C'est un fait. En France, la consommation du méthylphénidate – indiqué contre le trouble du déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) après échec de mesures non pharmacologiques seules et dans une prise en charge globale – progresse. « Entre 2014 et 2019, l’augmentation annuelle de l’utilisation du méthylphénidate en France (était) de l’ordre de 9 % », estime l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Un chiffre qui aurait atteint 17 % en 2021.
Et pour cause : alors que la primo-prescription était jusqu’alors autorisée seulement chez l’enfant, sont arrivées en 2021 les premières AMM chez l’adulte. « La spécialité Ritaline LP peut désormais être utilisée pour des initiations de traitement chez l’adulte », résume Sophie Kelley, cheffe du service d’évaluation des médicaments de la Haute Autorité de santé (HAS). Ainsi, fin 2021, la HAS a émis un avis favorable au remboursement dans cette population. Et deux autres spécialités – Concerta LP et Medikinet LP – pourraient être ouvertes au remboursement en initiation de traitement aux adultes.
Les conditions de primo-prescription s’assouplissent
Globalement, pour améliorer l’accès à la molécule, les conditions de primo-prescription s’assouplissent. Ainsi, en septembre 2021, l’ANSM a aussi levé la prescription initiale hospitalière : le méthylphénidate peut être introduit en ville par tout psychiatre, neurologue ou pédiatre.
Mais ces évolutions sont-elles souhaitables ? La question se pose dans la mesure où l’accueil du méthylphénidate en France s’est révélé méfiant. Notamment à cause de son profil de sécurité. Comme le rappelle François Montastruc, médecin pharmacologue au CHU de Toulouse, « le méthylphénidate est un dérivé amphétaminique », qui stimule l’attention par inhibition de la recapture de la noradrénaline, mais aussi de la dopamine. D’où un risque de détournement et un classement comme stupéfiant – et une délivrance sur ordonnances sécurisées.
Le médicament se révèle aussi associé à un risque de troubles cardiovasculaires, ajoute le Dr Montastruc. Ainsi est-il fortement conseillé de réaliser un « bilan cardiologique pré-thérapeutique » avec ECG puis indispensable de conduire une « surveillance mensuelle hémodynamique », indique Marie Tardy, pédopsychiatre au CHU de Toulouse. La molécule, à l’effet coupe-faim, peut par ailleurs engendrer une anorexie, avec risque de perturbation de la courbe de croissance. D’où des exigences de suivi staturo-pondéral rapproché et d’arrêts de traitement réguliers lors des week-ends et vacances scolaires.
Enfin, le médicament peut provoquer des troubles psychiatriques, comme des exacerbations de TICs ou – beaucoup plus rarement – des décompensations psychotiques, relève le Dr Montastruc. De quoi nourrir l’idée d’un risque de perturber chez l’enfant la maturation du cerveau, avancée par les détracteurs de la molécule, rapporte Michel Hamon, neuropharmacologue et membre de l’Académie de pharmacie.
48 fois plus prescrit aux USA qu’en France
Au-delà des effets indésirables de la molécule, des polémiques ont également été alimentées par une potentielle surprescription enregistrée Outre-Atlantique. « Aux États-Unis 6 millions d’enfants et d’adolescents entre 2 et 17 ans ont reçu un diagnostic de TDAH en 2016, soit 9,4 % de cette classe d’âge », d’où des taux de prescription de méthylphénidate jusqu’à 48 fois plus élevés qu’en France, note un article paru en 2018 dans « L’Information psychiatrique ». Finalement, des doutes quant à l’existence même du TDAH ont été exprimés, notamment parmi les psychiatres versés dans la psychanalyse.
Mais la science le confirme : ce trouble du neurodéveloppement – souvent accompagné de comorbidités psychiatriques – existe bel et bien. Et ce, « même si on s’y intéresse sans doute davantage dans une société technicisée, qui demande à la fois une attention soutenue et prolongée, et qui favorise le zapping », affirme Jacques Bouchez, psychiatre au Centre des troubles du neuro-développement chez l’adulte (CTNDA).
