JEUDI DERNIER, le tribunal de Colmar a lourdement condamné le groupe Leclerc pour sa dernière campagne de publicité sur les médicaments, diffusée à la fin de l’année dernière, et lui a ordonné de cesser l’activité de son site www.sesoigner-moinscher.com (« le Quotidien » du 25 janvier). « Par décision de justice en première instance, deux groupements de pharmaciens nous ont contraints à le fermer, considérant qu’une information sur les écarts et les niveaux de prix pratiqués sur les médicaments non remboursés portait atteinte à leur profession, peut-on lire sur la page d’accueil du site. Pour autant, nous restons convaincus que la transparence des prix reste le meilleur garant de l’accès aux médicaments du quotidien pour tous. »
L’affrontement entre Leclerc et les pharmaciens est une vieille histoire, émaillée de provocations et de crispations. Déjà, dans les années 1980, Édouard Leclerc, le fondateur du groupe éponyme, menait l’offensive contre le monopole pharmaceutique. En lui succédant, son fils, Michel-Édouard Leclerc, reprend le flambeau et poursuit le combat. Sa volonté est de poser l’étendard du groupe au-delà des activités traditionnelles de la grande distribution. Comme sur l’optique ou la bijouterie.
En ce qui concerne les marchés de l’officine, Leclerc remporte sa première victoire en 1988 lorsqu’il obtient la possibilité de vendre des gammes de parapharmacie dans un espace individualisé. Depuis près de trente ans, le groupe lorgne également sur les médicaments de prescription médicale facultative. À maintes reprises, il tente d’ouvrir une brèche dans le monopole pharmaceutique avec la vitamine C ou les tests de grossesse. Entre 1985 et le début des années 2000, les procès s’enchaînent. En 2003, les vagues de déremboursements de médicaments fournissent un nouvel angle d’attaque au patron d’hypermarchés. Michel-Édouard Leclerc dit alors réfléchir à l’ouverture d’officines sous l’enseigne Leclerc qui distribueraient des médicaments à prix discount pour répondre à la préoccupation de pouvoir d’achat des Français.
Humour décalé.
À la faveur d’un climat économique morose et du débat sur le libre accès, Leclerc revient à la charge au printemps 2008. Dans un spot diffusé à la télévision, le groupe prétend pouvoir vendre des produits de médication officinale 25 % moins cher dans ses parapharmacies que dans les officines. Les médicaments sont présentés comme des bijoux qu’il devient luxueux de se procurer. La profession s’en émeut et manifeste largement son opposition. À la pointe de la riposte, le groupe PHR, auquel s’associent les syndicats UNPF et USPO, les groupements Giphar et Plus Pharmacie, le Collectif des groupements (CNGPO) et les étudiants en pharmacie. Le slogan de leur contre-pub : « Non, M. L., se soigner en France ne sera jamais un luxe. » Des initiatives sont également lancées dans les départements, sans oublier celles menées par les Pharmaciens en colère (PEC) : « PEC pour tous, tous contre MEL. » De son côté, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, soutient les pharmaciens et rappelle son opposition absolue à la vente de médicaments en dehors des officines.
La protestation ne s’arrête pas là et le bras de fer se poursuit dans les tribunaux. Les groupements Univers Pharmacie et Direct Labo, et les syndicats de pharmaciens (UNPF et USPO), entreprennent ensemble une procédure judiciaire. C’est Daniel Buchinger, président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO) et de l’enseigne de soft discount Univers Pharmacie, qui mène la bataille. En avril 2008, la justice donne d’abord raison aux pharmaciens, en référé. Elle estime que, sur la forme, la campagne fait du tort à la profession officinale. Puis Leclerc gagne en appel. Le tribunal estime que le distributeur a communiqué sur le ton de l’humour et qu’il faut lui laisser cette liberté. Le pourvoi en cassation est refusé aux pharmaciens. La campagne doit maintenant être jugée au fond. Sans attendre, Leclerc remet la gomme, fin 2009, avec une nouvelle communication, qui joue sur le même registre décalé, avec la volonté affichée de marquer les esprits. Cette fois, le pharmacien est un magicien qui fait monter ses prix d’un simple coup de baguette.
L’UNPF, l’USPO et le CNGPO rétorquent à coup d’affiches disposées dans les vitrines des officines. L’UDGPO, Direct Labo et Univers Pharmacie préfèrent, eux, engager une nouvelle action en justice contre le groupe d’hypermarchés. Ils viennent d’obtenir la condamnation du distributeur pour sa campagne. Leclerc a fait appel, mais, d’ores et déjà, on peut parler d’une « victoire » pour le camp officinal, comme l’affirme Daniel Buchinger.
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