« Le détournement reste confiné au milieu toxicomane »

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Publié le 09/02/2023
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Président de la Fédération addiction, Jean-Michel Delile relativise le risque de mésusage du méthylphénidate, qui concernerait surtout des profils de patients très suivis en addictologie. Pour le psychiatre, la prudence reste toutefois de mise avec l’arrivée d’autorisations chez l’adulte et l’assouplissement des règles de prescription.
Jean-Michel Delile

Jean-Michel Delile
Crédit photo : DR

Le Quotidien du pharmacien.- Le méthylphénidate est-il réellement détourné ?

Jean-Michel Delile.- Oui, il existe un certain niveau de détournement à visée de défonce, d’abord identifié dans la région PACA dans un public de toxicomanes, il y a quelques années. Depuis, les pratiques se sont diffusées en France, où on trouve désormais du méthylphénidate de rue, issu de différentes spécialités. Ces médicaments ne sont alors pas utilisés par voie orale mais par « snif » ou voie intraveineuse, ce qui procure des effets intenses, similaires à ceux des amphétamines ou de la cocaïne. D’ailleurs, cet usage détourné peut concerner des usagers de cocaïne confrontés à des difficultés d’approvisionnement.

Cependant, le méthylphénidate de rue n’est pas si facile à se procurer. Et si des profils de consommateurs réguliers et intensifs apparaissent, ces détournements continuent de concerner un public de sujets déjà addicts : la Ritaline reste confinée à un milieu de toxicomanes. Par ailleurs, les détournements à visée de dopage existent également, dans le sport ou en milieu étudiant – notamment parmi les étudiants en santé. Ces pratiques restent toutefois marginales.

Un mésusage est-il aussi observé parmi les patients atteints de TDAH ?

Il est vrai que le TDAH constitue un puissant facteur de vulnérabilité vis-à-vis des addictions – puisque le déficit de l’attention amène une impulsivité, un moindre contrôle de soi, qui peut conduire à l’adolescence à des consommations de produits. Mais traiter la pathologie chez l’enfant, y compris par méthylphénidate, réduit considérablement le risque d’évolution vers des addictions. De fait, les jeunes patients traités par méthylphénidate apparaissent plus raisonnés, réfléchis et raisonnables, et cèdent moins à des impulsions notamment de consommation de substances.

En cas de découverte d’un TDAH à l’âge adulte, un risque d’abus est néanmoins possible, et à évaluer et accompagner au cas par cas. Car l’effet protecteur du méthylphénidate peut être contrebalancé par d’éventuels antécédents d’addiction déjà constitués avec l'expérience de modes d'administration (injections en particulier).

Faut-il craindre une recrudescence des détournements avec l’assouplissement des modalités de prescription et l’arrivée d’autorisations chez l’adulte ?

Le risque est en effet que le nombre de cas de détournements continue d’augmenter. Certes, l’assouplissement des modalités de prescription est souhaitable pour les patients. Mais la mesure pourrait aussi faciliter l’accès à la molécule pour ceux qui l’utilisent à des fins autres que thérapeutiques. Pour éviter que le tableau du méthylphénidate – très positif pour les personnes atteintes de TDAH – ne soit assombri par un tel effet collatéral, la molécule doit rester classée parmi les stupéfiants – ce qui permet d’engager des moyens de surveillance et de contrôle particuliers. En outre, il faudrait diffuser des campagnes d’information parmi les patients adultes atteints de pathologies addictives et leurs médecins, afin de mieux prévenir le risque de mésusage de méthylphénidate en cas de découverte d’un TDAH.

Propos recueillis par I. L.

Source : Le Quotidien du Pharmacien