Des recommandations générales pour la pratique clinique « prise en charge du patient adulte se plaignant d’insomnie en médecine générale » ont été publiées par la Haute autorité de santé (HAS) en décembre 2006. La prescription de médicaments hypnotiques ne devrait pas être systématisée car elle est loin de constituer une réponse adaptée face à une plainte pour insomnie. Le recours à d’autres médicaments s’avère plus pertinent lorsque l’insomnie a une cause identifiable (dépression, douleur, etc.), ainsi que la mise en œuvre de stratégies thérapeutiques diversifiées (psychothérapie, sophrologie, etc.). Pourtant, le médicament représente encore le traitement symptomatique le plus banalement utilisé contre les diverses formes d’insomnie.
Hygiène de vie.
Le traitement d’une insomnie doit intégrer des mesures d’hygiène de vie simples mais essentielles :
- Proscrire tout excitant ou tout stimulant (veiller notamment à ne pas consommer de thé ou de café après 16 heures) ;
- Limiter l’usage de boissons alcoolisées et, particulièrement, proscrire toute consommation d’alcool en soirée ;
- Se contenter d’un repas léger le soir ;
- Mener une vie régulière (notamment en ce qui concerne l’heure des repas), respecter un moment de détente en soirée avant de se coucher ;
- S’impliquer dans une activité physique et sportive le matin ou en début d’après-midi, mais pas le soir avant l’heure du coucher ;
- Respecter l’heure d’endormissement physiologique repérable par la sensation de fatigue, les bâillements, une attention en baisse : elle correspond à une mise au repos des systèmes d’éveil à une baisse des sécrétions hormonales et de la température centrale ;
- Ne pas visionner des films violents ou stressants avant le coucher, ne pas prendre l’habitude de regarder la télévision au lit ;
- Respecter un rituel d’endormissement : lecture, musique douce, câlins ;
- Dormir dans une pièce fraîche, à l’abri du bruit, en évitant la présence d’animaux domestiques dans la chambre ;
- Favoriser l’alternance veille-sommeil en ne flânant pas trop au lit le matin, mais en se levant assez tôt pour s’exposer à la lumière du jour ; éviter les siestes trop prolongées (› une heure) ou trop tardives (› 16 heures) ;
La prise en charge de la plainte pour insomnie doit aussi intégrer une prise en compte étiologique des troubles : agir sur le bruit, la température, les conditions de travail (travail posté imposant au sujet des rythmes en contradiction avec ses rythmes biologiques), le stress psychique.
Adaptation du traitement à l’étiologie.
Un traitement spécifique de l’affection primaire est nécessaire face à une insomnie associée à une maladie psychiatrique (dépression, psychose, etc.). Dans ce cas, un traitement antipsychotique ou antidépresseur, surtout si le médicament prescrit a une composante sédative importante, peut agir à la fois sur l’affection psychiatrique et sur l’insomnie, mais ce n’est pas toujours le cas (pour autant, un antidépresseur psychostimulant peut par contre favoriser une éventuelle insomnie). Il en va de même pour l’anxiété : des benzodiazépines administrées à très faible dose, sur une période réduite, dans une perspective simplement anxiolytique, peuvent parfaitement suffire à réguler le sommeil.
La prescription d’un traitement purement hypnotique est privilégiée dans les insomnies transitoires ou dans les insomnies d’origine somatique, dès qu’un traitement étiologique est impossible ou insuffisant. Les diverses formes d’insomnies intrinsèques relèvent de l’hygiène de vie, mais un traitement médicamenteux peut s’avérer nécessaire. Il faut alors prévenir le risque de survenue d’une dépendance, en prescrivant un traitement discontinu. Les exceptionnelles insomnies sévères ou organiques peuvent, elles, imposer un traitement quotidien.
La durée de l’action hypnotique est proportionnelle à la dose : la demi-vie de la molécule, même si elle participe à l’action thérapeutique, ne peut, seule, être prise en compte. La variabilité interindividuelle explique qu’il faille adapter la posologie à chaque situation.
Les hypnotiques ayant une demi-vie courte (zopiclone, zolpidem) sont recommandés dans le traitement des insomnies d’endormissement mais il faut proscrire leur utilisation à posologie plus élevée dans les insomnies de maintien, qui nécessitent le recours à une molécule de demi-vie moyenne ou prolongée (molécule mère ou métabolites actifs : flunitrazépam dans le cadre très limitatif de la législation, témazépam, lormétazépam, nitrazépam, etc.).
Un hypnotique s’administre juste avant le coucher pour prévenir tout risque de chute avec éventuelle fracture du col du fémur (accident non exceptionnel chez la personne âgée notamment).
En cas d’insuffisance respiratoire.
