Le Quotidien du pharmacien.- Pourriez-vous d'abord nous rappeler les mécanismes physiologiques mis en œuvre dans un organisme soumis à une situation de stress ?
Dr Jean-Michel Lecerf.- Le stress est souvent, à tort, défini comme étant l'événement stressant. En réalité, le stress est constitué par les phénomènes physiologiques et biologiques que l'organisme développe pour s'adapter à une situation agressive pour lui. Lorsque la réponse adaptative est inadaptée ou dépassée, on parle de stress. Il y a alors dépassement des capacités de rééquilibrage du statut de base.
Dans cette chaîne de réactions psychobiologique, comment l'axe intestin/cerveau, par l'intermédiaire du microbiote, est-il impliqué ?
Cette chaîne de réactions met en lumière le rôle de l'intestin jusqu'ici méconnu en tant qu'organe endocrine étroitement connecté au système nerveux central. Elle met également en évidence son rôle de barrière de défense vis-à-vis d'un certain nombre de molécules et sa nature d'organe immunitaire. Dès lors, on comprend que lorsque l'intestin fonctionne mal, il va interagir avec le cerveau par le biais de réponses plus ou moins inflammatoires, ou encore par des mécanismes neuro-hormonaux (hormones, cytokines ou cellules migrant jusqu'au cerveau). C'est par la mise en jeu de ces multiples mécanismes que l'intestin sera l'un des éléments impliqués dans la réponse au stress. Ce que l'on sait également aujourd'hui, c'est que certaines maladies psychiatriques sont à composante inflammatoire, or l'intestin est impliqué dans l'état inflammatoire de l'organisme, y compris le cerveau.
Bien sûr, lorsque j'évoque l'intestin, je veux parler de la barrière intestinale associée à cet organe considéré comme annexé à l'Homme : le microbiote. La perméabilité intestinale est elle-même très influencée par l'état du microbiote, de même les neuro-hormones d'origine intestinale, les cytokines inflammatoires, les lipo-poly-saccharides LPS bactériens, tout ces éléments se conjuguent pour générer des adaptations plus ou moins appropriées. Toutes ces réponses étant véhiculées par voie nerveuse - le nerf vague - ou sanguine pour informer, au bout du compte, le cerveau.
Certaines études, menées chez l'animal, ont mis en évidence le rôle du microbiote dans les fonctions cérébrales. Pouvez-vous nous en résumer les principaux enseignements ?
Les premières études ont d'abord été réalisées sur des animaux axéniques, c'est-à-dire élevés sans microbiote en ambiance stérile. Elles ont permis de constater que l'absence de microbiote induisait chez ces animaux certaines perturbations, notamment au niveau cérébral, les rendant plus anxieux et moins adaptés au stress. Sur le plan anatomique, on a également observé chez ces animaux des modifications de la structure cérébrale, notamment de la microglie et de la barrière hémato-encéphalique.
Par ailleurs, un second type d'essais a montré que lorsqu'on administre des antibiotiques à des animaux non axéniques, et qu'on les soumet à des situations de stress, on modifie leur comportement dans un sens plus ou moins favorable. Généralement, plutôt favorable, comme si les perturbations du microbiote chez des animaux stressés étaient corrigées par un traitement antibiotique. Ce qui suggère clairement que le microbiote joue un rôle.
Le troisième groupe est constitué par des études d’intervention par lesquelles on soumet des animaux à des situations de stress avec ou sans adjonction de probiotiques. On observe alors chez eux, à la fois des modifications du comportement et des modifications des neuro-transmetteurs. On observe aussi qu’un certain nombre de ces adaptations disparaissent lorsqu’on sectionne le nerf vague. Preuve qu’il est l’un des effecteurs de la relation intestin/cerveau.
Quelles sont les souches généralement testées ?
On utilise le plus souvent des lactobacillus ou des bifidobacterium, mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est que si une souche fait la preuve de son efficacité, cela ne veut pas dire forcément que sa voisine sera également efficace. Il faut donc se garder d'extrapoler les résultats, ce que font malheureusement certains laboratoires peu sérieux… La démonstration pour une souche ne vaut pas pour une autre. C'est toute la crédibilité du laboratoire et du pharmacien qui est engagée dans ce principe.
Chez l'Homme, où en est la démonstration de l'effet bénéfique des probiotiques sur le stress et, plus généralement, sur l'anxiété et l'humeur ?
Chez l'Homme, c'est un peu moins brillant. Quelques études ont été menées. Mais si on observe la revue de la littérature réalisée il y a quelques années, les résultats sont somme toute, mitigés. Depuis, il y a eu d'autres travaux qui ont ouvert d'autres pistes intéressantes. Notamment dans la diminution des manifestations psychiques liées à des agressions ordinaires. Certaines études menées chez des étudiants en situation de stress ont montré que l'administration de la bonne souche psychobiotique entraînait une réduction des symptômes digestifs et de la perception du stress. Quelques études sont en faveur d'un effet positif, d'autres non. Peut-être parce que la souche et/ou les doses ne sont pas les bonnes ou tout simplement parce que, de l'animal à l'Homme, il y a un pas difficile à franchir… Globalement, ces recherches sont encourageantes. Mais attention, les probiotiques ne guériront pas les maladies, et il faudra veiller à ne pas remplacer le traitement classique. Mais ce que nous confirment déjà ces travaux c'est que l'alimentation joue sur le microbiote et qu'ensemble, alimentation et microbiote, influent sur le système nerveux.
Quelles grandes pistes thérapeutiques pourraient être encore ouvertes sur la base d'une meilleure connaissance des microbiotes ?
Certaines pathologies méritent d'être étudiées sous l'angle des probiotiques : le syndrome du côlon irritable, l'autisme, la fibromyalgie, qui sont des maladies dont l'étiopathogénie est mal éclairée. Le rôle des prébiotiques, à savoir les fibres fermentescibles qui vont modifier le microbiote, est une autre voie de recherche. Quelques études suggèrent ainsi que ceux-ci peuvent améliorer l'humeur. Et puis les associations symbiotiques (prébiotiques + probiotiques), l'association avec d'autres facteurs nutritionnels tels les oméga 3, le magnésium, la B6 ouvrent encore d'autres pistes intéressantes.
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