Pour la préparation des doses à administrer, rien ne bouge, ou presque. Voilà comment se résume la situation de la PDA en France. En effet, ce service n’est toujours pas encadré par la loi, et ne peut pas faire l’objet d’honoraires.
Pourtant, le Code de la santé publique autorise de longue date les pharmaciens à assurer la PDA (article R 4 235-48). Un arrêté en fixant les Bonnes Pratiques aurait dû suivre. Mais il n’a jamais été publié.
Pourquoi la parution de ce texte de loi est-elle encore en attente, alors qu’aujourd’hui les pharmaciens qui réalisent la PDA respectent déjà des procédures concernant la qualité (bonnes pratiques de fabrication, guides édités par les ARS ou les fabricants de matériel de PDA…) ?
En réalité, le nœud du problème est d’ordre économique. « Ne pas publier un arrêté sur les bonnes pratiques est un moyen de freiner l’arrivée d’un financement possible de la PDA », explique Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO). En effet, « les pouvoirs publics ne veulent pas avancer sur le dossier PDA par peur du prix des honoraires », avance Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Rappelons qu’un avenant sur la PDA a été inscrit dans la convention pharmaceutique signée entre l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie (UNCAM) et l’USPO en juillet 2017 (avenant n° 11). Cet addendum ouvre la possibilité à une négociation avec l’assurance-maladie d’honoraires pour la PDA, dans un cadre qui reste à définir. Mais Nicolas Revel, directeur général de l’assurance-maladie, a confirmé que rien ne serait discuté tant que les bonnes pratiques de PDA ne sont pas sorties. Le dossier est donc au point mort.
Vers un service payant
Pour autant, une absence d’honoraires ne signifie pas une absence de rémunération. Le pharmacien peut effectivement proposer un service payant de PDA à ses patients. Le décret « services », publié en octobre 2018 a en effet ouvert la possibilité aux officinaux de réaliser des services rémunérés, comme la PDA ou la livraison à domicile.
Toutefois, même si les lignes commencent à bouger, les pharmaciens ne sont pas nombreux à facturer la PDA. La rétribution des services en pharmacie n’est pas encore complètement entrée dans les mœurs.
Ainsi, selon une enquête « Pharma Système Qualité » (PHSQ), publiée en janvier 2018 (enquête menée auprès de 50 pharmacies ayant une activité PDA), aucune officine ne faisait payer de prestation à la semaine ou par patient en EHPAD. Quelques-unes ont toutefois réussi à faire conventionner une participation aux frais (entre 2,50 euros à 4 euros par mois par patient). Pour la PDA ambulatoire, environ trois quarts des pharmacies de l'étude proposaient le service gracieusement. Les autres tarifaient le service entre 2 et 7 euros par semaine.
Aujourd’hui, le fait que la PDA soit presque systématiquement non rémunérée est un très gros frein à son développement. D’autant plus qu'elle n’est pas gratuite pour le pharmacien. « Pour pouvoir réaliser une prestation de qualité, il faut du matériel et du temps », observe Pierre Béguerie, pharmacien en Nouvelle-Aquitaine. C’est lourd à gérer au niveau de l’officine, cela mobilise du personnel et ce n’est pas forcément rentable.
Face à ces contraintes, les pharmaciens qui se sont lancés dans l’expérience sont peu nombreux. Certains officinaux proposent la PDA en ambulatoire, pour une dizaine de patients qui en ont besoin, et réalisent alors le plus souvent la PDA manuellement.
Mais les pharmaciens très investis dans PDA travaillent en général pour des établissements de santé (EHPAD et hors EHPAD), ce qui leur permet d’honorer les prescriptions de plusieurs centaines de lits, et de se rémunérer sur la marge des médicaments. Ils utilisent une méthode de PDA manuelle, semi-automatique (manuelle assistée d’un logiciel) ou automatisée. Cette dernière est plus confortable, mais onéreuse : une machine coûte environ 150 000 euros, avec un seuil de rentabilité à partir de 200 lits, selon un rapport de l’Académie de pharmacie de 2013. Parfois, ces pharmaciens proposent en parallèle une PDA ambulatoire à leurs patients.
C'est le cas d'Olivier Variot, titulaire dans la Côte-d’Or, qui prépare des piluliers pour environ 300 lits en centre de soins et pour une quinzaine de patients en ambulatoire. « Cela mobilise 20 heures de temps de travail par semaine, ce qui est loin d’être négligeable », totalise-t-il. Même si la rémunération manque cruellement, il est convaincu de l’utilité du service. « Pour le moment, la PDA n’est pas intéressante financièrement, reconnaît-il. Mais elle l’est en termes de prise en charge : la PDA diminue le risque iatrogène, le risque d’hospitalisation, diffère l’entrée en EHPAD… ». Or toutes ces améliorations en termes de santé publique ont un coût, qu’il faudrait mettre en balance avec celui de la PDA.
Des expérimentations à l’appui
Mais avant tout, le bénéfice apporté par la PDA doit être objectivé. Il faut le quantifier avec des études qui pourront être présentées aux autorités de santé et peser dans les négociations pour obtenir une prise en charge.
