La télémédecine, officiellement définie depuis plus de 7 ans (décret du 19 octobre 2010), peine à trouver ses marques. Les conditions de son développement semblent pourtant désormais réunies : l'extension des déserts médicaux, un temps médical de plus en plus compté et un territoire poinçonné par les zones de sous-densités.
Aujourd'hui, quelque chose se passe qui pourrait faire sortir du cadre expérimental cette nouvelle façon d'aborder la permanence des soins en France. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2018 entend en effet mettre fin aux expérimentations des actes de télémédecine, son article 35 confiant à l'assurance-maladie l'organisation de la prise en charge de la télémédecine en vue de sa généralisation. La CNAM souhaite ainsi entamer, dans la foulée, les négociations avec les syndicats de médecins pour généraliser la téléconsultation et la télé-expertise. Et les pharmaciens dans tout ça ? « Nous sommes les experts du médicament, rappelle Sophie Sergent* à l'occasion du Congrès des pharmaciens qui vient de se tenir à Montpellier. La télé-expertise pourrait être pour nous un axe d'expérimentation. D'autant que l'article 35 du PLFSS pour 2018 permet le financement de ce type d'initiative, et que nous pouvons nous appuyer sur les URPS et compter sur les médecins. Les pharmaciens de ville et hospitaliers pourraient par exemple intervenir lors des bilans de sortie des patients hospitalisés. »
Le pharmacien, acteur légitime
De fait, la France s’est dotée, grâce à la loi HSPT de 2009, d’un cadre légal à l’activité de la télémédecine. De par la répartition harmonieuse des pharmacies sur le territoire français, le pharmacien d’officine peut devenir une porte d’entrée à ces activités. Il possède toute légitimité pour les accueillir - comme c’est d'ailleurs déjà le cas en Suisse avec le dispositif NetCare - grâce à la loi HSPT qui le reconnaît comme un professionnel de santé de premier recours. C'est justement sur ce cinquième axe de la télémédecine (voir encadré ci-contre), celui de la permanence des soins, que Philippe Besset, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) revendique l'intervention du pharmacien : « Nous avons porté une demande d'extension, dans le cadre conventionnel, pour que le pharmacien soit acteur de télémédecine sur l'axe de la permanence des soins. Ce qui justifie, à notre sens, au même titre que les médecins, une majoration d'acte de l'ordre de 36 euros. » La FSPF fait ici référence à une situation précise et bien concrète, celle de téléconsultation réalisée par la régulation médicale (SAMU, urgences…) qui donne lieu à une prescription à distance. « La question est alors de savoir par quels moyens et selon quelles règles cette prescription à distance est transmise au pharmacien de garde et peut donner lieu à une dispensation… et à une rémunération », précise Philippe Besset. « Transposer dans le droit commun la téléconsultation et la télé-expertise, c'est justement ce que propose l'article 35 du PLFSS pour 2018 », fait remarquer Grégory Émery, adjoint au sous-directeur de la performance des offreurs de soins (SDPF) au sein du ministère de la Santé.
La pharmacie, établissement requérant ?
Mais au-delà de ses aspects réglementaires et financiers, la télémédecine doit encore lutter contre plusieurs freins pour trouver sa place à l'officine. « Le temps médical est compté. Le pharmacien aura-t-il toujours un professionnel au bout du fil ? Aura-t-il seulement le temps de se consacrer à la démarche ? », s'interroge Albin Dumas. Le président de l'Association de la pharmacie rurale (APR) cultive des ambitions modestes pour la télémédecine, en général, et préfère focaliser son intérêt sur la télé-expertise, « notamment dans des territoires où les compétences sont parfois absentes dans un rayon de 200 km autour de patients difficiles à déplacer… » « Pourtant, tempère-t-il, même si la télémédecine n'est aujourd'hui que le privilège de quelques expérimentateurs, elle a la capacité de tout changer dans le parcours de soins. » Pour peu que les Français ne croient pas que la télématique va prendre le pas sur le présentiel.
Autre frein statutaire à une télémédecine médiée par le pharmacien, « il faut que la pharmacie obtienne le statut d'établissement requérant, demande Philippe Gaertner. Si un échange d'informations se fait entre un médecin et son patient, il vaut mieux que celui-ci ait lieu à l'officine ». La définition de la télémédecine, qui prévoit ce statut pour les établissements médicaux, ignore en effet encore la pharmacie. « Des travaux sont en cours pour y remédier », espère Philippe Besset.
Pas de modèle économique
Une définition encore un peu floue, mais surtout un modèle économique qui reste à trouver, « la télémédecine coûte pour l'instant plus chère que l'absence de télémédecine », estime pour sa part le Dr Pierre Simon, ancien président de la société française de télémédecine. Pour autant, le pessimisme n'est pas de mise, ajoute-t-il en substance. « Nous avons besoin des officines de proximité qui sont le dernier îlot de santé pour les personnes âgées et isolées. La télémédecine est un pari sur l'avenir que les pharmaciens peuvent aider à remporter. » Pour cela, souligne Sophie Sergent, la FSPF met à la disposition des organisations territoriales tous les outils nécessaires. « Nous voulons réussir le virage ambulatoire et nous accompagnerons les pharmaciens pour qu'ils s'approprient les moyens d'y parvenir grâce, notamment, à la télémédecine. »
Aujourd'hui, parmi les actes de télémédecine, ceux de télé-expertise sont le plus souvent développés : ils concernent 48 % des projets et sont suivis par les actes de téléconsultation (25 %), les actes de télésurveillance (16 %) et les actes de téléassistance (10 %).
* Présidente de la commission URPS et chargée des nouvelles missions avec le régime obligatoire, les régimes complémentaires, les ARS et les patients.