L’Académie nationale de médecine s’était déjà penchée sur le sujet en 2011 ; elle réitère. Dans un rapport rendu public le 7 novembre, elle se réjouit de la « révolution médicale » opérée ces 25 dernières années dans les cancers grâce à la biotechnologie. François Guilhot, hématologue et rapporteur du groupe de travail, cite ainsi « l’arrivée des anticorps monoclonaux » dont le premier représentant a bouleversé la prise en charge du cancer du sein en 1998. Puis des inhibiteurs de la tyrosine kinase (imatinib, dasatinib, nolotinib…) et leur forme orale, suivis de nombreux autres inhibiteurs de cibles moléculaires et, en 2006, des si particuliers inhibiteurs de checkpoint (ipilimumab, nivolumab, pembrolizumab…). Et enfin l’avènement des CAR-T cells qui constituent à eux seuls un « changement de paradigme ».
« À l’utilisation continue pendant de nombreuses années de produits chimiques peu onéreux, s’est substituée, dans certaines indications, l’utilisation en une seule fois d’un seul produit administré en quelques minutes », peut-on lire dans le rapport. Ces CAR-T cells, remarque François Guilhot, « connaissent un développement important et bénéficient à de plus en plus de patients, mais la perfusion coûte aux alentours de 300 000 euros ». Rien que dans le lymphome, le nombre de patients traités par CAR-T cells en France est passé de 33 en 2018 à 554 l’an dernier. Sur cette période 2018-2022, 1 879 patients ont pu bénéficier de ce traitement personnalisé, 685 injections ont été réalisées pour la seule année 2022 pour un coût estimé à 240 millions d’euros.
Accélération des innovations
Cette révolution en cancérologie s’accompagne d’une accélération des innovations. « Quand la FDA autorisait 5 ou 6 nouveaux médicaments en 2012, puis 11 en 2016, elle en a autorisé entre 20 et 30 de 2017 à 2023 », indique l’hématologue. À cela s’ajoute une durée de recherche et développement (R & D) largement revue à la baisse. « On avait coutume de dire qu’il fallait 10 à 15 ans pour qu’un nouveau médicament atteigne le marché, maintenant cette durée est tombée à 5 ans. » Une vitesse qui s’explique également par la possibilité pour ces médicaments touchant des pathologies mortelles de présenter un dossier plus succinct en termes d’études pour être proposés le plus rapidement possible aux patients. Et qui est fortement souhaitée alors que l’incidence du cancer ne cesse d’augmenter.
Selon les estimations de Santé publique France en juillet dernier, le cancer affecte chaque année 433 136 patients en France. Or, le « changement de paradigme » évoqué par l’Académie de médecine génère des progrès à titre individuel comme collectif. Par exemple, il y a 20 ans, un diagnostic de leucémie lymphoïde chronique était suivi d’un décès dans les 3 à 5 ans, rappelle François Guilhot. « En 2021, grâce aux thérapies ciblées, la survie à 15 ans est de 90 %. Les traitements sont coûteux mais le bénéfice peut être fabuleux pour la société. Il est possible de dire à quelqu’un qui se pensait condamné qu’on va arrêter le traitement et qu’il va pouvoir reprendre le travail. Cela revêt des dimensions à la fois sociologique, humaine et économique majeures ! »
Des CAR-T cells académiques
Pour assurer la disponibilité de ces médicaments en France, l’Académie de médecine livre une série de recommandations, dont l’une des plus emblématique s’adresse à l’État. Il s’agit de promouvoir « un réseau français ou franco-espagnol ou européen » capable de développer ses propres CAR-T cells institutionnelles, comme l’ont fait les Espagnols et les Canadiens, ce qui leur a permis de diviser par quatre le coût d’une perfusion. Le principe des CAR-T est d’injecter au patient ses propres cellules prélevées et génétiquement modifiées pour être capables d’éliminer les cellules cancéreuses. Cette modification génétique nécessite un vecteur lentiviral, « c’est ce qui est breveté par des sociétés comme Novartis ou Gilead, mais il est possible de contourner ce brevet en fabriquant notre propre lentivirus. Mon collègue hématologue de Barcelone, Julio Delgado, est même prêt à nous fournir son lentivirus gratuitement », affirme François Guilhot. De fait, l’Hospital Clinic de Barcelone est parvenu à produire ses propres CAR-T académiques, l’ARI-0001 ou varnicabtagène autoleucel, qui ne bénéficient pas encore d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) mais d’une forme d’autorisation d’accès précoce. Cela permet de traiter les patients espagnols alors qu’une étude de phase 2 est en cours.
Autre recommandation forte, cette fois adressée à la Commission de la transparence (CT) de la Haute Autorité de santé (HAS) : créer une amélioration du service médical rendu (ASMR) dite « non quantifiable », dédiée aux médicaments des cancers rares et permettant un accès à la liste en sus. En effet, rappelle l’Académie de médecine, la CT est avant tout « une commission de la comparaison ». Or, dans les cancers rares, il est difficile de « connaître l’histoire naturelle de la maladie » et de réaliser un essai clinique comparatif, précise l’oncologue Jean-Yves Blay. Dans de tels cas, la CT délivre une ASMR 5 (absence d’amélioration), ce qui ferme la porte d’accès à la liste en sus et donc à toute possibilité d’utilisation des médicaments concernés. Cette proposition rejoint la réflexion menée par la HAS elle-même et par le gouvernement qui souhaite lui aussi, comme il le propose dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, distinguer l’ASMR 5 attribuée pour absence d’amélioration de celle attribuée pour absence de données permettant de « lever l’incertitude ».
L’Académie de médecine formule enfin des recommandations à l’intention des industriels et des prescripteurs. Dévoilant que 14 % des prescriptions d’anticancéreux onéreux ne sont pas dans les indications de l’AMM, elle appelle les oncologues un strict respect de l’AMM car ce « contournement alourdit le poids économique pour les dépenses nationales de santé ». Néanmoins, tient à nuancer Jean-Yves Blay, cette pratique reste « modeste, en raison du coût de ces médicaments et du contrôle plus strict dont ils font l’objet » et est souvent justifiée à la fois par des résultats d’études encourageants et la nécessité pour tout médecin de « ne pas laisser le patient sans traitement ».
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