« Avec mon mari, médecin anesthésiste, on s’était toujours dit qu’on travaillerait dans l’humanitaire. Finalement, il y en a aussi à ma porte ! » Pharmacienne adjointe à Calais (Pas-de-Calais), Frédérique Scaccia parcourt à grandes enjambées « sa » jungle, envoyant un « hello » ici, un « bonjour » là. Aujourd’hui la jungle de Calais vit sous haute tension : les cars de CRS sont nombreux aux accès. On recontre beaucoup de bénévoles, français, belges et britanniques, et des journalistes venus en nombre. Quant aux migrants - Frédérique Scaccia préfère parler de « réfugiés » - ils restent comme insouciants, souriant, invitant pour un thé, quelques mots. Ils sont trois ou quatre mille, dont des centaines d’enfants.
La jungle est un cloaque aux portes de la ville. De la gadoue partout, des cabanes en planches, d’autres recouvertes de toile. Mais aussi une école, avec des jeux pour les enfants, un centre gynéco pour les femmes, une église, la cabane d’un artiste Peul, une grande tente où des bénévoles anglais initient à l’expression corporelle, des enfants souvent, beaucoup de jeunes hommes. Aujourd’hui, on vit dans l’attente d’une expulsion, mais les autorités ont assuré qu’elles n’entendaient pas recourir à la force, préférant user de persuasion.
« Je faisais une maraude par semaine dans Calais, un peu de soins, emmener les gens à l’hôpital, pour Médecins du Monde, dont l’antenne était à Dunkerque (Nord), raconte Frédérique Scaccia. Je suis devenue leur pharmacien référent pour Calais. Je trie les médicaments, fais un peu de bobologie. Médecins du Monde a ouvert une clinique dans la jungle, et pour avoir une pharmacie intérieure, je me suis déclarée référent bénévole à l’Ordre et à l’Agence de santé. La clinique a ensuite été reprise par Médecins sans frontières, et je gère le stock qu’on reçoit de Pharmacie humanitaire internationale. Mais je suis surtout médiatrice de base. »
Objectif Angleterre
Les migrants, ou réfugiés, de Calais viennent de toute la planète : Koweït, Iran, Irak, Soudan, Égypte, Éthiopie, Mali, Kurdistan, Érythrée, Syrie bien sûr. « Ils veulent, à 98 %, aller en Angleterre. Beaucoup parlent anglais, ce sont des gens érudits, ils ont de l’argent, de l’éducation, des parents en Angleterre. Tous pensent que ce sera plus facile là-bas d’avoir des papiers, un travail, même au noir. »
« J’ai commencé comme bénévole, je voyais ces gens passer devant chez moi, je n’étais pas une militante, mais plus ça va, plus je le deviens. » Frédérique Scaccia parle sans fin, comme on expurge un trop-plein, contre « l’insuffisance de l’État », contre la police « qui ne respecte même pas les affaires personnelles des réfugiés qu’elle évacue », contre la maire, Natacha Bouchart (LR), vice-présidente de la région, ex-sénatrice.
Elle parle encore de deux enfants afghans, refusés dans le camp de conteneurs, aménagé en 2015, parce qu’enfants, de la situation des femmes « en danger dans une population d’hommes jeunes, victimes de viol, de la prostitution, volontaire ou forcée. Cazeneuve [le ministre de l’Intérieur] est le premier qui essaie de faire plus humain, il y a des douches, des toilettes, un repas distribué chaque jour ».
Des liens très forts
Frédérique Scaccia est heurtée de notre inhumanité à l’égard de ces gens qui souffrent. Calais reflète les heurts du monde, qui accueille à nouveau des Afghans, à cause de la montée des Talibans, des Pakistanais. « Je ne parle pas d’accueillir tout le monde ad vitam aeternam, mais faisons-leur au moins des conditions dignes. » Elle avait pris en charge, avec deux ou trois autres Calaisiens, une vingtaine de Syriens réfugiés sous le porche d’une église, près de chez elle. « On a créé des liens très forts. On est obligé de ne pas trop s’attacher. Mais quand il pleut, ou qu’il fait froid, c’est difficile de ne pas penser à eux. » Alors, elle remplit un thermos de thé, ajoute des épices, et va passer une heure sous le porche de l’église… « Leur parler. »
« J’ai vécu plusieurs évacuations. Pour nous, bénévoles, c’est très violent. Imaginez ce que c’est pour les réfugiés. Un Syrien a été évacué du porche de l’église, je n’étais pas là. Il m’a téléphoné après, content de mon absence parce qu’il devait déjà consoler deux autres bénévoles. » Certains, à Calais, organisent aussi des ratonnades contre les réfugiés. « Les associations appellent au calme, mais demandent des mesures intelligentes. »
Lucide, mais attachée malgré elle, Frédérique Scaccia n’a pas pu s’empêcher d’aller, avec sa famille, rendre visite à un Syrien qui a réussi la traversée de la Manche et travaille désormais en Angleterre.
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