Dans cet objectif, des expérimentations sont menées en région. La toute première s’est déroulée en 2014, en Basse-Normandie, avec le soutien de l’URPS pharmaciens, l’ARS, l’HAD Alençon et Medissimo. Son objectif était d’améliorer l’impact de la PDA en ville sur l’observance de patients âgés polymédicamentés. Dans le détail, l’essai a duré quatre mois (1er mois sans changement et les 3 suivants avec mise sous semainier). 65 pharmaciens y ont participé et ont inclus chacun 5 patients volontaires. Ils ont été rémunérés 7 euros par semaine. Au final, l’expérience s’est révélée fructueuse. « L’observance est passée de 77 % à 98 % en moyenne, c’est un énorme succès », se félicite Claude Baroukh, élu URPS Pharmaciens Basse-Normandie. Fort de ces résultats, Claude Baroukh espérait pourvoit faire avancer la situation de la PDA au niveau national. Mais les lignes n’ont pas pour autant bougé.
Quelques années plus tard, d’autres expérimentations ont suivi. En 2018, en Bourgogne-Franche-Comté, la PDA a été expérimentée en ville, en inter-professionnalité avec les officinaux et les infirmiers libéraux, et financée par l’ARS. Au total, 83 pharmaciens ont proposé durant 3 mois une PDA à 5 patients de 75 ans ou plus, polymédicamentés et non observants (3 recrutés à l’officine et 2 par l’infirmier). Les pharmaciens ont été rémunérés (50 euros par mois et par patient pour 2 heures de conseil, 25 euros par mois pour le remplissage des semainiers, et 5 euros pour la livraison attribués au pharmacien ou à l’infirmier), ainsi que les infirmiers. Dans l’étude, les pharmaciens confectionnaient des piluliers chaque semaine et enregistraient les données d’observance dans un logiciel dédié. Les infirmiers réalisaient une séance hebdomadaire de surveillance clinique pour leurs patients et assuraient le rapport d’observance.
Cette expérimentation avait pour originalité de faire travailler pharmaciens et infirmiers ensemble sur l’optimisation de l’observance grâce à la PDA, et d’améliorer la synergie de ces deux professions au profit du patient. Car, contrairement aux pharmaciens, les infirmiers, avec une prescription du médecin, sont rémunérés par l’assurance-maladie pour aider le patient à la prise de médicament, vérifier les prises, surveiller leurs effets et éduquer les patients. « En pratique, la réalisation d’un pilulier constitue une aide à cette mission mais ne fait pas partie de leurs attributions. Et cette PDA au domicile du patient n’est pas satisfaisante en termes de qualité et de traçabilité », souligne Pascal Louis, président de l’URPS Bourgogne-Franche-Comté. « Dans notre expérience à la fois soutenue par l’URPS pharmacien et l’URPS infirmier, nous avons réussi à travailler en complémentarité. C’est une grande avancée », se réjouit-il. Aujourd’hui, les données de cette expérimentation sont en cours d’analyse. « L’objectif sera d’en exploiter les résultats pour négocier une rémunération de la PDA au niveau national », relève Pascal Louis. Déjà, selon les premières remarques des pharmaciens, Pascal Louis note que le recrutement des patients de plus de 75 ans est assez difficile, notamment car ils ont un sentiment de perte d’autonomie avec la mise sous PDA. Ils veulent conserver la gestion de leur traitement. « En revanche, il semble qu’une population plus jeune que celle ciblée dans notre expérience soit très en attente de ce service », ajoute-t-il.
Une autre expérience s’est déroulée en Nouvelle-Aquitaine, dans les Landes. « Ce département est un territoire de santé numérique qui dispose de budgets pour mettre en place des outils de coordination entre la ville et l’hôpital », raconte François Martial, président de l’URPS Pharmacien Nouvelle-Aquitaine. « Dans ce contexte, nous avons mis en pratique, il y a quelques années, une expérimentation de PDA pour répondre à une urgence : éviter les ré-hospitalisations à Mont-de-Marsan », développe-t-il. En effet, après une hospitalisation, le taux de retour des personnes à l’hôpital au bout de 48 heures était de plus de 50 %. « Pour remédier à cette situation alarmante, nous avons testé la PDA pour les patients à la sortie de l’hôpital. Tous les pharmaciens de ville étaient invités à y participer contre rémunération (7 euros par semaine). Une cinquantaine a répondu à l’appel (la moitié des pharmaciens du département). Grâce à ce dispositif, le taux de ré-hospitalisations est passé de 60 % au bout de 48 heures à moins de 15 % », se félicite François Martial.
Quel modèle en France ?
Ces expériences sur le terrain, ainsi que les initiatives menées en Suisse ou au Canada, montrent l’intérêt de la PDA pour améliorer la santé publique. Néanmoins, il reste à trouver un modèle qui puisse permettre à la PDA de se développer dans l'Hexagone. Quelques idées font déjà surface. « Par exemple, la PDA pourrait être prise en charge pour les patients qui en ont le plus besoin (patients âgés, pathologies psychiatriques), sur prescription médicale. En revanche, la PDA serait payante pour les patients qui souhaitent en bénéficier par confort », préconise Pascal Louis.
On pourrait aussi s’inspirer de l’expérience Suisse. « Le pharmacien pourrait instaurer une PDA durant 3 mois lorsqu’il considère qu’un patient en a besoin. Au bout de cette période, le médecin jugerait du bien-fondé de poursuivre ou non le service », suggère Philippe Gaertner. Mais aujourd’hui, les syndicats doivent encore convaincre les autorités de santé de faire avancer ce dossier trop longtemps délaissé.
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