Les benzodiazépines doivent être administrées avec prudence, à posologie réduite de moitié, en cas d’insuffisance respiratoire modérée, ou, souvent, proscrites chez les patients atteints d’une insuffisance respiratoire sévère en raison du risque d’apnées. On privilégie le recours à des médicaments bénéficiant d’un meilleur index thérapeutique : antihistaminiques, zolpidem, zopiclone ou mélatonine (dans le cadre de son indication, très restreinte).
Un syndrome d’apnées du sommeil constitue une contre-indication absolue à l’utilisation d’un hypnotique benzodiazépinique ou apparenté (potentialisation de la dépression respiratoire).
En cas d’insuffisance hépatique.
La demi-vie de la zopiclone est augmentée (allant jusqu’à 9 heures) ; le temps requis pour obtenir le pic plasmatique est aussi allongé : une posologie limitée à 3,75 mg/j est donc préconisée. Il en va de même pour le zolpidem, pour lequel la demi-vie peut atteindre près de 10 heures : il suffit souvent de limiter l’administration à 5 mg/j en ce cas. Une insuffisance hépatique sévère constitue une contre-indication absolue à l’administration de ces deux molécules comme à celle des benzodiazépines.
En cas d’insuffisance rénale.
Adapter la posologie de la zopiclone, sans excéder un 3,75 mg/jour.
Sujet âgé.
Les modifications physiologiques de l’architecture et de la durée du sommeil expliquent que les personnes âgées se plaignent souvent d’insomnie. Pourtant, l’usage des hypnotiques devrait être réduit au strict minimum chez le sujet âgé car il expose dans cette population à un cumul de risques iatrogènes tels que coma, chute, confusion mentale, dyskinésies, voire à un risque de décès en cas de surdosage.
La posologie d’un traitement hypnotique doit être systématiquement réduite (généralement d’un facteur 2) chez la personne âgée, pour prévenir tout risque de confusion mentale, d’effets sédatifs résiduels (risque de chute avec fracture du col) ou d’hypotension artérielle. D’une façon plus spécifique, la biodisponibilité de la zopiclone est augmentée, passant d’environ 80 % chez le sujet jeune à plus de 90 % chez celui de plus de 75 ans. Son catabolisme est, en revanche, réduit, et l’élimination sous forme inchangée domine. La demi-vie augmente aussi sensiblement, passant de 3 à 6 heures à 8 heures ou plus. Mais le produit ne semble pas pour autant s’accumuler après administration réitérée.
Le volume de distribution du zolpidem est réduit, avec, en corollaire, augmentation des taux sériques maximaux et de la demi-vie.
Enfant.
Le recours à des hypnotiques doit être absolument proscrit chez l’enfant, en dehors des troubles du sommeil s’intégrant dans un tableau psychopathologique avéré et en dehors du cas particulier que représentent les parasomnies. La médication familiale, fréquente dans ce domaine (benzodiazépines, niaprazine), n’améliore guère la symptomatologie, en étant pour autant responsable d’une somnolence diurne et d’une fatigue chronique. La prise en charge des insomnies du nourrisson et de l’enfant impose le strict respect de règles élémentaires d’hygiène (environnement serein, respect de la typologie veille-sommeil, prise en charge psychologique de l’enfant mais souvent aussi de la famille). Si elle est indispensable, la prescription doit reposer sur des médicaments dont l’AMM autorise l’administration à l’enfant de moins de 15 ans.
Grossesse et allaitement.
Le passage transplacentaire des benzodiazépines explique que certains nourrissons présentent à la naissance une détresse respiratoire aiguë liée à l’imprégnation par ces produits. Elle peut nécessiter des soins en urgence et, pour le moins, une surveillance étroite. Plus généralement, l’administration de fortes doses de benzodiazépines en fin de grossesse peut s’associer à des troubles de la conscience du nouveau-né, des difficultés respiratoires, une hypothermie, une hypotonie et une difficulté à la succion caractérisant le syndrome de l’enfant "mou" (floppy infant syndrome des Anglo-Saxons). Il est néanmoins possible d’administrer certaines benzodiazépines lors du travail.
Il faut souligner également l’incidence possible sur la grossesse des médicaments ayant une composante anticholinergique, même si les incidents demeurent rares (distension abdominale, iléus méconial, retard à l’émission du méconium, tachycardie, troubles neurologiques). La grossesse constitue donc une contre-indication relative (1er trimestre notamment) à l’utilisation des antihistaminiques dans le traitement des troubles du sommeil.
L’administration d’hypnotiques, tous éliminés partiellement dans le lait, peut entraîner une sédation du nourrisson, mettant en jeu la qualité des interactions précoces entre la mère et l’enfant, ou induisant, au contraire une excitation paradoxale. Elle constitue aussi un facteur de risque d’apnées du sommeil (y compris avec les antihistaminiques).
