LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Pouvez-vous résumer en quelques mots dans quels domaines et situations médicales la pratique de l’hypnose peut être intéressante ?
Dr JEAN-MARC BENHAIEM.- C’est principalement dans la prise en charge de la douleur, qu’elle soit aiguë ou chronique, que les usages de l’hypnose sont documentés. Peut-être parce que le domaine de la souffrance échappe un peu aux approches classiques. Plus précisément, il y a deux grands champs d’application : la douleur aiguë ou induite par les soins, qu’il s’agit de prévenir, et d’autre part les douleurs chroniques qu’on n’a pas pu prévenir et qui se sont installées. Pour ce qui concerne la douleur aiguë, l’objectif est de modifier la perception pour que le patient ne se trouve plus en situation d’avoir peur, c’est-à-dire de libérer de l’adrénaline. Modifier sa perception, c’est par exemple pour un enfant, distraire son attention en l’invitant à s’imaginer dans une situation agréable, au ski ou sur la plage. On lui dessine un autre contexte dans lequel la douleur n’est pas invitée. S’il s’agit d’un adulte, on lui parlera autrement mais le principe est le même : « où seriez-vous si vous n’étiez pas là ? », « voulez-vous me confier votre bras un instant ? », etc... Ce sont ces phénomènes dissociatifs temporaires qui permettent de déplacer l’attention du patient.
Comment l’hypnose permet-elle, physiologiquement, d’atténuer les sensations douloureuses simplement véhiculées par les influx nerveux ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la sensation de douleur est totalement reliée au contexte dans lequel elle est vécue. Si la personne a peur du bloc opératoire, du moment de l’intervention, des gestes qui seront faits, la douleur sera reliée à l’image qu’elle se fait de cette douleur, et le patient se crispera et ne libérera pas les endorphines protectrices. Si au contraire le contexte est perçu comme agréable et distrayant, alors je libère des endorphines qui viennent atténuer la sensation douloureuse. Les deux démarches sont successives : opérer d’abord une diversion de l’attention - c’est l’étape d’induction -, puis installer la personne dans un contexte sécurisant et agréable propice à la libération d’endorphines. On provoque une espèce de confusion. Si bien que souvent les patients nous demandent quand aura lieu le geste médical alors même qu’il a déjà été réalisé.
Quelles situations contre-indiquent au contraire formellement l’usage de l’hypnose ?
Si le patient est très alcoolisé, par exemple. Mais au-delà de ces situations rares, certains patients psychiatriques contre-indiquent l’usage de l’hypnose. Ces personnes sont déjà considérablement dissociées et il ne faut pas trop « jouer » avec elles. Je veux parler des états psychotiques ou paranoïaques graves sur lesquels on risque d’aggraver les choses plutôt que de les améliorer. On laisse cela aux psychiatres, en général à l’hôpital.
Quelle place ces techniques occupent-elles dans la pratique médicale en France ? Comment sont-elles perçues par la communauté médicale ?
Il y a une vingtaine d’années, la discipline souffrait surtout d’une certaine méconnaissance. Mais en 2001, lorsque j’ai introduit le diplôme d’université à la Pitié-Salpêtrière, alors que je m’attendais à une levée de bouclier de la part des neurologues et autres psychiatres, l’accueil a été plutôt bienveillant. Tout ce petit monde-là s’est soudain souvenu que l’hypnose c’était Charcot et la Salpêtrière, même si eux-mêmes ne l’avaient jamais ni apprise ni pratiquée. Bienveillance certes, mais une méconnaissance totale. Du coup assez peu de psychiatres souhaitent s’y ouvrir alors que les généralistes et les anesthésistes n’hésitent pas à s’y investir à fond.
Certaines douleurs qui surviennent par crises, sans prévenir, - telle la migraine -, nécessiteraient une hypnose autoadministrée. Est-ce en pratique possible ?
Il faut en effet que le patient soit, face à certaines douleurs chroniques, autonomisé. La première étape consiste à vérifier que le patient adhère à cette thérapie. Pour cela il faut qu’il en ait fait l’expérience positive. Puis il faut obtenir de lui qu’il accepte de pratiquer l’autohypnose. C’est généralement assez facile dès lors qu’il comprend qu’il ne peut pas revenir en consultation n’importe quand.
Quel type de formation est requis pour pratiquer l’hypnose médicale en France ?
Chez Hypnosis, nous ne formons que des professionnels de santé : médecins, infirmiers, sages-femmes ou pharmaciens. Le problème actuellement, c’est l’abondance de formation qui forme le tout-venant. La création de notre établissement a permis de répondre à des demandes de plus en plus nombreuses. Nous prenons en charge un grand nombre d’indications - anxiété, phobies, addictions, douleurs chroniques, obésité… - qui concernent aussi bien l’enfant que l’adulte.
Sur les douleurs neuropathiques qui sont réputées parmi les plus difficiles à traiter, l’hypnose est-elle compétente ?
Il faut d’abord rappeler une chose : l’hypnose n’enlève pas la douleur, elle modifie le rapport que la personne entretient avec sa douleur. Avec une même douleur, un patient peut très bien vivre sereinement quand un autre la trouvera insupportable. Dans ce second cas, l’hypnose va soigner la relation à ce qui lui arrive.
En pratique, la séance d’hypnose passe surtout pas la parole ?
Oui, mais pas seulement. La parole sert à se mettre d’accord avec le projet de soin et à amener le patient vers sa propre prise en charge. En témoignent les retours de certains malades, tel celui de cette dame que j’avais traité pour des douleurs neuropathiques et qui m’a dit à la séance suivante : « j’ai l’impression que vous m’avez permis de me réconcilier avec mon corps. Il était devenu pour moi source d’inquiétude aggravée par les nombreux examens qui m’ont été prescrits pour exclure une pathologie grave ». Voilà un ressenti très intéressant, car la réalisation d’examens, si elle est nécessaire pour envisager un diagnostic, et même s’il n’en ressort rien, laisse un peu de terreur au patient car on aura remué tout un tas d’hypothèses diagnostiques.
En prenant de la distance par rapport à leur peur, les patients traités par l’hypnose parviennent à mieux la gérer et même à sécréter des endorphines favorables au soulagement et au bien-être.
Les séances sont-elles prises sen charge par l’assurance-maladie ?
Il n’y a pas de codification tarifaire spécifique. Certains médecins font une feuille de maladie, d’autres pas. Quelques mutuelles prennent en charge, même sans remboursement sécurité sociale. Le problème, c’est que ces séances sont longues - trois quarts d’heure -, cela a un coût. L’hypnose, c’est une médecine à part entière. Ce n’est pas une médecine complémentaire. Elle peut être administrée en première intention. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à se rappeler les merveilleux travaux du pharmacien Émile Coué qui ont préfiguré avec une grande finesse les pouvoirs de l’autosuggestion sur la guérison.
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