« Le médicament générique est une chance sanitaire pour la collectivité : qu’en aurait-il été avec une seule source mondiale par médicament en cette période de disruption ? Il en va de même pour les biosimilaires… », écrivait Pascal Brière, président de Biogaran et vice-président affaires économiques de l'association Genérique Même Medicament (GEMME), dans une tribune parue dans nos colonnes en avril dernier.
De fait, lors du premier confinement, la surchauffe hospitalière dans les services de réanimation avait engendré des tensions d'approvisionnement concernant des médicaments matures, tombés dans le domaine public depuis plus de 30 ans. Anesthésiants, sédatifs, antalgiques ou antibiotiques… Des molécules indispensables pour sauver des vies étaient devenues des denrées rares. « Le débat sur les médicaments porte souvent sur les innovations thérapeutiques. Il ne faut pas oublier que la plupart des médicaments utilisés dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 et ses symptômes sont des médicaments génériqués depuis très longtemps », confirme Rémy Petitot, responsable affaires publiques de Biogaran.
Situation de crise inédite, la pandémie a bouleversé l'organisation mondiale de production en médicaments. « Certaines frontières étaient fermées. Les transports de frets étaient fortement affectés. Un grand nombre de sites de production, notamment à l'étranger ont connu des difficultés. Dans un paysage comme celui-là, on comprend bien qu'un seul acteur aurait eu du mal à approvisionner le marché en médicaments. La diversité de l'offre, en médicaments princeps, mais aussi génériques, a permis d'éviter toute rupture liée au Covid », précise Rémy Petitot.
« Diluer » le risque de rupture
Démultiplier l'offre en génériques permet de « diluer » le risque de rupture, en le répartissant sur un plus grand nombre d'acteurs. « Le fait de disposer de plusieurs sources de production pour une même molécule permet de surmonter une difficulté ponctuelle ou plus durable (technique, industrielle…) d'un laboratoire. En cas de tensions chez un fabriquant, les génériqueurs concurrents peuvent compenser en mettant plus de produits sur le marché, en intensifiant une production, par exemple. Éviter la rupture, c'est avant tout éviter de déstabiliser un patient ou de modifier un protocole de soin », explique Catherine Bourrienne-Bautista, déléguée générale du GEMME.
La coordination entre laboratoires pharmaceutiques, grossistes, façonniers, pharmaciens et autorités de santé a contribué à minimiser l'impact des tensions d'approvisionnement sur la chaîne de médicaments. « Lors du premier confinement, la Commission européenne avait introduit une certaine flexibilité sur le règlement de la concurrence. Cela a permis aux laboratoires européens de travailler de concert pour mieux approvisionner les hôpitaux », assure Rémy Petitot.
Miser sur la souveraineté sanitaire
Qu’ils soient tombés dans le domaine public ou non, les médicaments les plus exposés à la rupture sont ceux qui présentent des délais de fabrication longs, une chaîne d’approvisionnement complexe, et/ou un principe actif rare.
« Il faut aussi veiller à l’autonomie stratégique de la chaîne industrielle ainsi qu’à notre indépendance sanitaire. Teva assure plus de 50 % de ses sources en principe actif dans ses propres usines et fabrique plus de 90 % de ses produits finis en Europe. Pendant la crise du Covid-19, cela nous a permis de mobiliser nos équipes au sein de nos 68 sites mondiaux sur les productions prioritaires pour répondre aux demandes des marchés et gouvernements », relate Laurent Borel-Giraud, directeur des opérations pharmaceutiques et commerciales de Teva Santé. Autre exemple, chez Biogaran, 90 % des produits finis sont fabriqués en Europe et 50 %, en France. Comme l'indique Rémy Petitot, « le tissu de sous-traitants industriels maintenu localement permet de conserver notre savoir-faire et nos capacités industrielles sur place. La souveraineté sanitaire est une condition essentielle pour répondre au risque de rupture ».
Pour sa part, Sandoz dispose de trois leviers principaux. « L’état de nos stocks est régulièrement communiqué à l’ANSM. Nous qualifions plusieurs lignes de production sur un même site et nous nous appuyons sur plusieurs sites de production. Par ailleurs, notre réseau bien établi en Europe est à même de livrer nos produits de manière rapide et efficiente. Récemment, des usines du groupe Novartis ont été exclusivement consacrées à Sandoz pour fluidifier l’approvisionnement de nos génériques et répondre à la demande croissante des patients », note Damien Holly, Directeur de l’approvisionnement chez Sandoz.
Diversifier l'offre en biomédicaments
Comme les génériques, les biosimilaires peuvent apporter une solution aux ruptures. « Il s'agit de la même situation de diversification que pour les génériques. La seule différence, c'est qu'il y a moins d'acteurs dans le domaine des biosimilaires. Pour un médicament donné, il y a parfois une quinzaine de génériques. Pour un biosimilaire, rarement plus de cinq acteurs. Car le développement de biomédicaments est bien plus onéreux. Il faut donc assurer les conditions favorables à leur développement », indique Catherine Bourrienne-Bautista. L'offre en biosimilaires étant concentrée sur un plus petit nombre d'acteurs, la possibilité de se reporter sur un autre acteur en cas de rupture est donc plus limitée. En outre, le biosimilaire reste peu développé en ville (21 %, en moyenne de taux pénétration). « Or les biomédicaments sont amenés à représenter une part importante de notre pharmacopée. À l'horizon 2030, un grand nombre d'entre eux tomberont dans le domaine public notamment en oncologie, en ophtalmologie (DMLA) et dans les maladies rhumatismales et inflammatoires. Diversifier l'offre en biosimilaires pour éviter les ruptures est donc un enjeu d'avenir. Le principal obstacle à leur développement est l’absence de stratégie holistique permettant d’impliquer tous les professionnels de soin, dont les officinaux, dans leur développement », résume Rémy Petitot. Côté génériques, les impacts économiques des évolutions réglementaires et les révisions du prix du médicament pourraient, à l'avenir, mener vers des retraits ou ruptures. « Un prix plancher en dessous duquel on ne pourrait descendre est une proposition que nous avions déjà portée dans le cadre de la mission sénatoriale sur les ruptures d'approvisionnement. Nous continuons à défendre cette mesure, en attendant une réponse positive de la part des autorités », conclut Catherine Bourienne-Bautista.
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