Tolérance du traitement hypnotique.
Le traitement hypnotique présente de nombreux inconvénients à moyen et long terme. Les benzodiazépines hypnotiques exposent proportionnellement à plus d’effets iatrogènes que les benzodiazépines anxiolytiques : il est en effet difficile de revendiquer à la fois une action rapide et intense par effet de pic et d’espérer l’absence de toute action non hypnotique (type amnésie, confusion mentale, troubles du comportement, etc.) lors du pic sérique. Ces effets ne sont toutefois observés que si le patient est réveillé à un moment coïncidant ou presque avec le pic plasmatique.
Les effets indésirables de benzodiazépines hypnotiques et de leurs apparentés sont qualitativement analogues à ceux décrits pour les benzodiazépines anxiolytiques - les molécules apparentées étant cependant mieux tolérées au niveau ventilatoire -. Quelques effets sont spécifiques d’une molécule précise : amertume et sécheresse buccale avec la zopiclone. Même si le traitement est globalement bien toléré à court terme, il faut absolument connaître et redouter la survenue de symptômes traduisant une iatrogénie spécifique :
Comportements paradoxaux.
Des comportements paradoxaux s’observent avec tous les hypnotiques. Ils associent, une demi-heure environ après la prise du produit, des hallucinations et des troubles visuels précédant une phase de sommeil profond avec amnésie au réveil. Cet effet pourrait être corrélé à la rapidité de l’élévation des taux sériques de l’hypnotique (comme le sont les effets amnésiants).
Insomnie de rebond. Rapportée dans 3 à 7 % des cas, elle s’observe avec les médicaments hypnotiques plus qu’avec les anxiolytiques. Elle est conditionnée par la puissance de la molécule, une posologie élevée, un terrain favorable. Le choix trop fréquent d’un hypnotique à demi-vie prolongée (supérieure à une journée : flunitrazépam) et une hypersensibilisation des récepteurs GABAergiques expliquent qu’elle s’observe plus volontiers chez le sujet âgé ou chez l’enfant jeune.
Risque de dépendance. Le risque de dépendance aux benzodiazépines hypnotiques est bien d’actualité. Fréquemment observée dès que l’administration du médicament se prolonge, la dépendance se traduit par l’impossibilité à retrouver une architecture du sommeil normale lors de l’arrêt du traitement qu’accompagne alors un besoin compulsif de recourir au médicament pour espérer dormir suffisamment. Cette dépendance est décrite également avec le zolpidem ou la zopiclone. Les antihistaminiques ne donnent pas lieu à dépendance ; bien que le recul soit réduit, la mélatonine semble également minimiser ce risque.
Interaction avec l’alcool. L’usage d’alcool majore les effets sédatifs et amnésiants des hypnotiques (antihistaminiques y compris). Il faut proscrire l’association hypnotique-alcool : elle expose à un risque particulièrement préoccupant au volant ou en travail posté.
Gérer l’arrêt du traitement hypnotique.
La HAS a publié en 2007 des recommandations portant spécifiquement sur les modalités de l’arrêt des benzodiazépines et des médicaments apparentés chez le sujet âgé. En juillet 2011, le retrait du Noctran et de la Mépronizine a justifié la mise en ligne d’une conduite à tenir pour réaliser efficacement le sevrage - parfois problématique - de ces médicaments. Le principe en est le même quel que soit l’hypnotique utilisé.
L’arrêt d’un traitement prolongé par hypnotique ne peut s’envisager qu’au terme d’une consultation spécifique permettant de réévaluer le diagnostic, d’apprécier le retentissement de l’insomnie sur l’état de veille et de rechercher, si cela n’a pas été fait, une éventuelle comorbidité somatique ou psychiatrique. Cette consultation constitue bien entendu l’occasion de rappeler au patient les règles élémentaires d’hygiène du sommeil. L’appréciation de facteurs pronostiques (autres addictions, insomnie sévère et chronique, traitement prolongé, etc.) permet d’anticiper les difficultés du sevrage.
L’arrêt du traitement impose un accompagnement médical très régulier (qui est poursuivi d’ailleurs après le sevrage). Il doit être progressif, selon une décroissance posologique adaptée à chaque situation, par paliers de 2 à 4 semaines - donc sur 4 à 12 semaines au total selon les difficultés rencontrées pendant cette phase. En extrême fin de sevrage, un traitement discontinu peut être proposé avant l’arrêt total chez les patients les plus anxieux. Il est nécessaire de bien cadrer, sous forme d’un protocole, le sevrage et de convenir avec le patient de dates précises pour ses diverses étapes.
Il n’y a pas lieu de mettre en place un traitement substitutif, notamment par un anxiolytique. Toutefois, les situations les plus délicates peuvent justifier un avis spécialisé ou une hospitalisation.
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