IMAGINEZ ! Nous sommes en 2017 et le nouveau calendrier vaccinal est publié au Bulletin épidémiologique hebdomadaire. Dans son éditorial, le directeur du CTV* (centre technique des vaccinations) se réjouit : « cette année est marquée par l’élargissement de la vaccination aux pharmaciens d’officine. Tous les patients adultes peuvent désormais se rendre en pharmacie pour réaliser leurs rappels de vaccins. Cette évolution notable doit permettre de renforcer la couverture vaccinale sur l’ensemble de la population ». Si en 2014 la réalité est autre, l’idée d’autoriser les officinaux à injecter des vaccins a néanmoins fait son chemin depuis 2011, date à laquelle l’Académie nationale de pharmacie a évoqué cette orientation pour la première fois. « Constatant un défaut de vaccination au sein de la population française, la DGS nous a consultés pour savoir comment le pharmacien d’officine pouvait contribuer à améliorer la couverture vaccinale », raconte Raphaël Moreau, alors président de la cinquième section au sein de la prestigieuse institution. Lui-même officinal, l’académicien a participé à l’élaboration de ce rapport : « Au préalable, nous avons jugé opportun d’interroger les principaux concernés, c’est-à-dire les pharmaciens de terrain ainsi que les étudiants en pharmacie. Accueillie avec prudence par nos confrères, l’idée a finalement fait son chemin au sein de la profession ». Une position soutenue par l’Ordre des pharmaciens, qui souligne que d’autres pays se sont déjà engagés dans cette voie. « L’expérience de la vaccination antigrippale par les pharmaciens aux États-Unis, en Grande Bretagne, au Portugal ou en Irlande est encourageante en terme de santé publique. À titre d’exemple, chez nos voisins anglais, le taux de personnes de plus de 65 ans vaccinées contre la grippe est passé de 59 % en 2005 à 76 % en 2008, année où a été autorisée la vaccination en pharmacie », précise Alain Delgutte, président de la section A de l’Ordre des pharmaciens.
Des arguments convaincants.
Dans le rapport de l’Académie nationale de pharmacie, les auteurs notaient que « dans presque la moitié des cas (43,7 %), c’est le sujet qui est à l’initiative de sa dernière vaccination. Échappent à la vaccination médicale les personnes n’étant habituellement pas ou peu malades, et ne voyant pas l’intérêt d’une consultation médicale en vue de se faire vacciner ». Autrement dit, élargir la vaccination aux pharmaciens d’officine permettrait d’atteindre plus facilement les sujets adultes en bonne santé, qui ne consultent jamais leur médecin mais qui en revanche, sont susceptibles de fréquenter les officines pour diverses raisons (conseil, achat de médicament d’automédication ou de produit de parapharmacie). La proximité et la facilité d’accès de la profession sont des arguments forts, d’autant plus dans les régions où le manque de médecins compromet la vaccination. En outre, la vaccination réalisée sur le lieu de dispensation permettrait de simplifier le parcours des patients, de mieux maîtriser la chaîne du froid et la traçabilité du produit délivré. Enfin, pour la gestion individuelle du calendrier vaccinal, les pharmaciens pourraient s’appuyer sur le DP (dossier pharmaceutique), outil de plus en plus incontournable pour l’exercice officinal quotidien. « Le DP pourrait évoluer afin d’accueillir le statut vaccinal des patients et alerter le pharmacien en cas de rappel », explique Alain Delgutte.
Ce qu’en pensent les pharmaciens.
Selon une évaluation menée par les ARS (Agences régionales de santé) dont les résultats ont été publiés dans le rapport de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) de 2011, 92 % des pharmaciens interrogés estiment utile le suivi vaccinal par le pharmacien. Ils seraient par ailleurs 67 % à se dire prêts à assurer l’injection moyennant formation et rémunération. Le témoignage de Corinne Dubreuil, pharmacien titulaire en région parisienne, confirme cette tendance : « Au sein de notre officine, nous sommes déjà engagés dans la promotion de la vaccination. Dernièrement, nous avons participé à la campagne vaccinale contre la coqueluche. Je serais plutôt partante pour vacciner les adolescents et les adultes, à condition de recevoir en amont une formation appropriée ». La formation, jugée unanimement indispensable, pourrait ainsi entrer dans le cadre du développement professionnel continu. Pour la rémunération de cette nouvelle prestation, plusieurs orientations sont possibles, dont le forfait vaccination préconisé par l’Académie de pharmacie. Enfin, d’un point de vue pratique, un aménagement spécifique des locaux des officines serait nécessaire.
Ce qui coince.
Comme les infirmiers ou les sages-femmes, le pharmacien est de plus en plus attendu dans le domaine de la prévention. Sans surprise, les médecins ont fait part de leur réserve quant à cette évolution. Interrogés par l’IGAS en 2011, ils s’inquiétaient notamment « des problèmes d’information du médecin que pourrait poser ce transfert de tâche ». Dans une interview accordée au Pharmacien de France en 2011, Claude Leicher a également souligné que « la vaccination était une occasion de voir le patient en bonne santé de temps en temps ». Arguments recevables mais pas opposables d’autant plus que l’enjeu sanitaire est de taille. « Il n’est pas question que le pharmacien prenne la place du médecin. Il s’agit de renforcer la complémentarité entre ces professions médicales, afin de satisfaire un enjeu de Santé publique. La proposition de l’Académie est d’ailleurs soutenue par le Professeur Daniel Floret, président du CTV (comité technique des vaccinations). Une telle prise de position est déterminante », souligne Raphaël Moreau qui souhaiterait qu’une expérimentation soit menée auprès de quelques pharmaciens.
À ce jour, la plupart des acteurs de santé ont entendu l’intérêt et les arguments en faveur d’un élargissement de la vaccination au pharmacien. C’est désormais au législateur de se saisir de ce dossier, afin de faire sauter les derniers verrous réglementaires.
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