DEPUIS la décision gouvernementale de mettre des seringues en vente libre en officine pour faire baisser l’incidence du VIH chez les usagers de drogues, les pharmaciens se sont de plus en plus impliqués dans la prise en charge des addictions. Première étape importante rappelée par le Dr Anne Borgne, présidente du Réseau de prévention des addictions (Respadd) : 2005, avec la formation des pharmaciens par des tabacologues du réseau Hôpital sans tabac et Giropharm, dans l’objectif de désengorger les consultations de tabacologie. Au fil des ans, le rôle des pharmaciens s’est modifié et s’est étendu à d’autres addictions. Seuls au comptoir et au sein de réseaux en addictologie ou en centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). L’analyse des pratiques et des expérimentations régionales montre que les pharmaciens sont souvent disposés à s’investir davantage, mais qu’il est nécessaire de favoriser leur implication.
Travailler en réseau.
Éric Doudet, par exemple, a fait partie des pharmaciens « militants » (moins de 5 % selon lui) qui ont accepté, en 1987, de délivrer des seringues aux toxicomanes, avant de participer à la création informelle du départ, puis officielle en 1999, du réseau Résist 37 à Tours. Tout comme lui, André Nguyen, qui coordonne le réseau Addict-Lim (Limoges) comprenant 5 pharmaciens, insiste sur l’interdisciplinarité et la formation. Site Internet (www.addictlim.fr), documentations spécifiques par addiction, liste des structures à qui adresser les patients, carnet de suivi des patients, flyers sur la codéine, rencontres avec les autres professionnels de santé et les associations d’usagers, formation de 30 heures à la faculté de pharmacie avec des acteurs de terrain… il multiplie les initiatives, et le réseau fonctionne bien. Le réseau Addict’Centre (Orléans), dont la mise sur pied a été déclenchée par le Printemps de Bourges, aussi. Mais pour tous, le financement est problématique. ARS, collectivités locales, laboratoires pharmaceutiques, bénévolat… c’est selon les régions, de plus en plus soumises aux contraintes budgétaires.
La Fédération Addiction, qui regroupe tous les intervenants en addictologie, a élaboré un projet pour améliorer et faciliter la collaboration des différents professionnels de santé impliqués dans le parcours de soins des usagers de drogues. Selon Laurène Collard, ce dernier est trop séquencé, le paysage institutionnel et culturel n’est pas homogène et les pharmaciens ne se sentent pas assez compétents pour bien prendre en charge les patients dépendants. La Fédération (www.federationaddiction.fr ) propose ainsi quelques pistes « transversales » pour en finir avec la notion de « relais » et l’approche linéaire du suivi, pour se former collectivement et se sentir légitimes. À suivre de près.
Les TSO, ça marche.
« Le pharmacien est à la fois le gardien des poisons et un professionnel de santé », rappelle Karine Pansiot, pharmacien adjoint à Dijon et l’un des coordinateurs du Réseau Addictions Côte-d’Or Héméra. Elle considère la pratique des traitements de substitution aux opiacés (TSO) en officine non pas comme une contrainte mais comme un atout, et se veut rassurante. « Dans la pharmacie où j’exerce tout a commencé il y a 15 ans, avec le développement du VIH et la proximité d’une CSAPA. Aujourd’hui, nous accueillons dans ce cadre le tout-venant, au total une centaine de patients, et nous n’avons pas de problèmes. » Selon elle, c’est « un travail de potard par excellence, transposable somme toute à tout patient, en particulier chronique. Humanité, éducation de la santé, rigueur, suivi, confidentialité, liberté du patient de venir ou pas… tout y est. C’est une nouvelle façon d’exercer en officine, plus personnalisée et vraie ».
Karine Pansiot insiste sur la nécessité de modifier nos représentations des usagers de drogue et de bien communiquer avec le médecin. Premier point, s’assurer que l’ordonnance est sécurisée pour éviter les falsifications : prescription en toutes lettres, notamment du dosage et de la posologie, délai de carence, fractionnement. Mais cela ne suffit pas, il faut savoir « passer d’une position de repli à une attitude d’écoute et de soins face à une personne en souffrance. Ces prescriptions ont deux cadres, le cadre administratif (à laisser au comptoir) et le cadre de la prise en charge dans un espace de confidentialité pour les échanges (sans tutoiement). Les deux sont importants ». Une communication suivie avec le médecin est aussi obligatoire. Il faut toutefois bien expliquer au patient la notion de secret partagé, c’est capital pour instaurer une relation personnelle de confiance.
La communication interne est également essentielle et repose sur la réalisation d’une fiche de suivi comprenant : nom et prénom du patient, numéros de téléphone, accompagnants, nom et prénom du médecin, dates de prescription, posologies et durée, dates de début et de fin de traitement, mode de délivrance et de prise, dates de prise à l’officine, commentaire du patient daté et signé. Cette fiche de traçabilité doit être rangée par TSO, puis par nom de patient, avec les médicaments restant à prendre et la copie de la dernière ordonnance délivrée.
Indispensables aussi : s’intéresser aux pratiques addictives du patient (sniff, shoot, consommation individuelle ou collective), chercher à savoir s’il consomme aussi de l’alcool et s’il a d’autres pratiques à risque, quelle est sa situation familiale, amicale, professionnelle, culturelle et personnelle, comment il vit son traitement et le cadre thérapeutique, et bien expliquer la différence entre dépendance et pharmacodépendance (pas de perte de contrôle). « Le TSO en officine prend certes du temps mais ça marche, conclut Karine Pansiot. C’est un traitement de fond qui apporte au patient une stabilisation professionnelle, familiale, sociale, et c’est pour le pharmacien une prise en charge valorisante. »
Malgré des exemples réussis, comme à Nîmes et Toulouse, l’échange de seringues en pharmacie entraîne davantage de difficultés et de réticences, reconnaît Bernard Pénicaud, pharmacien à Niort, très impliqué dans ce programme. « L’efficience économique et en termes de santé publique est réelle, mais une reconnaissance est nécessaire. Le temps du militantisme est un peu révolu… ».
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