GILLES BONNEFOND en est persuadé, « la médication officinale est non seulement un marché en développement, mais aussi l’avenir d’une bonne organisation du système de santé ». Selon le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), « cela ne sert à rien d’aller chez un médecin si on n’a pas besoin d’un diagnostic ». Il remarque que les patients qui se rendent à une consultation pour une pathologie bénigne le font surtout pour bénéficier du remboursement automatique de leurs médicaments. Mais « ce système est-il efficient ? s’interroge-t-il. Avons-nous assez de médecins pour consacrer du temps au rhume plutôt qu’à une sortie de chimiothérapie à domicile ? » Pour lui, la réponse est claire : « dans certaines zones, ce n’est pas possible. »
Il suggère donc d’inscrire la médication officinale dans un vrai « parcours de soin » et de la considérer comme un « prépremier recours ». Le patient pourrait se rendre directement à l’officine lorsqu’il estime qu’il n’a pas besoin du diagnostic d’un médecin. Le pharmacien se chargerait de lui conseiller un médicament, qui serait alors remboursé par la complémentaire santé. Si nécessaire, il pourrait aussi l’orienter vers le médecin. « Il ne faut pas que ce parcours soit pénalisé financièrement », insiste Gilles Bonnefond.
Cohérence du parcours de soins.
Il souligne que, à l’heure actuelle, un rhume coûte 50 euros si on passe par la case médecin, dont 15 euros remboursés par la complémentaire. « Si le pharmacien conseillait 15 euros de médicaments pour un rhume, la complémentaire rembourserait exactement la même somme. » Or les produits en question coûtent généralement moins cher. Le président de l’USPO note que ce type de raisonnement économique commence à intéresser les complémentaires. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs déjà mis en place des expérimentations de remboursement de paniers de soins. Gilles Bonnefond souhaite que ces initiatives soient généralisées, afin d’« arriver à une vraie stratégie pour avoir accès au remboursement ». Pour lui, « si les pharmaciens veulent garder ce marché, le seul moyen de contrer la grande distribution est d’être compétitifs sur les prix, d’avoir une cohérence dans le parcours de soins, d’inscrire la médication officinale dans le dossier pharmaceutique et de le faire prendre en charge en tiers payant par les complémentaires santé ».
Il déplore par ailleurs que certains outils destinés à faciliter les achats, comme les sociétés de regroupement à l’achat (SRA), ne soient pas reconnus par les laboratoires. « Cet outil n’a pas permis de négocier les prix », regrette-t-il. Quant à la rétrocession, il l’estime « indispensable à la souplesse d’achat du pharmacien ». Elle doit s’effectuer selon lui « dans des conditions limitées, réservée aux médicaments non remboursables et à la parapharmacie, dans un volume de chiffre d’affaires modeste, qui permette aux pharmaciens de bénéficier de bonnes conditions d’achat, sans être obligés d’avoir un stock de six mois ».
Augmentation de la productivité.
Claude Baroukh, secrétaire général de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), regrette lui aussi que « les laboratoires ne jouent pas le jeu des centrales d’achat et des SRA. Les pharmaciens individuels parviennent à obtenir des remises supérieures à celles accordées à des centrales d’achats de pharmaciens », pointe-t-il. Mais pour lui, « l’amélioration des achats passe aussi par la productivité. Les frais de fonctionnement d’une officine s’élèvent à environ 1 euro par minute, chiffre-t-il. Il faudrait mettre en place un nouveau modèle pour la gestion des commandes en pharmacie, avec, par exemple, une dématérialisation totale du processus ». Concernant la compétitivité des pharmaciens sur les prix de la médication officinale, il est plus nuancé que Gilles Bonnefond. Il note que ce segment « représente une dépense de seulement 34,50 euros par an et par habitant. Même si on fait gagner 10 % au patient sur cette somme, cela ne représente pas grand-chose ». Enfin, il insiste sur le fait qu’« il ne faudrait pas que ce développement de l’automédication soit interprété comme celui d’une médecine à deux vitesses ».
Fragilité du marché.
De son côté, Pascal Brossard, président de l’AFIPA, l’association des fabricants pour une automédication responsable, met en garde sur un ralentissement du marché de l’automédication ces derniers mois. En 2012, sa croissance s’est établie à 3,2 % en valeur, alors que le marché de la prescription baissait de -2,4 %. Mais en 2013, l’automédication a enregistré une baisse de 1,6 %. « L’automédication est beaucoup plus dynamique que le marché de la prescription ces dernières années, souligne-t-il. Mais cela reste fragile. C’est la première fois depuis plusieurs années que le marché baisse. » Il rejoint Gilles Bonnefond sur la nécessité d’un parcours de soin passant par la pharmacie, « car l’officine est l’élément-clé dans ce parcours. Et il faut absolument que les produits d’automédication soient dans le dossier pharmaceutique », insiste-t-il. Lui aussi juge que l’automédication est un « facteur de régulation » du système de soins. « Un calcul par l’absurde montre que si 10 % des actes d’automédication devaient être remis en consultation, chaque généraliste devrait travailler 5 h 45 de plus par semaine, ce qui conduirait à une implosion du système. Et le coût serait de 622 millions d’euros pour la collectivité », détaille-t-il.
Au sujet des prix, souvent critiqués dans les études d’associations de consommateurs, il rappelle que leur augmentation « reste inférieure à l’inflation, depuis plusieurs années. Par ailleurs, la dispersion entre les officines ne cesse de baisser. Le prix moyen chute continuellement et les extrêmes se rapprochent. Le rapport n’est pas de 1 à 4, contrairement aux enquêtes des associations de consommateurs, mais de 4,50 euros à 6,50 euros avec une moyenne à 5,50 euros. Les écarts ne sont donc pas si élevés d’une officine à l’autre. De plus, en France, nous avons les produits les moins chers d’Europe, avec l’Angleterre », observe Pascal Brossard. L’autre constat qu’il dresse est l’importance des marques, qui tirent la croissance vers le haut. « En 2012, sur un marché en progression de 69 millions d’euros, les 10 premières marques progressaient de 54 millions d’euros et représentaient 20 % du marché », indique-t-il.
Néanmoins, « l’automédication reste sous-développée en France (34,50 euros de dépense moyenne) par rapport à l’Europe (39,20 euros) », regrette-t-il. Sa proposition est simple : « Si on délistait toutes les molécules qui sont en prescription médicale facultative dans au moins un autre pays européen, ce qui correspond à 53 molécules, on pourrait réaliser 535 millions d’euros d’économies. »
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