Après l’ajout du message « surdosage = danger » sur les boîtes de paracétamol décidé en juillet dernier, l’ANSM souhaite mettre en place une nouvelle mesure de protection des utilisateurs d’antalgiques sans ordonnance. Concrètement, cela revient à sortir les spécialités contenant du paracétamol, de l’ibuprofène ou de l’acide acétylsalicylique – seuls ou en association – de l’espace libre accès. Une manière, selon l’Agence, de « renforcer le rôle de conseil du pharmacien ». Sur les 484 spécialités de la liste de médicaments autorisés en libre accès, 36 contiennent du paracétamol et 46 un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) soit 82 présentations concernées par cette mesure ; et 17 % du panier en libre accès.
« Cette mesure s’inscrit dans la continuité des actions menées par l’ANSM pour renforcer le bon usage de ces médicaments qui sont très consommés en France, disponibles sans ordonnance, mais souvent banalisés au point que certains utilisateurs oublient qu’il s’agit bien de médicaments. Nous voulons modifier cette perception des patients actuellement majorée par leur présence en libre accès », explique le Dr Philippe Vella, directeur des médicaments en antalgie de l’ANSM. Une proposition et une justification soutenues par Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) car, souligne-t-il, « en dépit des conseils donnés par le pharmacien, ces spécialités pharmaceutiques peuvent être perçues par les patients comme des produits de consommation courante parce qu’elles leur sont directement accessibles ».
Au cas par cas
L’agence rappelle que si ces médicaments sont sûrs et efficaces lorsqu’ils sont correctement utilisés, ils deviennent dangereux en cas de mésusage. Le paracétamol, connu pour ses risques hépatiques, reste la première cause de greffe du foie d’origine médicamenteuse, tandis que les AINS peuvent entraîner de graves complications infectieuses ou rénales et sont fœtotoxiques à partir du 6e mois de grossesse.
Instauré le 1er juillet 2008, le libre accès en officine est pourtant assorti d’un certain nombre de garde-fous visant à assurer le bon usage des médicaments. Mais l’agence pense qu’il est nécessaire d’aller plus loin. « Face à un patient qui arrive au comptoir avec la boîte d’antalgiques choisie en libre accès, le pharmacien pourrait se limiter à rappeler les règles de bon usage sans remettre en cause le choix de l’antalgique. Lorsque la demande d’antalgique est réalisée au comptoir, il est plus évident pour le pharmacien de vérifier que cette demande du patient correspond à son besoin. Certains mésusages courants pourraient ainsi être évités, comme l’utilisation de paracétamol pour soigner une gueule de bois ou d'ibuprofène au lieu de paracétamol en première intention pour une douleur légère à modérée », souligne le Dr Philippe Vella. Pour autant, l’ANSM ne remet pas en cause le principe même du libre accès.
Phase contradictoire
« Rappelons que pour qu’un médicament figure dans la liste « libre accès », le laboratoire doit nous envoyer une demande que nous analysons avant d’autoriser ou non la spécialité en libre accès. Rappelons également que les pharmaciens ont la liberté de positionner ces médicaments devant ou derrière le comptoir », précise le Dr Philippe Vella. Selon les derniers chiffres connus de l’AFIPA* datant de son baromètre 2014, 72 % des officines ont mis en place un rayon libre accès. Mais d’après le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Gilles Bonnefond, ce chiffre n'atteindrait pas 50 %.
Pour mener à bien ce projet, l’ANSM a rencontré en amont les représentants ordinaux des pharmaciens et les représentants syndicaux des médecins et des officinaux, qui se sont montrés plutôt « favorables, voire très favorables » à cette idée. Les industriels de leur côté, « ne nous ont pas fait part d’une opposition à ce stade ». L’agence a initié fin septembre la phase contradictoire en envoyant un courrier à la vingtaine de laboratoires proposant des spécialités contenant un AINS disponibles en libre accès et à la quinzaine de ceux dont les spécialités devant le comptoir comprennent du paracétamol. Ils ont un mois pour transmettre leurs remarques, que l’Agence promet de prendre en compte. Pour l’AFIPA, qui estime que le projet « représente un véritable retour en arrière après une dizaine d’années de coconstruction du libre accès », les jeux sont déjà faits (voir ci-dessous).
Un très bon signal
L’ANSM ne cache pas son souhait de voir cette mesure en place dès janvier prochain puisqu’elle n’a pas d’impact industriel en termes de fabrication, « contrairement à l’instauration du message « surdosage = danger » sur les boîtes de paracétamol qui implique un réétiquetage selon des normes précises et un écoulement des stocks ». En outre, souligne le Dr Philippe Vella, ces médicaments restent disponibles sans ordonnance. « Nous comptons sur le pharmacien pour qu’il joue pleinement son rôle, notamment dans la délivrance de messages de bon usage du médicament de façon à ce qu’il soit utilisé à bon escient. »
Une confiance renouvelée appréciée par les syndicats. « La FSPF se félicite que l’ANSM reconnaisse le rôle des pharmaciens d’officine dans la sécurisation de la dispensation de ces médicaments », indique Philippe Besset. De son côté, Gilles Bonnefond salue la « position courageuse de l’ANSM » et se félicite que certaines dérives constatées chez des confrères soient amenées à disparaître. « Les promos sur le paracétamol ou l’ibuprofène, la pyramide de paracétamol au milieu de la pharmacie, tout cela, c’est fini. Pour certains, le rayon libre accès était devenu un rayon discount. Or c’est un autre métier que celui de la santé. L’USPO défend depuis des années un parcours de soins en opposition avec un parcours de consommation, la décision de l’ANSM est donc un très bon signal. » Mais le président de l’USPO espère que l’Agence ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Son vœu ? Qu’elle se penche sur la vente de ces mêmes spécialités sur Internet. « À un moment il avait été envisagé de ne permettre la vente en ligne que pour les médicaments figurant sur la liste du libre accès, se souvient Gilles Bonnefond. L’idée mérite d'être creusée. »
* Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable.
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