Si l'inflation a diminué de façon notable ces derniers mois (4 % en octobre 2023, son plus bas niveau depuis un an et demi*), ses conséquences se font toujours ressentir. Pour les patients, la hausse globale des prix (essence, nourriture, énergie…) les encourage à privilégier les achats de médicaments essentiels tout en réduisant les achats discrétionnaires. En plus de la diminution du pouvoir d'achat de leurs clients, les pharmaciens font face à l'augmentation de la masse salariale et des frais de gestion.
L'effet papillon
Tout ceci se répercute naturellement sur les groupements, puisque leur but est de réduire les dépenses des pharmacies via des économies d'échelle, des négociations de prix groupées, et des services permettant d'améliorer la compétitivité de leurs adhérents. Ainsi, l'augmentation des frais de gestion des pharmacies au sein des groupements augmente mathématiquement l'effort que nécessite leur soutien. Les groupements doivent donc surveiller de près leurs coûts et ajuster leurs stratégies d'investissement. Et ceux qui ne sont plus en mesure de négocier des tarifs préférentiels ou des remises suffisantes avec les fournisseurs peuvent se retrouver sous pression. Une pression d'autant plus forte que les groupements ont tous répondu présent aux appels à l'aide de leurs adhérents (lire page 18).
Accélération du mouvement de concentration
Face aux nombreuses mutations du métier de pharmacien d’officine et à ce contexte financier inédit, on observe depuis presque un an une accélération du phénomène de concentration (c’est-à-dire de rachat ou de fusion) qui touche les groupements, avec notamment l'acquisition de Pharmacorp en 2022 et de Pharmacyal en 2023 par Hygie31 (pharmacies Lafayette) et la fusion entre les fédérations Apsara et Agir Pharma.
Une tendance qui va perdurer à en croire les dirigeants de groupements interrogés à ce sujet par « Le Quotidien ». « Pour mutualiser les moyens, il faut de gros investissements. Aujourd'hui, les pharmaciens ont besoin de pages internet, de click & collect, de formations, de services back et front-office qui peuvent les soulager. Pour mettre en place tout ceci, il faut des financements de plus en plus importants et atteindre une taille critique. Ceux qui auront les moyens s'en sortiront le mieux », pense Marc Mougenot, président du groupement Hello Pharmacie.
Ce besoin d'une solide assise financière peut être résolu via des financements externes, venant par exemple de laboratoires. Or, « Le contexte inflationniste fait que beaucoup commencent à serrer la vis et se montrent réticents à investir dans des groupements sans garantie de retour. Pour les petits groupements sans business propre, la perfusion n'arrive plus qu'au compte-goutte », constate François Douère, directeur des opérations chez Évolupharm, qui témoigne avoir été sollicité par certains groupements en quête de rapprochement.
Hervé́ Jouves, président́ du groupe Hygie 31 (Lafayette, Pharmacyal, Pharmacorp, ainsi qu'un troisième groupement dans les semaines à venir), tient à rassurer : « Concentrer pour se concentrer ne veut rien dire, il faut une cohérence dans cette approche. La nôtre, c'est d'être présents partout, dans les grandes villes, les petits centres urbains et en ruralité, afin que tous les habitants de ces zones aient un accès optimal à la santé. Nous voulons consolider le marché, mais en accompagnant les initiatives régionales », explique-t-il, arguant que la concentration permet à Hygie 31 de peser considérablement plus dans les négociations avec les laboratoires, et aux petites pharmacies adhérentes de commander et d'avoir accès à des produits (dont la MDD du groupe) et à une expertise auxquels elles n'avaient pas accès auparavant.
Pour Lucien Bennatan, directeur d'Act Pharmacie, la multiplication de ce type de rapprochements est inéluctable. « Le Français moyen saurait-il faire la différence entre un groupement et un autre ? Non ! Seule une poignée, ceux avec un nom de marque ou un positionnement fort, sort du lot. L'aspect économique rattrape tôt ou tard les groupements qui n'ont rien d'unique à proposer. »
Mais restera-t-il encore de la place pour les groupements régionaux et/ou sans enseigne ? « Oui, via la fédération, s'ils sont en capacité d'engager l'ensemble de leurs membres », prédit Marc Mougenot.
La financiarisation, redoutée et crainte
Les difficultés financières liées à l'inflation arrivent quelques années après la percée des fonds d'investissement et d'autres organisations financières, alors que l'ouverture du capital aux non-pharmaciens est de plus en plus discutée. L'arrivée de ces entités est potentiellement intéressante. En effet, on l'a vu ces dernières années, les évolutions du système de santé et notamment les nouvelles missions du pharmacien (qui ont été poussées par les groupements), nécessitent un investissement en temps et en argent auquel ces acteurs peuvent répondre en soutenant les groupements qui expérimentent ou s'impliquent dans de nouveaux services de soin.
Les dirigeants de groupements interrogés par « Le Quotidien » s'accordent tous sur les risques apportés par cette financiarisation, à la fois vis-à-vis de l'indépendance des pharmaciens et des groupements, mais aussi de l'impact sur la qualité des pratiques et des services proposés. Parmi eux, un des plus virulents est Jean-Claude Pothier, président du groupement DPGS : « L’ouverture du capital ferait que la pharmacie n'appartiendrait plus aux pharmaciens. Certes, tout coûte cher, et lorsqu’une structure répond à un appel de fonds, ça peut être un vrai ballon d'oxygène permettant de lancer des projets ou d'innover. Mais derrière cela, il y a des actionnaires qui veulent des résultats, et à partir de là, c'est eux, et donc le financier qui dirige ! » Pour lui, le marché doit à tout prix éviter de reproduire le modèle de la grande distribution, et les groupements de pharmacies doivent s'appuyer sur leur point fort : leur situation de monopole.
Un constat que partage le président d’Objectif Pharma, Olivier Paquin : « Dès que les financiers arrivent, ils veulent faire des profits. C'est normal, mais c'est à l'encontre de la nature même de notre secteur. D'autant que cette recherche de profit est une fin en soi, quitte à sacrifier la qualité des produits de MDD, ou des services apportés par les pharmaciens. »
Au total, le plus grand défi du marché sera de trouver un équilibre entre les impératifs financiers et la responsabilité sociale, afin d'assumer sa mission première : contribuer à la promotion de la santé publique et garantir la qualité des soins.
* Attention il s'agit du taux mensuel. Celui-ci représente l'inflation pour un mois donné. Il est à mettre en relation avec la saisonnalité pour être bien interprété. En effet les mois de Janvier et de Juillet par exemple ont, en général, une inflation négative du fait des soldes d'hiver et d'été.
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