LE COMITÉ LÉGER a fait, purement et simplement, le travail qu’exigeait le chef de l’État. C’est Nicolas Sarkozy qui souhaite la disparition du juge d’instruction. Celui-ci, dans le cadre du système actuel, peut acquérir des pouvoirs excessifs, comme cela a été démontré par le désastre d’Outreau : le juge est passé outre les dénégations de plusieurs mis en examen et a maintenu en détention provisoire pendant plusieurs mois des personnes parfaitement innocentes dont la vie est brisée. Il faut se rappeler que l’affaire d’Outreau a commencé par un scandale lié à la pédophilie et avait d’abord suscité la colère et le dégoût de l’opinion, colère et dégoût qui ont été largement alimentés par une presse assez peu scrupuleuse en ce qui concerne la présomption d’innocence et le secret de l’instruction. Le juge d’instruction n’est donc pas seul en cause. Il demeure que, après l’enquête minutieuse conduite par l’Assemblée nationale, la réforme semblait indispensable.
Outreau, ajouté à d’autres affaires du même acabit, constitue la première raison pour laquelle le gouvernement a engagé la réforme ; l’autre raison est que nombre de juges d’instruction ont lancé des enquêtes dans les milieux politiques, de gauche et de droite, qui ont discrédité les personnalités mises en examen mais n’ont pas administré la preuve de leur culpabilité. On se souvient d’un Roland Dumas traîné dans la boue par la juge Eva Joly, mais blanchi au terme son procès ; encore plus grave, l’ignoble affaire où l’on a voulu entraîner Dominique Baudis en se servant de témoignages mensongers de prostituées et brigands. Cependant, les juges d’instruction se sont attaqués avec courage au pouvoir politique et sont souvent parvenus à déboulonner des personnages corrompus, ou en tout cas coupables, notamment à propos du financement des partis. On ne doit pas exclure deux éléments d’appréciation : d’une part que le président veuille mettre à l’abri son entourage et lui-même en contrôlant le fonctionnement de la justice ; d’autre part que trop de juges ont vu dans leur confrontation avec des élus l’instrument de leur propre gloire. Mais ce n’est pas une raison pour qu’une démocratie comme la France se contente d’une justice aux ordres.
La riposte d’Alliot-Marie.
Face aux critiques, Michèle Alliot-Marie a réagi avec vigueur. Elles les juge inadmissibles. Il est faux de dire, ajoute-t-elle, que les procureurs ne seraient pas libres. Le soupçon qui pèse sur la réforme est « insultant » pour les magistrats, d’autant que la réforme n’implique nullement que le ministre de la Justice pourra, s’il le veut, enterrer les affaires dites sensibles. Enfin, la réforme créera un juge de l’enquête et des libertés, qui apportera toutes les garanties d’indépendance. Fort heureusement, rien n’est encore décidé, sauf la disparition du juge d’instruction, le comité Léger ayant conçu une réforme taillée selon la volonté du président. Une volonté où l’on, décèle une vertu, celle de mettre un terme à ce qui ressemblait parfois (mais rarement) à un abus de pouvoir, et une tare, le risque de soumettre la justice au pouvoir politique, ce qui serait une régression que la France ne peut pas se permettre. Nul n’étant au-dessus des lois, on ne voudrait pas que le gouvernement actuel et ceux qui le suivront, bénéficient d’un privilège de nature féodale. Il appartient aux élus d’exercer sur le projet de loi le contrôle nécessaire qui, tout en permettant aux citoyens d’échapper aux excès, toujours possibles, du juge d’instruction, garantira aux magistrats leur indépendance. D’un côté, on ne peut pas nier que la justice, ces dernières années, s’est illustrée par quelques fiascos retentissants, qui démontrent que les juges sont faillibles et qu’en tant que tels ils doivent être supervisés, et mieux que par le passé. De l’autre, il ne faudrait que le parquet, dont les membres sont nommés par le pouvoir, se transforme en chambre d’enregistrement des désiderata de l’exécutif.
Le danger de la réforme, c’est qu’elle modifie un équilibre qui, jusqu’à présent, et en dépit de quelques ratés terribles, a permis aux juges d’exercer en toute sérénité. Nous sommes tous concernés car nous sommes tous responsables d’avoir souhaité, après Outreau, que la justice devienne plus prudente ; encore une fois, l’opinion et la presse ne sont pas innocentes dans ce flux et ce reflux des passions qui conduisent à juger au jour le jour et à réclamer des changements qu’ensuite la même opinion et la même presse récusent au nom des libertés. Il faut savoir ce que l’on veut. Et M. Sarkozy, il y a encore quelques mois, était en phase avec l’opinion. Les sequelles d’Outreau s’effacent avec le temps et le voilà soupçonné de vouloir mettre la justice à sa botte. Le plus difficile, en toute chose, consiste à trouver le juste milieu.
› RICHARD LISCIA
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