En est-ce bientôt fini de la pseudoéphédrine ? Possible. Car depuis cet hiver, l’Agence européenne du médicament (EMA) réévalue la balance bénéfices/risques des médicaments décongestionnants nasaux per os contenant ce vasoconstricteur. Une procédure qui devrait s’achever dans les jours qui viennent, l’instance devant statuer courant mai sur le maintien ou non des AMM notamment d’une dizaine de spécialités associant pseudoéphédrine et antalgiques ou antihistaminiques utilisées en France sans prescription contre le nez bouché. Comme Actifed rhume, Humex rhume, etc.
En fait, depuis quelques années, de plus en plus de voix appellent à la prudence vis-à-vis des vasoconstricteurs : Sociétés françaises d’ORL ou de pharmacologie et thérapeutique, Académie de médecine, voire professionnels isolés – tel ce pharmacien bordelais, qui avait affiché en 2016 dans son officine le slogan « stop à la pseudoéphédrine ». L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a déjà pris des mesures de surveillance renforcée, d’interdiction de publicité, et d’accompagnement de la dispensation des décongestionnants per os sans ordonnance – les vasoconstricteurs en pulvérisation nasale étant soumis à prescription.
Nouveaux effets cérébrovasculaires
En cause : un profil de sécurité entaché d’effets indésirables problématiques. Au-delà d’insomnies et de céphalées, sont enregistrés avec les vasoconstricteurs des convulsions, des hallucinations et des effets cardiovasculaires rares mais graves, comme des infarctus et des AVC, parfois mortels, énumère le Dr François Montastruc, médecin pharmacologue au CHU de Toulouse. Des effets – dus à l’action sympathomimétique systémique des vasoconstricteurs – décrits de longue date, y compris chez des sujets sans antécédent, souligne le Dr Montastruc.
Et récemment, des inquiétudes concernant certains troubles cérébrovasculaires ont été émises. « Des patients sous pseudoéphédrine ont présenté des atteintes cérébrales réversibles : des syndromes d'encéphalopathie réversible postérieure (PRES) ou de vasoconstriction cérébrale réversible (RCVS) », résume le Dr Montastruc. Les manifestations cliniques associent de façon variable déficits neurologiques focaux, troubles de conscience ou visuels, convulsions, nausées, vomissements, céphalées (brutales, en coup de tonnerre en cas de RCVS), etc.
De quoi faire potentiellement pencher la balance bénéfices/risques côté risques. D’autant que la pseudoéphédrine reste un traitement de confort symptomatique peu efficace d’une pathologie peu grave. « Ces médicaments entraînent une vasoconstriction des artérioles de la muqueuse, et ainsi une sensation de nez débouché, mais cet effet ne dure que quelques secondes », d’où des mésusages par multiplication des administrations et association avec d’autres vasoconstricteurs, explique le Dr Montastruc.
Décision radicale ou mesures moins drastiques ?
C’est dans ce contexte que l’ANSM a sollicité l’EMA pour une réévaluation, dont l’annonce suscite des réactions bien différentes.
Par exemple, côté Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), « à l'occasion d'un comité d'interface de l'ANSM, nous avons décidé de remettre en cause la pseudoéphédrine comme molécule de l'arsenal thérapeutique », indiquait début mars le président de l'USPO, Pierre-Olivier Variot, qui appelle de ses vœux une décision nette. « Ou on estime que les médicaments contenant de la pseudoéphédrine sont dangereux, et on les retire. Ou on estime qu’ils ne le sont pas, et on les laisse sans ordonnance. »
Au contraire, certains se déclarent opposés à ces procédures de remise en cause d’AMM jugées trop radicales et systématiques. « Chaque fois qu’un problème de sécurité est pointé, on réagit en retirant (ou relistant) des médicaments », dénonce Félicia Ferrera-Bibas, vice-présidente officine de la Société française de pharmacie clinique (SFPC), qui préférerait des « recommandations d’utilisation » prenant en compte les signaux de sécurité, tout en laissant la porte ouverte à certaines utilisations. Selon elle, au regard de la fréquence exceptionnelle des effets indésirables graves, et de la mise en cause de facteurs de risque dans la majorité des cas, « la pseudoéphédrine pourrait être conservée pour quelques situations, à condition d’exclure toutes les contre-indications : âge, antécédents cardiovasculaires, troubles neurologiques, rétention urinaire, glaucome, etc. » D’autant que, d’après un rapport de l’Académie de médecine de 2020, l’effet décongestionnant des vasoconstricteurs pourrait en fait être ressenti jusqu’à quelques heures.
Une divergence d’opinions que l'on retrouve dans un sondage du « Quotidien » : si la majorité des répondants apparaît favorable au « retrait envisagé de la pseudoéphédrine », plus d’un tiers considère qu’il s’agit d’une « mauvaise nouvelle ».
