C’est en tant que membre de l’amicale de pharmacie, la célèbre H2S, que Charles Stirnweiss se retrouve plongé au cœur des événements.
« Lorsque certains bâtiments de l’université commencèrent à être occupés par des étudiants grévistes, notamment en lettres, notre doyen nous conseilla… de faire de même, afin d’éviter que d’autres ne s’en chargent à notre place », explique-t-il : alors située en plein centre-ville, la faculté était, bien sûr, remplie de laboratoires et de produits chimiques, et tout le monde redoutait que des occupants extérieurs la vandalisent, ce qui aurait pu menacer le bâtiment, voire tout le quartier.
Jusque-là plus préoccupé par la défense des traditions et du folklore étudiant, le futur pharmacien se retrouve alors, avec quelques camarades, « représentant officiel » de sa faculté au sein de l’université en grève. « J’allais tous les jours suivre les AG des grévistes au Palais universitaire (le bâtiment historique central de l’université, ndlr) où, à côté de discours politiques enflammés, certaines idées plus concrètes commençaient à s’exprimer », poursuit-il. Le principe de commissions paritaires, associant tous les enseignants ainsi que les étudiants et l’ensemble du personnel au fonctionnement de l’université, lui semble particulièrement intéressant. Les étudiants en pharmacie vont dès lors se mobiliser eux aussi pour mettre en place cette forme de gestion au sein de leur faculté. Mais cette idée allait trop loin pour le doyen. Il négocia toutefois un accord écrit avec eux, qu’il souhaitait utiliser comme preuve de la « confiance » que les étudiants lui maintenaient dans le cadre des négociations qu’il menait au ministère au sujet de l’avenir de la faculté. Il ne se doutait pas que, la nuit suivante, les étudiants parviendraient à dérober ce document dans son bureau fermé à clé, en démontant puis remontant une fenêtre sans laisser de trace : grâce à ce « crime parfait », le doyen ne fut plus en mesure de se prévaloir du soutien des étudiants et, furieux, dut laisser la nouvelle commission paritaire fonctionner sans lui…
Le berceau de l'autonomie des universités
Globalement, poursuit Charles Stirnweiss, la faculté de pharmacie est restée très calme et il n’y a pas eu de violences. Il est vrai que les potards étaient moins politisés et se faisaient moins de soucis quant à leur avenir que les étudiants d’autres disciplines… dont le nombre avait plus que doublé depuis le début des années 1960. Un jour d’examens toutefois, une vingtaine de « gros bras » sont entrés dans la fac et ont exigé l’arrêt des épreuves sous peine de tout casser. Pour éviter cela, Charles Stirnweiss a préféré ramasser lui-même les copies avec eux. En mai 1968, seuls les étudiants de dernière année de pharmacie furent « autorisés » par les grévistes à présenter leurs examens, et tous les autres les passèrent finalement en septembre.
À l’issue de ses études, Charles Stirnweiss mènera une carrière dans l’industrie, parallèlement à une carrière politique centriste dans sa ville d’origine : il fut longtemps maire de Forbach et conseiller général et régional de la Moselle. Aujourd’hui retiré, il rappelle que ce sont les réflexions strasbourgeoises sur l’autonomie des universités, celle de Strasbourg ayant proclamé la sienne, qui ont conduit à ancrer ce principe dans les réformes menées par Edgar Faure après les élections de juin 1968.
De même, la prise en compte de l’environnement et la naissance de l’écologie font partie selon lui des héritages de mai 1968 : plusieurs enseignants de la faculté de pharmacie de Strasbourg se montrèrent particulièrement innovants dans ce domaine à partir de cette époque. Avant les événements, les facultés étaient beaucoup plus repliées sur elles-mêmes : « après, nous avons appris à nous connaître et à travailler ensemble, dans une optique pluridisciplinaire ». Enfin, la démocratisation des structures, à travers la participation de tous les enseignants et des étudiants à la vie universitaire, auparavant régie par les seuls professeurs, a fait évoluer l’institution vers la modernité. « J’ai toujours été partisan de la réforme et du dialogue, et je pense que mes valeurs politiques me viennent aussi de cette expérience », conclut-il.
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