ne seront présentes qu'à très faible concentration et seront protégées de l'oxydation dans la formule ; le processus d'extraction de l'huile d'amande douce, obtenue par première pression à froid, évitera le raffinage et la présence d'allergènes… « L'idée est d'imposer le moins de transformations possible aux matières premières. Ne pas les dénaturer pour éviter qu'elles engendrent un risque et préserver leurs qualités ». Une formule minimaliste en ingrédients et une batterie de tests sur peaux atopiques et sensibles viennent compléter les procédures de prévention qui s'appuient également sur un service de cosmétovigilance particulièrement réactif. Mais Weleda comme toutes les marques de cosmétique certifiée Bio dispose d'un autre atout en termes de sécurité : « les formules biologiques et naturelles ne sont pas confrontées aux problématiques engendrées par les composants de synthèse chimique ».
Autres que les cosmétiques
D'autres produits que les cosmétiques sont conçus pour entrer en contact prolongé avec la peau. Des dispositifs qui peuvent aussi abriter certaines substances allergisantes. Dans le cas des orthèses, elles sont connues de longue date. « Dans ce domaine, on parle plus volontiers de réaction cutanée que de phénomène allergique », remarque Eric Martin, responsable des traitements par compression chez Medi-France. La catégorie des orthèses les plus à risque d'intolérance cutanée est celle des bas médicaux du fait des systèmes de fixation dont ils sont équipés pour adhérer à la peau. Ces bandes « auto-fixantes » abritent du silicone qui peut provoquer un prurit et des rougeurs au niveau de la zone de contact cutanée.
La réaction peut être aggravée par la transpiration due à la chaleur que provoque la bande sur la jambe. Dans les cas extrêmes, heureusement rares, on peut observer un décollement bulleux, quand l'épiderme et le derme se dissocient. « Le silicone est issu d'une substance naturelle, la silice (le sable). Mais les traitements industriels utilisés pour le transformer ajoutent au matériau final des éléments chimiques qui sont sensibilisants ». Pour éviter le risque, la solution est d'éliminer le plus grand nombre d'impuretés du silicone en utilisant des procédés spécifiques. « Obtenir un très haut niveau de pureté dans le produit n'est pas la difficulté majeure. Le problème est de mettre en œuvre les études qui prouveront au circuit distributeur – l'officine – la haute qualité des matériaux engagés ». Les pansements aussi peuvent contenir des substances allergisantes même si beaucoup d'entre elles ont été supprimées des dispositifs comme le baume du Pérou dans le tulle gras.
« Des dérivés de colophane dans certains pansements hydrocolloïdes peuvent être allergisants particulièrement d'autant plus qu'ils sont en contact avec des tissus lésés donc fragilisés », ajoute le docteur Martine Avenel Audran. « Et il est difficile de repérer une substance à risque dans les pansements car ils n'ont pas l'obligation de détailler la liste de leurs composants sur les emballages ». Pour se prémunir d’un risque allergique pouvant être associé à l’utilisation d’un adhésif ou du support pansement, certains laboratoires comme Pierre Fabre suivent un principe sans concession : « Le fabricant devra conduire une analyse de toutes les données existantes sur chaque composant et veiller à ne retenir que des composants ayant fait démonstration de leur innocuité ».
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