Réquisitoire contre le relistage
Mais les pharmaciens semblent se retrouver autour de deux craintes. À commencer par celle d’un relistage de la pseudoéphédrine – que « nous refusons », insiste ainsi Pierre-Olivier Variot. Car relister un médicament ne permet pas d’éviter des effets indésirables imprévisibles. Or, relève le président de l’USPO, « on nous parle souvent d’un dossier : celui d’une jeune femme sans facteur de risque qui a fait un AVC sous traitement ». De surcroît, l’ordonnance obligatoire « n’est pas une garantie de bon usage », juge Pierre-Olivier Variot. En témoigne le rapport de l’Académie de médecine de 2020, qui pointe la persistance massive de prescriptions inappropriées dans le rhume.
Au contraire, des mesures de restriction de la publicité et d’encadrement de la délivrance sans ordonnance semblent fonctionner. C’est ce que suggère le recul des ventes des vasoconstricteurs – estimées à 20 millions de boîtes de pseudoéphédrine en 2019-2020 et 2021-2022, contre plus de 30 millions avant implémentation des mesures -, analyse Luc Besançon, délégué général de NèreS.
Réarmer les pharmaciens
De plus, après le relistage du Doliprane codéiné, le retrait de la pholcodine, etc., cette réévaluation fait redouter un dépouillement de l’arsenal conseil. Comme l’affirmait Pierre-Olivier Variot en mars, « retirer des molécules dangereuses est bien sûr nécessaire, mais il faut dans le même temps recréer un véritable arsenal (conseil) ». « On ne peut plus soigner au comptoir quelqu’un qui tousse ou qui a mal, et en même temps, on doit orienter le moins possible vers le médecin » du fait des tensions qui pèsent sur les cabinets, dénonce Félicia Ferrera-Bibas, qui craint par ailleurs un engrenage. « Si on s’en prend à la pseudoéphédrine, on s’en prendra à l’ibuprofène, à la doxylamine, etc., et on n’aura finalement plus rien en premiers soins », redoute-t-elle.
« J’ai demandé à l’ANSM de façon forte qu’elle se penche sur l’arsenal pour délister ou autoriser de nouvelles molécules », assure alors le président de l'USPO, qui estime avoir été entendu. Toutefois, de nouveaux médicaments conseil n’arriveront pas d’ici demain. « Certains adhérents de NèreS ont fait des demandes (de délistage), qui n’ont pas été acceptées par l’ANSM », déplore Luc Besançon.
Mais la voie du délistage n’est peut-être pas la seule possible pour réarmer les officinaux. Aux yeux de Félicia Ferrera-Bibas, l’utilisation par les pharmaciens de médicaments sur ordonnance dans le cadre de protocoles bien établis peut aussi être envisagée.
Quoi qu’il en soit, en France et en Europe, reste à savoir si la pseudoéphédrine disparaîtra réellement de l’arsenal conseil, voire des étagères des pharmacies en général. « Il est probable que la pseudoéphédrine par voie orale ne soit pas simplement listée, mais bien retirée du marché », prévoyait en mars le président de l'USPO.
PRES, RCVS et vasoconstricteurs : quelle réalité ?
Les décongestionnants nasaux sont-ils souvent mis en cause dans les syndromes cérébrovasculaires réversibles ? Telle est la question à laquelle ont tenté de répondre les Drs Jérôme Mawet et Gabrielle Tuloup, neurologues au service d’urgences céphalées de Lariboisière (AP-HP). Et ce, à partir de la base de données de leur unité. Résultats : sur les 386 patients reçus pour ces syndromes, 24 avaient utilisé des vasoconstricteurs – dont de la pseudoéphédrine per os, mais aussi diverses pulvérisations intranasales listées. Sur ces 24 cas, « 5 ont présenté une complication » type hémorragie sous-arachnoïdienne ou AIT. Trois sur cinq présentaient des facteurs favorisants.
Quels risques de détournement ?
Comme le rappelle Luc Besançon, à l’instar de l’éphédrine, « la pseudoéphédrine est un précurseur chimique » de la méthamphétamine. D’où une surveillance de la molécule par la Mission nationale de contrôle des précurseurs chimiques (MNCPC) – au sein de la Direction générale des entreprises.
Cependant, un tel détournement apparaît marginal en France. Certes, à l’échelle mondiale, avec 1,4 tonne de pseudoéphédrine saisie en 2021, la pratique ne semble pas reculer, analyse la MNCPC. Toutefois, en Europe, la molécule, encore utilisée par de petits laboratoires illégaux de l’Est du continent, serait peu à peu supplantée par de nouveaux précurseurs – préférés par les vastes unités de production clandestines qui s’implantent en Belgique et aux Pays-Bas, explique la MNCPC. En outre, l’Hexagone n’est pas une zone de production.
Dans ce contexte, ces dernières années, seulement 10,2 kg de pseudoéphédrine ont fait l’objet d’un signalement dans le pays, estime la MNCPC. Un détournement tenté par un particulier probablement à des fins… de dopage. Car la pseudoéphédrine compte parmi les « stimulants » interdits en compétition. Aussi, la prudence reste de mise au comptoir avec les patients sportifs afin de repérer des mésusages et d’éviter des sanctions aux compétiteurs honnêtes mais enrhumés.
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