Médecin psychiatre, chef des services pharmacologie et médecine de la douleur au CHU de Clermont-Ferrand, professeur de pharmacologie médicale, directeur de l’Observatoire français des médicaments antalgiques… Le président du CST pour le suivi de l’expérimentation du cannabis médical à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le Pr Nicolas Authier, est donc un expert. Pourtant, il le reconnaît d’emblée, « ces deux années d’expérimentation nous ont d’abord permis de nous former, aussi bien les médecins que les pharmaciens, car on ne connaissait rien au cannabis médical ».
Deux ans pendant lesquels ils ont pu proposer une alternative à leurs patients en échec thérapeutique dans cinq indications : douleurs neuropathiques réfractaires, épilepsie sévère pharmacorésistante, situations palliatives, symptômes rebelles en oncologie et spasticité douloureuse dans la sclérose en plaques et dans d’autres pathologies du système nerveux central. Deux formes galéniques sont utilisées : les huiles, qui concentrent 95 % des prescriptions, et les fleurs séchées.
Des huiles et des fleurs
« L’avantage de la fleur est que l’administration se fait par inhalation par vaporisation et permet d’avoir un effet rapide, de l’ordre de quelques secondes, ce qui est utile dans le cadre de douleurs paroxystiques. Mais ce n’est pas simple à manipuler si on n’a pas l’habitude et il faut pouvoir inhaler. C’est très différent de l’huile par voie orale, dont l’effet maximal survient entre deux et quatre heures après absorption, utilisée comme traitement de fond. C’est le même rapport qui existe entre la morphine à libération prolongée ou à libération immédiate. Avoir une forme à action immédiate reste intéressant, mais j’imagine qu’on pourrait trouver une galénique plus adaptée à un public plus large et qui emporte l’adhésion des professionnels de santé. » La réflexion est en cours en Allemagne, où la prescription du cannabis médical est possible depuis 2017.
Côté patients, « les deux tiers rapportent une amélioration modérée à importante de leur qualité de vie ». Et la quasi-totalité est favorable à la généralisation du cannabis médical, y compris lorsque le traitement n’a pas fonctionné sur eux. C’est aussi une attente des médecins et des pharmaciens investis dans l’expérimentation.
Statut et remboursement
Ces deux années devaient aussi permettre aux autorités sanitaires d’avancer sur le statut à donner au cannabis médical et à ses éventuelles conditions de remboursement, mais aucun arbitrage n’a encore été rendu. Or, « pour espérer une entrée du cannabis médical dans le droit commun en 2024, cela implique que le sujet soit traité dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, donc que les arbitrages interviennent d'ici à septembre prochain. » Au sortir d'une réunion avec la Direction générale de la santé (DGS) et du CST cannabis thérapeutique, le 20 avril, Ludovic Rachou, président de l'Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre (UIVEC), se félicite néanmoins d'une avancée. « La DGS a acté le fait que le cannabis médical nécessite la création d'un statut ad hoc, et introduit la notion du remboursement, même si nous avons encore besoin d'éclaircissements. »
C'est en partie parce que les arbitrages nécessitent du temps que l’expérimentation a été prolongée jusqu’à fin mars 2024. Mais certains fournisseurs, qui mettent à disposition gratuitement depuis deux ans leur huile de CBD, n’ont pas souhaité signer pour une année supplémentaire. « On se retrouve, ces dernières semaines, à modifier nos ordonnances qui contenaient des huiles de CBD ultra-dominante, c’est-à-dire avec moins de 0,3 % de THC. C’est pourtant cette huile qui est conseillée en primoprescription, ce qui nous permet de voir l’effet du CBD seul avant d’ajouter du THC. Même si, dans l’indication dont je m’occupe le plus, la douleur, il est quasiment toujours nécessaire d’ajouter du THC pour avoir un effet significatif car le CBD seul n’est pas un bon antalgique. » L’ANSM a communiqué fin mars sur des mesures de substitution. Problème : l'huile de CBD pur n'est plus la seule à manquer. Le report des prescriptions sur l'huile de 20 mg/ml de CBD et 1 mg/ml de THC entraîne désormais une rupture de ce produit.
Manque d'anticipation
Le risque ? Que des médecins et pharmaciens finissent par quitter l'expérimentation, tout comme des patients, notamment ceux qui ne supportent pas le THC. D'une même voix, tous dénoncent le manque d'anticipation de la DGS sur ce dossier, alors que le ministre de la Santé avait annoncé cette prolongation de l'expérimentation six mois plus tôt. Le premier appel d’offres de la DGS auprès des fournisseurs pour couvrir la prolongation d’un an de l’expérimentation, ouvert du 29 janvier au 24 février dernier, avait prévu, cette fois, un dédommagement : 14 euros les 10 ml d’huile ou les 10 grammes de fleurs de cannabis séchées. Or, selon le média spécialisé Newsweed, la fabrication, le transport et les taxes douanières engendrent un coût pour le fournisseur compris entre 60 et 120 euros la délivrance d’un flacon de 10 ml d’huile.
À cela s’ajoute « probablement », selon Nicolas Authier, « un manque de visibilité sur l’avenir du cannabis médical en France ». Résultat : un lot, celui de l'huile de CBD pur, le plus prescrit, n'a pas trouvé de fournisseur ; la DGS a lancé un nouvel appel d’offres spécifique début avril avec l'espoir de bénéficier des premières livraisons fin mai. « Le premier appel d’offres a permis de trouver un fournisseur pour l'huile au ratio 1:20 en THC-CBD. Les ruptures évoquées ces derniers jours sont dues au report des prescriptions de l'huile de CBD pur vers ce produit, mais l'approvisionnement devrait rapidement reprendre son cours normal », précise Ludovic Rachou.
* D’après une webconférence organisée par l’Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre (UIVEC)
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