C’est un marché sans réelle définition, aux contours flous, qu’il n’est pas simple d’appréhender. Sans même parler de son nom de baptême qui laisse à penser que les patients se débrouillent seuls. « L’automédication est un comportement d’autosoins sans prescription médicale au moyen d’un médicament, adapté et autorisé à cette fin, assisté du conseil ou du contrôle d’un pharmacien. Un comportement difficile à traduire en chiffes », souligne l’économiste de la santé Claude Le Pen.
Les recoupements permettent néanmoins d’estimer le marché français de l’automédication : il est compris entre 2 et 2,2 milliards d’euros, soit 6 % des 36,4 milliards d’euros du marché officinal en 2018. Un ratio faible selon l’économiste de la santé : au niveau mondial le segment de l’automédication représenterait 100 milliards d’euros, soit un peu plus de 10 % du marché du médicament global.
Le marché français de l’automédication est inférieur à ceux des autres pays européens et en décroissance depuis quelques années, pour des raisons plus structurelles que conjoncturelles. « Nous assistons à une crise des volumes, ce sont les achats qui baissent, que ce soit sur le marché de prescription ou sur le marché d’automédication. » Certes, la faiblesse des pathologies hivernales a amplifié le recul. Pour autant, Claude Le Pen souligne que toutes les catégories de médicaments sont touchées par la décroissance. S’y ajoute, « la méfiance du consommateur liée à des affaires sur le médicament, dont certaines ont amené les autorités de tutelle à appliquer un principe de précaution sans concession. Par exemple en relistant certains produits, en interdisant la publicité pour d’autres, et même en proposant des paquets neutres de médicaments comme pour le tabac ».
Absence de doctrine
Une défiance entretenue par les attaques d’associations de consommateurs qui dénoncent des différences de prix importantes d’une pharmacie à l’autre et bien souvent le défaut de conseil pharmaceutique. Le marché pâtit en outre de l’absence de doctrine du gouvernement sur le sujet. Un ensemble d’éléments qui donne une image « où tout est abaissé ». Les déremboursements passés, justifiés par l’inefficacité des produits, ont déteint sur tout le segment de l’automédication.
L’automédication semble ainsi se définir en négatif par rapport à ce qu’elle n’est pas : elle n’est pas sur prescription médicale obligatoire (PMO), elle n’est pas remboursée, elle est hors système. Des assertions qui agacent Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) : « Tout le monde croit que les spécialités de médication officinale sont des vieux médicaments qui ont été déremboursés parce qu’inefficaces. C’est faux. Aujourd’hui, le conseil officinal utilise les mêmes molécules que celles prescrites par les médecins pour nombre de pathologies. Simplement, les conditionnements sont prévus pour des traitements de courte durée. »
Autre effet pénalisant, des présentations sans AMM prennent des parts du marché de l’automédication. Et font de belles progressions qui ne profitent pas toujours à l’officine. Car, ce sont des « produits hors AMM, hors monopole, hors remboursement, hors tout, commercialisés en multicanal » souligne Claude Le Pen. Sur un marché en décroissance de 4 % en valeur, les résultats des laboratoires s’en ressentent. Sanofi, pourtant largement leader, accuse un recul de 2,9 %, devant Boiron qui chute de 8 %. Mais certaines acquisitions laissent penser que les perspectives ne sont pas si noires. En avril dernier, Procter & Gamble rachetait ainsi l’activité santé grand public de Merck, tandis qu’en décembre, GSK et Pfizer constituaient une coentreprise pour fusionner leurs portefeuilles de médicaments sans ordonnance.
Pédagogie du médicament
Même sur Internet, les ventes restent décevantes. « La décroissance de 2018 a annulé la croissance de 2017. » La faute, selon l’économiste de la santé, à l’encadrement strict de la vente en ligne de médicaments en France, « mais aussi à la suspicion exprimée à la fois par la profession et par le grand public ». Mais certains spécialistes de la vente en ligne de médicaments, basés dans des pays voisins, pourraient brouiller les pistes.
Dans cet environnement particulièrement mouvant, le marché de l’automédication peine à trouver sa place. « On assiste à un bouleversement du circuit de distribution officinal, marqué par la disparition de petites officines en récession et par l’émergence de méga pharmacies discount de 1 000 ou 2 000 m2 qui utilisent les méthodes de la grande distribution. »
Fervent défenseur de l’automédication, Claude Le Pen rappelle que c’est avant tout un « service pour les patients » qui pourrait être relancé avec la volonté affichée des pouvoirs publics. De son côté, Bernard Bégaud, professeur émérite de pharmacologie à l'université de Bordeaux, réclame une véritable stratégie intégrée « dans une politique du médicament » et une extension raisonnée des champs couverts par ces produits sans ordonnance, pour mieux répondre aux besoins des patients.
La députée de Seine-Maritime Agnès Firmin Le Bodo, membre de la commission des affaires sociales, et titulaire d’officine, confirme que « l’automédication est totalement absente de Ma santé 2022 ». À ses yeux, le problème est surtout culturel : « En France on va à la pharmacie avec sa carte Vitale, pas avec sa carte bancaire. » L’image dégradée du médicament ne facilite rien. « C’est compliqué, le médicament n’est plus à la mode, il y a eu des campagnes assez destructrices, poursuit Agnès Firmin Le Bodo. Mais c’est aussi à nous, pharmaciens, de contrecarrer ces campagnes. »
Une gageure, les Français étant passés du statut d’« amoureux du médicament » dont ils étaient les plus gros consommateurs, à un comportement de méfiance exacerbée, estime Claude Le Pen « Nous avons un problème de pédagogie du médicament, il suffit de voir ce qui se passe avec la vaccination… On est mauvais et nous nous trouvons même dans une situation qui peut devenir préoccupante. »
D'après les débats des 1res universités de l'automédication organisées par « Pharmaceutiques » en partenariat avec l'AFIPA.
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