Une connaissance plus fine du TDAH
Par ailleurs la définition de la maladie s’est progressivement affinée. Alors que dans de précédentes versions du DSM*, les critères diagnostiques clés concernaient des troubles « hyperkinétiques » – très présents chez les garçons –, les nouvelles versions du manuel de psychiatrie accordent davantage d’importance aux difficultés attentionnelles – souvent seules présentes chez les filles.
De plus, l’évolution naturelle du trouble se précise. Tandis qu’auparavant l’hypothèse d’une résolution systématique était avancée, de nouvelles estimations suggèrent que seulement un tiers des enfants se rétablissent spontanément. Au contraire, « un tiers resterait affecté à l’âge adulte, et un autre tiers, qui s’améliorerait à l’adolescence, connaîtrait une résurgence des symptômes lors de la prise d’autonomie », détaille le Dr Bouchez.
Des estimations de prévalence commencent même à émerger. Ainsi, en France, le Dr Michel Lecendreux, président du comité scientifique de l’association HyperSupers-TDAH France et pédopsychiatre à l'hôpîtal Robert Debré (Paris), conclut dans le Journal of attention Disorders que 3,5 à 5 % des enfants de 6 à 12 ans pourraient être concernés. Un chiffre « relativement stable de pays à pays », note le Dr Bouchez.
Au-delà d’étayer la réalité de la maladie, les données plaideraient aussi pour la prescription du méthylphénidate. « L’efficacité est bien démontrée sur les critères de jugement choisis dans les essais (cliniques) », indique le Dr Montastruc. De plus, comme le suggère le Dr Bouchez, les bénéfices de santé publique à traiter apparaissent bien documentés. Et ce chez l’enfant, afin de réduire les retentissements scolaires et familiaux de la maladie. Mais aussi, chez l’adulte, afin d’éviter des accidents de la route ou les conséquences de défauts de réalisation professionnelle ou personnelle, etc.
Des bénéfices qui contrebalanceraient les effets indésirables de la molécule. En fait, le méthylphénidate s’avère peu addictif per os aux posologies recommandées. Car, comme le souligne le Pr Hamon, la molécule n’est pas exactement une amphétamine : si le méthylphénidate inhibe la recapture de la dopamine et de la noradrénaline, l’amphétamine provoque en plus un relargage de ces neurotransmetteurs. Et certains avancent que les risques d’anorexie et cardiovasculaires sont bien maîtrisés après des années de recul. L’ANSM ne remonte, elle, aucun nouveau signal de sécurité.
Des zones d’ombre demeurent
Certes, le méthylphénidate ne semble pas surprescrit en France. Les consommations restent faibles par rapport aux autres pays d’Europe. Et comme le souligne le Dr Tardy, l’augmentation des prescriptions participe encore surtout d’un rattrapage. Pour autant, les autorités sanitaires ne disposent pas de données permettant d’assurer que le méthylphénidate est prescrit à bon escient. Dans le même esprit, les récentes évolutions réglementaires ne s’accompagnent pas d’une mise en place de cohortes de suivi, déplore le Dr Bouchez. De sorte que l’impact réel des mesures risque de se révéler difficile à évaluer. Chez les adultes, de nouveaux algorithmes de traitement restent à construire. « Les conditions de prescription prévues par les récentes AMM restent trop calquées sur les AMM de l’enfant », déplore le Dr Bouchez.
Au-delà de ces inconnues, sont rapportés une formation insuffisante des professionnels de santé à la prise en charge du TDAH, un nombre inadapté de centres experts, une accessibilité et un remboursement insuffisants des interventions psychologiques ou éducatives, etc. En fait, le parcours de soins des patients reste à préciser et à améliorer, des travaux sur le sujet étant lancés à la HAS.
Au total, le méthylphénidate compte sans doute parmi les meilleures options thérapeutiques disponibles, faute de mieux. Car les interventions non pharmacologiques se révèlent moins efficaces ou moins bien évaluées que le méthylphénidate, souligne le Pr Hamon. De plus, comme l’explique le Dr Bouchez, le méthylphénidate peut s’avérer nécessaire pour ces thérapies, qui requièrent de la concentration. Côté médicaments, aucune alternative pharmacologique n’apparaît autorisée en France. Et les candidats restent rares, les laboratoires semblant peu engagés dans la recherche de nouveaux traitements.
* Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, ou Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux
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