Des ordonnances dermatologiques hors normes

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Publié le 30/11/2021
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Certaines maladies dermatologiques rares imposent des traitements assez éloignés des recommandations de l’AMM, comme des doses inhabituelles de corticoïdes. Devant ces ordonnances, les pharmaciens sont souvent surpris et peuvent se demander s'il s'agit d'une erreur de prescription ou d'un protocole thérapeutique volontairement hors normes.

Des prescriptions qui interpellent

Des prescriptions qui interpellent
Crédit photo : GARO/PHANIE

Avez-vous déjà vu, au comptoir, des ordonnances mentionnant 3 tubes de Dermoval par jour ? Ou encore, du méthotrexate à faible dose sur plusieurs mois chez un patient non cancéreux ? Si tel est le cas, il s’agit sans doute de traitements hors AMM visant une maladie dermatologique rare.

Il existe plus de 4 000 maladies dermatologiques rares. Pour les prendre en charge, « les ordonnances sont souvent complexes, très longues et avec des médicaments inhabituels », avance le Dr Nathalia Bellon, dermatologue à l'hôpital Necker-enfants malades.

« Ces maladies requièrent souvent la prescription de grosses quantités de médicaments », confirme Saskia Oro, dermatologue au CHU de Créteil. La médecin cite l’exemple d’un homme de 82 ans, diabétique, atteint de pemphigoïde bulleuse. Un traitement par des dermocorticoïdes très puissants (propionate de clobétasol - Dermoval ou Clarelux) et à forte dose (30 g/j soit 3 tubes/j) est mis en route, à appliquer tous les jours pour une durée d’1 mois, puis de façon décroissante, progressivement sur 4 mois. L’ordonnance mentionne également du méthotrexate 10 mg par semaine. « La pemphigoïde bulleuse est une maladie bulleuse auto-immune fréquente, qui touche les gens âgés et souvent avec comorbidités (affections neurologiques, démence, pathologies cardiovasculaires, diabète…), explique Saskia Oro. Quant au traitement, s’il est hors AMM, il est toutefois bien codifié et fait l’objet d’un protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) publié sur le site de la HAS et accessible à tous. »

Mais de prime abord, et sans connaître la pathologie, le pharmacien peut être interpellé par les grandes quantités de corticoïdes locaux associées à des pansements. « Ceci s’explique car il faut recouvrir la totalité du corps sauf le visage, y compris les bulles et les érosions », justifie Saskia Oro. Ensuite, pour améliorer le confort du patient, les érosions de grande taille et au niveau des zones de frottement peuvent être recouvertes de pansements non collants type interface ou hydrocellulaire, avec des bandes. Mais il faut impérativement éviter tout pansement collant.

Du méthotrexate sans cancer

Autre sujet d’étonnement : le méthotrexate à faible dose (10 mg/semaine), qui est prescrit à visée d’épargne cortisonique chez ce patient diabétique. « Le patient est souvent inquiété par le fait que cette molécule peut être utilisée à fortes doses en cancérologie. Il peut croire à tort qu’on lui donne une chimiothérapie, qu’on lui cache que sa maladie est cancéreuse », analyse la dermatologue. Le pharmacien a un rôle à jouer pour rassurer le patient sur l’indication, les modalités du traitement et la tolérance globalement excellente du méthotrexate dans ces conditions, sous surveillance clinique et biologique.

Par ailleurs, il faudra bien rappeler au patient que le méthotrexate, qu’il soit per os ou injectable, doit être pris une fois par semaine, toujours le même jour, suivi 48 heures plus tard de vitamine B9, « pour réduire les effets secondaires du méthotrexate », ajoute Saskia Oro. Le pharmacien a un rôle indispensable dans la chaîne de soins pour expliquer ces modalités de prise hebdomadaire au patient. Il doit également vérifier le dosage du comprimé inscrit sur l’ordonnance, afin de veiller à ne pas dépasser la dose totale par prise prescrite.

Une ordonnance à rallonge

Un autre exemple d’ordonnance atypique, est celle d’une patiente de 13 ans suivie pour épidermolyse bulleuse dystrophique récessive, maladie chronique héréditaire caractérisée par une fragilité cutanée et des muqueuses, des plaies récidivantes avec difficultés de cicatrisation, sources de douleurs, prurit et handicap fonctionnel. L’ordonnance indique, entre autres : 5 antalgiques (Topalgic, Dafalgan sirop, Kétamine ampoule, Hypnovel, Ropivacaïne ampoules) qui sont à utiliser en cas de douleur ou dans le bain, 2 antiprurigineux (Neurontin et Quitaxon), 3 produits d’ophtalmologie (Pommade vitamine A, Vismed, Théalose), des produits de nutrition (Fortimel compact, Nutrini energy) et 9 références de pansements.

« Cette ordonnance à rallonge est classique chez un patient suivi pour ce type de pathologie, expose Isabelle Dreyfus (pharmacienne au CHU de Toulouse). Néanmoins, elle pose plusieurs problèmes lors de la dispensation. » Notamment, les médicaments indiqués sont utilisés hors âge usuel de prescription ou hors AMM. « Il faut savoir que cela est courant dans les pathologies rares et en pédiatrie, en raison de l’absence d’alternative et grâce aux données de la littérature et de suivi de ces patients », avance la pharmacienne.

L'officinal a donc pour rôle de rassurer les familles à ce sujet. D’autres problématiques sont également présentes : la multiplicité des thérapeutiques, la prescription de morphiniques sur ordonnance sécurisée, la présence de certains médicaments non usuels, dont l’interruption n’est pas souhaitable en cas de rupture. Face à cela, le pharmacien a un rôle important d’écoute et d’aide au suivi et la communication entre médecin et pharmacien doit être facilitée.

Une filière à consulter

Devant ce type d’ordonnances atypiques, le pharmacien ne doit pas hésiter à prendre contact avec le prescripteur. « Certains officinaux nous appellent, mais peu souvent », regrette Isabelle Dreyfus. Pourtant, il existe une filière pour la prise en charge des maladies dermatologiques rares, la Fimarad, dont font partie Nathalia Bellon, Saskia Oro et Isabelle Dreyfus. La Fimarad réunit 19 sites de référence regroupés selon les pathologies (maladies bulleuses auto-immunes, maladies rares de la peau et des muqueuses d’origine génétique, neurofibromatose, etc.). Son rôle est d’améliorer la prise en charge des patients, de développer la formation et l’information.

Pour mieux informer les officinaux, la Fimarad réfléchit à la conception de documents qui permettraient une meilleure coordination pharmaceutique, comme des fiches d’information sur les maladies à joindre à l'ordonnance. Autre idée proposée par Isabelle Dreyfus : « Pour éviter de poser le diagnostic sur l’ordonnance, on pourrait mettre en pied de page de l’ordonnance un lien vers les PNDS de la HAS qui sont en libre accès, même s’ils sont à l’origine destinés aux médecins. Ou un lien vers une fiche d’information sur la maladie. » Autant d’idées dont l’objectif est d’améliorer la prise en charge de ces patients.

Charlotte Demarti

Source : Le Quotidien du Pharmacien