Des audioprothèses en pharmacie

« Cher client, m’entendez-vous ? »

Publié le 28/02/2011

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Plus que le lancement d’un nouveau rayon, c’est un métier à part entière que constitue l’adaptation auditive. Une activité réglementée dont l’exercice nécessite diplôme, local dédié et matériel spécifique. Mais, surtout, celle-ci va exiger du futur audioprothésiste un important investissement en terme de temps. L’expérience, cela dit, en vaut bien la chandelle, aux dires des professionnels.

Un rayon dont l'animation exige des compétences techniques spécofiques
Crédit photo : dr

Repères

C’est un marché à fort potentiel que celui de l’appareillage auditif. Avec 5 à 6 % de progression par an, il atteint, aujourd’hui, 800 millions d’euros environ, tous circuits confondus. Rien d’étonnant à ce dynamisme si l’on considère que, pour les deux tiers, la clientèle appartient à la tranche d’âge des 65 ans et plus. Une période de vie qui, suivant la tendance au vieillissement de la population, va en s’allongeant. Quant au dernier tiers de la clientèle, il est constitué de cas divers de perte auditive (surdité congénitale, baisse d’audition précoce…). C’est aussi un marché dominé à hauteur de 60 % par des audioprothésistes indépendants, le reste de l’activité étant assurée par la Mutualité Française, les chaînes d’audioprothésistes (succursales) et certains opticiens qui développent volontiers cette activité. Dans ce maillage, l’officine ne prend qu’une très faible part, soit moins de 1 %.

Formé pour délivrer

Ici, pas de dérogation possible : pour exercer en tant qu’audioprothésiste, il faut être titulaire du diplôme d’état correspondant (article L4361-3 du Code de la santé publique) qui est délivré après 3 ans d’étude ou être diplômé de la faculté de médecine (à condition de cesser d’exercer la médecine). La profession consiste à appareiller toute personne qui présente une déficience de l’ouïe. L’appareillage comprend le choix, l’adaptation, la délivrance, le contrôle d’efficacité immédiate et permanente de la prothèse auditive et l’éducation prothétique de la personne appareillée (article L4361-1 du Code de la santé publique).

Le pharmacien peut donc exercer lui-même l’activité s’il est détenteur du diplôme approprié ou s’adjoindre les services d’un audioprothésiste à l’officine. L’exercice de la profession nécessite également, même si elle n’est pas encore obligatoire, de suivre une formation continue qui peut occuper une dizaine de jours par an. Celle-ci portera essentiellement sur l’évolution des interfaces de programmation, l’appareil d’aide auditive fonctionnant à partir d’un microprocesseur.

Mes fournisseurs

Une poignée de fabricants fournit le marché français en appareils auditifs : Phonak, Siemens, Oticon, Starkey, Widex en sont les principaux représentants.

Mon rayon pas à pas

Tout d’abord, l’adaptation auditive ne peut pas faire l’objet d’un simple rayon puisqu’elle consiste en une activité professionnelle à part entière. Elle requiert donc un local dédié (article L4361-6 du Code de la santé publique) dont l’aménagement est fixé par le décret n° 85-590 du 10 juin 1985 paru au Journal Officiel du 12 juin 1985. Cet espace doit comprendre un cabinet équipé d’une cabine insonorisée ou une salle de mesures audioprothétiques d’un volume utile minimum de 15 mètres cubes (soit une pièce à partir de 6 m2). Dans les deux cas, le volume sonore des pièces est réglementé. Une salle d’attente distincte de la salle de mesures doit être prévue ainsi qu’un laboratoire isolé si l’activité inclut la fabrication d’embouts et de coques. Cet atelier est généralement indispensable car l’adaptation de prothèses impose d’effectuer constamment des petites réparations et le maniement de matériaux et d’outils spécifiques (résine, polisseur…).

Quant à l’équipement matériel du local, il est également imposé : il s’agit du matériel de mesures audioprothétiques comprenant un audiomètre tonal et vocal ou un ensemble audiométrique comportant des sorties sur écouteurs, vibrateur et haut parleur ; une boucle magnétique ; une chaîne de mesure électroacoustique ; un sonomètre ; différents dispositifs permettant l’équilibrage des prothèses stéréophoniques, les tests d’audition dans le bruit, la réalisation de conditionnement audiométrique (pouvant comprendre un matériel d’audiologie infantile), le test des prothèses auditives. À cela, il faudra ajouter le matériel et les produits nécessaires aux prises d’empreintes du conduit auditif ainsi que l’équipement permettant la maintenance des prothèses (ordinateur et systèmes de programmation).

Attention à l’espace dont on dispose car il doit être suffisamment important pour pouvoir exercer les deux activités – pharmacie et audioprothèse – de front sans que l’une vienne perturber l’autre. Pour cela, il vaut mieux prévoir deux espaces totalement séparés ainsi que des entrées propres à chacune.

Au total, l’installation d’un local d’audioprothèse, matériel compris, peut demander un investissement de 30 000 à 50 000 euros.

Quelle rentabilité ?

La marge brute d’une prothèse auditive est alléchante puisqu’elle équivaut à deux ou trois fois le prix du dispositif qui est compris entre 750 euros et 2 000 euros. Mais il faut savoir que la marge inclut le suivi de la personne appareillée. En effet la prothèse auditive exige d’être réglée tous les 6 mois et ce, durant toute la durée de vie de l’appareil, soit 4 à 5 ans. À raison d’une demi-heure (au minimum) par visite, l’activité peut vite prendre de l’ampleur et représenter au final une charge de travail qui va en augmentant au rythme des nouveaux clients. Le candidat au métier d’audioprothésiste doit aussi savoir que la profession requiert une certaine aptitude à la psychologie. Les personnes appareillées ont parfois du mal à accepter leur prothèse et doivent être accompagnées dans leur démarche. C’est un autre type d’investissement qu’il faut être prêt à fournir et pour lequel il faut aussi prévoir du temps. En bref, l’adaptation auditive est, aux dires des professionnels, une profession qui exige une totale mobilisation de la personne qui s’y engage et qui ne peut pas être pratiquée partiellement. Le pharmacien qui décide de développer cette activité lui-même devra choisir entre l’officine et l’audioprothèse.

Réalisé avec le concours de Luis Godinho, vice-président du Syndicat des Audioprothésistes Français

› ANNE-SOPHIE PICHARD