LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Combien de personnes, en Ile-de-France, vivent aujourd’hui dans la rue ?
ÉRIC MOLINIÉ.- II est difficile de répondre à cette question, puisque les personnes qui sont sans abri sont par nature en rupture de ban. Seule certitude : les équipes mobiles du SAMU social, qui a été fondé pour aller au-devant des grands exclus de la capitale et leur proposer une prise en charge médico-psycho-sociale, envoient chaque soir à l’hôtel quelque 20 000 personnes. Et force est malheureusement de constater que, depuis 2010, la situation s’est aggravée, puisque cette population, qui est souvent en grande détresse et n’a plus accès aux structures sociales et de soins a vu ses rangs augmenter de 25 %. En l’espace d’un an, le nombre de personnes hébergées chaque soir dans des hôtels est ainsi passé de 16 000 à 20 000. Soit 25 % d’augmentation. Et il ne faut pas oublier que le SAMU social ne prend en charge qu’une partie des sans-abri !
Comment expliquez-vous qu’autant de personnes vivent aujourd’hui dans la rue ?
La crise a bien évidemment eu un impact direct sur la multiplication de personnes sans abri. J’en veux pour preuve l’évolution du profil des personnes en attente d’une mise à l’abri. Au moment de la création du SAMU-social, il y a un peu moins de vingt ans, l’hébergement d’urgence répondait avant tout à la détresse de sans-domicile-fixe cassés par la rue et à qui était proposée une assistance médicale et psychologique pour tenter de se reconstruire. Or, désormais, de plus en plus de travailleurs pauvres ne peuvent plus se loger. En outre, le nombre croissant de familles qui vivent dans la rue pose question. Alors qu’environ 3 000 familles avaient été recensées, en 2009, elles seraient plus de 4 000 aujourd’hui ! Soit quelque 13 000 personnes, dont plus de la moitié serait des mineurs de moins de cinq ans, et près d’un quart auraient moins d’un an. Ces chiffres s’expliquent sans doute par l’arrivée massive de familles originaires des pays de l’Est. Ils n’en révèlent pas moins une évolution inquiétante en raison des problèmes de santé publique qu’elle pose.
Quelles solutions pourraient être mises en place pour répondre à ce problème ?
Nous devons malheureusement le déplorer, mais le 115 n’est pas adapté pour accueillir une telle demande. D’où les nuits d’hôtel, qui sont proposées dans la limite des places et des moyens disponibles. Or cette situation, ne serait-ce que sur un plan budgétaire, n’est pas satisfaisante. Je souhaite donc apporter une solution pérenne aux gens qui se trouvent aujourd’hui dans la rue. Dans cette perspective, j’entends disposer des moyens nécessaires pour entrer en contact avec eux, les accompagner et les aider à franchir la première ; voire la deuxième marche afin de les aider à sortir de la rue. Il me semble donc à la fois légitime et fondamental que le SAMU social s’inscrive dans un cadre régional car la réduction du nombre de personnes en situation de précarité passe obligatoirement par une action conjuguée à la fois en amont et en aval.
Concrètement, quelles sont vos priorités ?
À l’instar de l’expérimentation qui se déroule en ce moment dans le département de l’Essonne, je souhaite que le SAMU social puisse accompagner les municipalités autour de Paris afin qu’elles développent des logements sociaux et qu’elles instaurent de réels services sociaux… À charge pour ces municipalités de recruter des travailleurs sociaux nécessaires ou de former les équipes en place. Il me semblerait par ailleurs urgent d’instaurer le principe d’un forfait mensuel, qui pourrait être directement versé aux hébergeurs, afin de les dédommager. Cette allocation, dont le montant pourrait avoisiner les 300 euros mensuels en fonction des revenus et des besoins de chacun, présenterait en outre l’avantage de coûter beaucoup moins cher que les nuits d’hôtels qui reviennent en moyenne à 17 euros par jour et par personne. Soit plus de 300 000 euros pour les 20 000 personnes qui sont hébergées tous les soirs dans un peu plus de 400 hôtels, dont les deux tiers sont hors de Paris.
Quel rôle les professionnels de santé peuvent-ils jouer dans la prise en charge des sans-abri ?
Les professionnels de santé sont au cœur du dispositif du SAMU social, puisqu’ils assument une action médico-sociale. En outre, l’approche médicale est un bon moyen de lier langues avec les personnes qui vivent dans la rue. D’autant que cette population fragilisée souffre souvent de maladies psychiques, de diabète, de problèmes pulmonaires… Il faut donc les soulager avant d’envisager pouvoir leur proposer autre chose. Aussi un professionnel de santé, généralement médecin ou infirmière, est-il toujours présent dans les maraudes du SAMU-social. De la même manière, à l’issue de leur passage dans un centre d’hébergement d’urgence, les sans-abri peuvent, s’ils le souhaitent, consulter un professionnel de santé.
Et les pharmaciens ?
Ce sont des acteurs centraux car il ne saurait être question de soins sans médicament. Le SAMU social dispose d’ailleurs d’une pharmacie centrale avec un pharmacien responsable. Quant aux officinaux, dès lors qu’ils ont l’œil médical et souhaitent donc s’impliquer dans la prise en charge des sans-abri, ils peuvent jouer un rôle de premier plan dans le diagnostic et le dépistage des SDF. Il leur suffit pour cela de contacter le 115. Ce rôle de vigie sera d’autant plus appréciable que le SAMU social a mis en place des structures d’hébergement d’urgence avec des lits médicalisés. J’ajouterai que dans la mesure où un tiers des 20 000 personnes prises en charge par le SAMU social souffriraient de problèmes psychiques graves dont une part importante serait en rapport avec diverses addictions, le renfort des pharmaciens d’officines serait particulièrement bienvenu.
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