Certains cliniciens reprochent à la classification des antalgiques de l’OMS d’être trop restrictive, de laisser trop penser qu’à une intensité de douleur correspond un niveau d’efficacité d’antalgique, de ne pas répondre aux mécanismes physiopathologiques variés et aux expressions cliniques multiples des douleurs, de ne pas prendre en compte les nouveaux concepts thérapeutiques comme le schéma inversé « palier 3 d’emblée puis 2 puis 1 » pour les douleurs aiguës. Elle est donc remise en question et d’autres classifications ont été proposées.
La classification élaborée en 2010 par l’IASP (de P. Beaulieu et D. Lussier) présente l’avantage d’intégrer tous les médicaments, y compris ceux initialement développés dans d’autres indications notamment neuropathiques, d’éviter la corrélation aléatoire entre intensité douloureuse et classe d’antalgique, de classer les médicaments en fonction de leur mécanisme d’action, d’optimiser la prise en charge thérapeutique après analyse du mécanisme de chaque douleur et d’être évolutive, permettant d’intégrer de nouvelles molécules.
Stratégie thérapeutique personnalisée
Le professeur Philippe Bertin, rhumatologue au CHU de LImoges, a été un des premiers médecins à communiquer en France sur cette classification : « Elle permet de raisonner de façon physiopathologique, en s’interrogeant sur le type de douleur et le mécanisme d’action correspondant et en adoptant une stratégie thérapeutique personnalisée. »
Ainsi, de façon simplifiée, la douleur nociceptive inflammatoire sera bien mieux traitée par un anti-inflammatoire que par un opioïde et la douleur neuropathique par un antiépileptique que par un opioïde ! Ou, pourrait-on dire, « réservons les antinociceptifs aux douleurs nociceptives ».
Le positionnement des opioïdes faibles et forts est également remis en question. Aujourd’hui, certains avis, publications et recommandations invitent les cliniciens à préférer une faible dose d’opioïde fort plutôt qu’une dose normale ou élevée d’opioïde faible, en raison d’une efficacité plus constante dans la douleur nociceptive, mais aussi du fait d’une bonne tolérance et parce que, à efficacité antalgique équivalente, il n’est pas démontré que leur risque addictif est moins important. Si aujourd’hui, attaquer une douleur sévère avec un opioïde fort paraît une évidence, cela n’a pas toujours été le cas.
« La classification de l’IASP trouve aussi tout son sens là où on peut faire mieux qu’un opioïde fort , explique le Pr Philippe Bertin. Sur une douleur chronique neuropathique survenant dans les quelques semaines qui suivent une opération, il n’est pas nécessaire de prescrire un opioïde fort, il sera inefficace. Il en sera de même face à une douleur sans cause organique, telle que la fibromyalgie ou encore les céphalées chroniques quotidiennes, qui seront plutôt traitées par des thérapies non médicamenteuses telles que la thérapie cognitive comportementale (TCC). » C’est parce qu’on classifie désormais mieux les douleurs en distinguant les douleurs nociceptives, neuropathiques et nociplastiques, et qu’on connaît mieux les mécanismes de la douleur (sensibilisations centrales et périphériques, interactions bidirectionnelles entre le système neurosensoriel et le système immunitaire…) que cette classification a plus de sens que celle de l’OMS, explique en substance le spécialiste qui regrette toutefois qu’elle ne soit pas ancrée dans la pratique : « Les recommandations de l’OMS conservent leur intérêt dans l’évaluation de la douleur afin d’adapter les doses ou de modifier la stratégie thérapeutique, pas dans le choix d’un antalgique. »
Article précédent
Soulager la douleur autrement
Article suivant
Les voies de la douleur ne sont plus impénétrables…
Quel conseil antalgique au comptoir ?
Que sont, et comment traiter ces douleurs qui restent ?
La neurostimulation électrique transcutanée : pour qui ?
Questions en souffrance
Prescriptions antalgiques
Le tramadol : un opioïde sous haute surveillance
Covid et douleur : comment identifier les patients fragiles ?
Soulager la douleur autrement
Une nouvelle classification des antalgiques
Les voies de la douleur ne sont plus impénétrables…
Du 23 au 31 décembre
Menace d’une nouvelle fermeture des laboratoires d’analyses médicales
Addictions
La consommation de drogues et d’alcool en baisse chez les jeunes
Crise sanitaire : le malaise des préparateurs
3 questions à…
Christelle Degrelle