Il y a presqu'un an, les spécialités antalgiques étaient retirées du libre accès. Un nouveau tour de vis à l'arsenal officinal qui a mis en difficulté les pharmaciens. Car il est devenu de plus en plus compliqué de répondre aux besoins des patients au cours de ces dernières années. Non seulement la pratique du délistage semble avoir été abandonnée, mais s’y ajoute un durcissement, avec le passage de certains médicaments jusqu’alors sur prescription médicale facultative (PMF) sur ordonnance obligatoire. C’est le cas des médicaments contenant de la codéine ou ses dérivés. Rien d'étonnant donc à ce que la profession place ses espoirs dans le développement des services et la perspective d’une dispensation protocolisée pour certains médicaments sur prescription médicale.
C’est dans ce contexte que l’épidémie de Covid-19 est survenue, plaçant en première ligne les pharmaciens d’officine qui, pour leur écrasante majorité, ont gardé la croix verte allumée envers et contre tout et se sont vus confier de nouvelles missions : renouvellement d’ordonnances périmées, dispensation de médicaments hospitaliers préparés par les PUI, portage à domicile, distribution des masques issus des stocks d’État, restriction de la délivrance pour les produits sous tension d’approvisionnement… Les pharmaciens n’ont pas chômé et ont encore gagné des points dans la confiance que leur accordent leurs patients. « Assurer la continuité de soins visait aussi à ne pas créer des drames supplémentaires à la crise. Le travail a été fait correctement, il n’y a pas eu de sous-consommation ou de surconsommation, les patients ont été rassurés et en plus les pharmaciens leur ont apporté les traitements à domicile », rappelle Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine.
Dispensation protocolisée
Le cumul des missions spéciales confiées au pharmacien pendant la crise – et leurs succès – laisse penser qu’un nouveau gage de confiance a été accordé à l’officine. « Dans le cas des patients ne nécessitant pas de diagnostic médical, nous avons montré qu'il n'y avait pas besoin d'aller au-delà du parcours de soins de premier recours pour leur délivrer des médicaments de prescription médicale obligatoire, sous certaines conditions. Il suffit d'entrer dans un protocole de soins », souligne Gilles Bonnefond. Une façon de remettre sur l'établi l’amendement sur la dispensation protocolisée que le député et urgentiste Thomas Mesnier a réussi à faire passer dans la loi santé entérinée en juillet 2019. Car depuis cette date, les pharmaciens sont toujours dans l’expectative. Gilles Bonnefond pointe du doigt le fait d’avoir assorti cette nouvelle mission d’un exercice coordonné. « Si on met en place un protocole, il doit être national et non pas réservé aux patients proches d’une maison de santé pluriprofessionnelle, sinon c’est de la discrimination. »
Un dossier sur lequel les syndicats travaillent main dans la main et qu’ils comptent bien sortir de sa torpeur à la lumière de l’engagement du réseau pendant la crise du Covid. « Les protocoles publiés fin janvier par la Haute Autorité de santé (HAS) n’ont rien à voir avec l’objectif de l’amendement Mesnier puisqu’ils proposent une délégation de diagnostic et non de prescription. Dans les faits, le pharmacien doit procéder à un examen clinique du patient, avant de lui prescrire un traitement et, le cas échéant, lui délivrer un arrêt de travail. De plus, il doit exercer en maison de santé et disposer du dossier médical du patient ! », s’agace Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Ce n’est pas ce que nous souhaitons faire, ces pratiques ne sont pas dans nos prérogatives. Ce qu’attendent les patients, c’est la possibilité de délivrance d’un traitement par leur pharmacien, pour certaines pathologies précises, à l’aide d’un arbre décisionnel, suivi d’un compte rendu à leur médecin traitant. »
Appel aux délistages
En attendant, l’officine milite pour un arsenal thérapeutique élargi pour mieux répondre aux besoins des patients. Selon une enquête de l’AFIPA menée en août dernier, 98 % des pharmaciens souhaitent des délistages. Une réclamation que l’AFIPA soutient pleinement. « Aujourd’hui, le pharmacien a montré que son rôle était important et qu’il avait besoin de davantage de médicaments à sa disposition que ce qu’il avait hier. Nous devons avoir cette discussion avec les autorités car elles sont un peu frileuses sur le sujet », reconnaît Vincent Cotard, vice-président de l’AFIPA et directeur général de Sanofi santé grand public France. D'autant que, remarque Christophe de la Fouchardière, président de l'AFIPA et directeur général de Perrigo France, « si la France délistait les molécules déjà accessibles sans ordonnance en Europe, cela pourrait générer 1,5 milliard d'euros d'économies pour la Sécurité sociale ». Des délistages qui seraient sécurisés par le rôle du pharmacien. Car, soutient Philippe Besset, il n'y a pas de surconsommation des médicaments PMF en France.
Pour sa part, il appelle de ses vœux au délistage de la codéine, passée sur ordonnance à l’été 2017 après le décès de jeunes gens ayant expérimenté le Purple Drank. « Je comprends la réaction épidermique face aux décès mais il y a plusieurs paliers avant le listage : devant le comptoir, derrière le comptoir, délivrance en suivant un protocole… En attendant, le pharmacien n’a plus aucune solution pour soulager la douleur dentaire du week-end, le paracétamol codéiné est nécessaire à l’arsenal du pharmacien. » Autre délistage proposé par Philippe Besset : celui des triptans en boîte de deux. « Le migraineux équilibré connaît son traitement, le lui refuser ce n’est pas possible. »
Inscription au DP
Pour sécuriser la dispensation, l’AFIPA propose de systématiser l’intégration au dossier pharmaceutique (DP) de tous les médicaments PMF dispensés (ainsi que des compléments alimentaires et dispositifs médicaux que le pharmacien juge nécessaires). Une idée encouragée par Bruno Maleine, président du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens d’Ile de France, qui souligne que cette inscription au DP permettra également de tracer les actes pharmaceutiques et de démontrer l’activité quotidienne du pharmacien aux institutionnels en termes de sécurisation du parcours de soins. Selon une enquête de l’AFIPA, trois pharmaciens sur quatre sont prêts à le faire et seulement 14 % des patients s’y montrent opposés. Les données issues de cette inscription au DP pourraient être présentées lors de réunions régulières, pourquoi pas trimestrielles, proposées par l’AFIPA « avec les autorités pertinentes » sur les médicaments PMF, afin de mieux les intégrer « dans des politiques efficaces d’organisation des soins ».
* La cystite, l’éruption prurigineuse chez l’enfant, l’angine et le renouvellement du traitement de la rhinoconjonctivite allergique saisonnière.
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